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Enquête

Construction : pourquoi la France est à l'arrêt

Par Catherine Sabbah

Publié le 1 juil. 2014 à 01:01Mis à jour le 6 août 2019 à 00:00

Le Premier ministre, Manuel Valls, a annoncé la semaine dernière un plan de relance par la demande. Quid du choc foncier annoncé depuis deux ans ? Certes, délicats à réformer, l'urbanisme et la question foncière sont pourtant deux des clefs essentielles de la politique du logement.

La France ne manque pas de terrains, même dans les zones denses comme le Grand Paris. Nous savons où ils sont et ce que l'on pourrait y construire... Encore faudrait-il qu'ils soient disponibles. » Cette phrase tourne en boucle dans tous les colloques. Mais, au contraire du prêt à taux zéro élargi ou d'une défiscalisation boostée à 21 %, le « choc foncier » ne fait rêver personne. La mise en place d'une « commission nationale de l'aménagement, de l'urbanisme et du foncier », annoncée mercredi dernier, par le Premier ministre, ressemblerait même à une concession accordée aux tenants d'une politique de l'offre. Surtout après deux lois sans grands effets, plusieurs ordonnances et d'innombrables rapports.

Le premier texte sur la mobilisation du foncier public de janvier 2013 aurait dû libérer, à moindre coût, des emprises de l'Etat et de ses établissements publics du logement social. Au bout de dix-huit mois, moins de dix accords ont été signés. Seconde salve, le volet de la loi Alur (pour un accès au logement et à un urbanisme rénové) de mars 2014, consacré à l'urbanisme, attend ses décrets d'application. Tous les espoirs reposent donc sur les épaules de la personnalité choisie par Manuel Valls pour diriger ce nouveau groupe de travail : Thierry Repentin superspécialiste et praticien du sujet. Sénateur de Savoie, ex-président de l'Union sociale pour l'habitat, il maîtrise parfaitement les rouages du système, sur lequel il a écrit un rapport, en 2005, a l'habitude de ferrailler pour défendre ses idées et connaît bien celles de ses adversaires. Qui sont ces empêcheurs de construire en rond ? Les mêmes depuis des années : des élus malthusiens par choix ou par frilosité; des propriétaires fonciers assis sur une rente assurée; enfin l'Etat et des collectivités parfois jaloux de leurs propriétés ou soucieux d'augmenter leurs recettes en les vendant au plus offrant. Tous alimentent, sans état d'âme, une spéculation qu'ils décrient par ailleurs.

Sujet tabou

Technique et rébarbative, la question foncière est essentielle. Mais la terre et le droit de propriété sont, en France, des sujets délicats auxquels les politiques ne s'attaquent pas à la légère. L'offre élargie de terrains pourrait pourtant aider à réformer et relancer la politique du logement. A condition que cette matière première soit mise sur le marché et à un prix abordable. C'est bien là que le bât blesse. Les projets d'aménagement et de construction se heurtent sans cesse à la question du coût de cette précieuse denrée.

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Le sol représente de 20 à 50 % du total du prix d'un logement neuf selon les régions. Comment le faire baisser ? Des solutions existent. De la fiscalité, qui surtaxe la détention des terrains non bâtis devenus constructibles pour inciter leurs propriétaires à les vendre, au démembrement de propriété qui sépare le foncier du bâti, en passant par des chartes de bonne conduite entre villes et promoteurs... Elles sont bien connues, mais peu mises en oeuvre, souvent pour de mauvaises raisons : technicité et oppositions politiques en tête. Les derniers mois ont frisé la caricature, agités d'une frénésie législative dans un contexte électoral doublé d'une contraction de tous les budgets publics. Comment produire dans ces conditions mouvantes ? Comment prévoir les conséquences des mesures récentes comme l'instauration d'un PLU intercommunal sous conditions, la préfiguration des métropoles et, notamment, celle du Grand Paris, la disparition programmée - puis récemment remise en question - des agglomérations, la fusion en cours de certains établissements publics fonciers alors que ces outils fonctionnent bien localement... Difficile aussi de gérer le gel préélectoral des projets, leur modification ou leur annulation par les nouveaux élus. Enfin, la chaîne des interlocuteurs s'allonge sans cesse : « Entre la commune, l'intercommunalité, la métropole, la région et l'Etat, il y a trop de pilotes dans l'avion, on n'est plus très sûr que l'appareil soit vraiment maîtrisé », soupire un promoteur.

Dans ce contexte, les aménageurs trouvent prudent d'attendre. Tandis que les opérateurs pressés sont parfois... freinés. Christian Terrassoux, le patron de Pitch Promotion, raconte l'histoire avec précaution, mais Corinne Valls, la maire socialiste de Romainville, se lâche volontiers tellement elle est excédée. Dans cette ville de Seine-Saint-Denis, le promoteur avait prévu de construire un programme de logements sur des terrains achetés à l'Etat. En quatre ans, le prix de ces délaissés, des talus d'autoroute, a été estimé à trois reprises. France Domaine, l'a fait varier de 300.000 à 1,7 million d'euros, après décote ! « Entre-temps la loi sur le foncier public est passée par là visiblement avec succès, raille la maire. L'équilibre de l'opération est menacé. Des ménages qui avaient réservé des appartements et auraient pu laisser leur place dans le parc social, ont perdu patience, se sont désistés. Les conditions d'achat seraient plus avantageuses si nous construisions des logements sociaux, mais la commune en compte déjà 50 %. »

Maires bâtisseurs, maires battus

L'Etat ou ses établissements publics « schizophrènes » sont ainsi souvent montrés du doigt et un épais mystère règne sur les méthodes d'évaluation de France Domaine : « Essayer d'acheter des terrains à RFF est une galère assurée, le ministère des Finances ne brade rien, mais avec l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, on peut négocier », constate un aménageur.

Des élus, plus vertueux, demandent aux promoteurs, contre des terrains au coût plafonné, de s'engager sur des prix de vente dits « maîtrisés », c'est-à-dire imposés par la collectivité. « Malheureusement, il arrive que les bilans annoncés soient faux. Tout le monde fait mine de ne s'en apercevoir qu'après, et le déficit est compensé par l'impôt », révèle un aménageur. Ce qui expliquerait en partie, au-delà de l'adage « maires bâtisseurs, maires battus », les déboires électoraux de certains édiles connus pour avoir soutenu d'ambitieux projets. En Seine-Saint-Denis, Jacqueline Rouillon, la maire communiste de Saint-Ouen a ainsi trébuché sur la marche de son quatrième mandat, avant la fin de l'aménagement des docks, un projet qu'elle portait depuis des années et qui va transformer la commune. « Les nouveaux arrivants ne sont pas encore là pour voter, ceux qui ont rejeté le projet sont ceux qui en subissent les nuisances, en paient la facture fiscale et n'iront pas y habiter », analyse un promoteur.

« Il reste des friches, mais peu. Les terrains sont déjà urbanisés, de plus en plus coûteux à dépolluer et transformer », constate Gilles Bouvelot, le directeur général de l'Etablissement public foncier d'Ile-de-France, dont l'action est censée réguler les prix en assurant le portage de terrains publics, revendus « pour la plupart entre 10 et 30 % sous les valeurs de marché ». « Pour équilibrer ces opérations, sans avoir à y injecter de l'argent public, il faudrait massifier, densifier, deux mots que les habitants ont en horreur, même s'ils ne signifient pas forcément construire en hauteur, ajoute Thierry Lajoie, le directeur général de l'Agence foncière et technique de la région parisienne (AFTRP). De nombreux maires se sont fait élire sur des programmes de densité faible dont on sait bien qu'ils sont économiquement non viables. Résultat aucun logement ne sera construit. »

Aux mains d'une chaîne d'acteurs qui ne se parlent pas toujours, dont les compétences se chevauchent ou entrent en concurrence, les projets prennent au mieux des années à sortir, au pire patinent ou reculent. Après deux ans de travail législatif et une incantation aux 500.000 logements par an qui n'a pas changé depuis 2007, les résultats sont quasi nuls. La production ne dépasse pas 330.000 unités et continue de baisser. La courbe des permis de construire annonce une année 2015 pire encore que 2014. En Ile-de-France, malgré le tracé du métro, censé générer la construction de nouveaux quartiers autour des gares, le choc foncier n'a pas eu lieu. Aucun indice n'annonce son prochain avènement.

Comment débloquer le système ? Thierry Repentin, le nouveau « monsieur Urbanisme » a accepté sa mission, à condition d'avoir les mains libres. Quitte à amender, s'il en était besoin, des textes adoptés aux cours des derniers mois. Comprendre : la loi Duflot. Il espère réactiver le plan local d'urbanisme intercommunal, PLUI, rendu quasi inopérant par le vote du Sénat « mais pas rejeté par les élus pour l'instant plus interrogatifs que négatifs », dit-il. Si certains maires voient dans cet outil le risque d'une dépossession de leurs pouvoirs, ils pourraient aussi s'en servir comme d'un parapluie, en se défaussant de leur responsabilité sur l'intercommunalité. C'est, en tout cas, à cette échelle que la gestion urbaine semble la plus pertinente. « L'Etat pourrait également se pencher sur les difficultés des maires qui ne construisent pas, poursuit Thierry Lajoie, tous ne sont pas seulement tétanisés par des craintes électorales. » Par des contraintes économiques aussi : si 11 millions de mètres carrés de bureaux nouveaux sont programmés dans les contrats de développement territoriaux signés entre les collectivités et l'Etat, c'est bien que ces immeubles constituent d'abord des recettes. Au contraire, tout nouvel habitant représente une charge financière - par les services publics qui lui sont dus -, doublée, peut-être, d'une menace de vote défavorable.

Des solutions existent, régulièrement évoquées : la mobilisation des fonds d'épargne de la Caisse des Dépôts ou la mutualisation, entre les plus riches et les autres, des droits d'enregistrement touchés par les communes et les départements à chaque transaction immobilière. Afin d'inciter les propriétaires privés à ne pas camper sur leurs parcelles, Christophe Caresche, député socialiste de Paris, devrait proposer, dans un amendement au projet de loi de Finances rectificative, un abattement de 40 % limité à deux ans sur les plus-value de cession de terrain à bâtir. Thierry Repentin, partisan de la taxation de la rétention, plusieurs fois rejetée par les parlementaires, y reviendra peut-être. Autre piste : des prix de terrains planchers compensés par une clause de retour à meilleure fortune dans le cas de plus-values. Vécue comme une recentralisation, l'intervention - même aimable - de l'Etat est suspecte. Sauf quand il investit dans les territoires. « Est-ce qu'une contrepartie ne serait pas légitime lorsque, par exemple, l'Etat déverse 30 milliards d'euros pour créer le Grand Paris Express ? », interroge Thierry Lajoie. Si personne n'ose vraiment l'évoquer tout haut, l'idée de contraindre les élus à partager la rente foncière semble faire son chemin.

Les points à retenir

Après deux ans de travail législatif et malgré l'objectif maintes fois réaffirmé de 500.000 nouveaux logements par an, le choc foncier n'a pas eu lieu.

La production de logements ne dépasse pas 330.000 unités et continue de baisser. La courbe des permis de construire laisse présager une année 2015 pire encore que 2014.

Une offre élargie de terrains pourrait aider à réformer et relancer la politique du logement. A condition de faire baisser les prix...

Catherine Sabbah

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