De violents affrontements ont opposé pendant des heures Palestiniens et policiers mercredi 2 juillet à Jérusalem-Est, zone occupée et annexée, après l'enlèvement et le meurtre d'un adolescent palestinien. Les heurts avaient éclaté en début de matinée peu après l'annonce de la mort de Mohammad Abou Khdeir, âgé de 16 ans et originaire de Shuafat, dans une apparente attaque de représailles après le meurtre de trois jeunes Israéliens en Cisjordanie.
Depuis trois semaines, les incidents se multiplient du fait de l'opération militaire d'envergure menée par les forces israéliennes en Cisjordanie – qui a fait cinq morts, des dizaines de blessés et conduit à plus de 400 arrestations – et des raids aériens sur la bande de Gaza, en réponse à des tirs de roquettes sur le sol israélien.
Abaher Al-Sakka, sociologue à l'université de Birzeit, à Ramallah, en Cisjordanie, analyse les réactions que provoquent ces nouvelles tensions avec Israël au sein de la société palestinienne.
Quelles sont les réactions au sein de la société palestinienne face à l'escalade des tensions avec Israël depuis l'enlèvement des trois Israéliens, le 12 juin ?
Pour une majorité de Palestiniens, l'enlèvement des trois Israéliens est vu comme une réaction normale à l'occupation israélienne. Il y a un fort ressentiment contre l'occupation israélienne et l'opération militaire menée depuis trois semaines.
L'Autorité palestinienne (AP) et son président, Mahmoud Abbas, essaient à tout prix de maintenir le calme et de garder une distance critique face à l'action des Israéliens et des colons. Mais cela suscite un fort ressentiment contre l'AP et de nombreuses critiques contre le discours tenu par M. Abbas. Il est vu comme destiné à la communauté internationale et totalement déconnecté de l'opinion publique palestinienne.
Le président s'en est justifié, disant préférer tenir un discours impopulaire plutôt qu'un discours populiste, contraire aux intérêts de son peuple.
Le Hamas profite de la situation car il est perçu comme une victime et le parti militant pour la cause nationale. Mais il est dans une position de faiblesse. Il a perdu énormément de soutien dans la bande de Gaza, du fait de son échec économique et de sa mainmise sur la société, qui s'exerce au détriment des libertés publiques, et à l'étranger, avec la chute de son allié au Caire, les Frères musulmans.
L'accord de réconciliation signé par le Fatah, du président Mahmoud Abbas, et le Hamas en avril semble mis à mal par les divergences entre les deux mouvements face à ces événements…
Les divisions idéologiques entre les deux mouvements sont profondes. L'AP est perçue comme défaitiste par le Hamas ; l'AP pense que le Hamas est populiste. On n'est pas dans une logique de réconciliation nationale.
Mahmoud Abbas s'est démarqué du Hamas [accusé par Israël d'être responsable de l'enlèvement des trois Israéliens] et ses forces de sécurité coopèrent avec Tel-Aviv car son existence même dépend du soutien de la communauté internationale. L'AP veut éviter d'être placée sous embargo par la communauté internationale. Elle est tellement faible et a perdu tellement de crédit nationaliste que sa seule légitimité tient au paiement des salaires. Aussi, Mahmoud Abbas n'a jamais cru en la résistance armée que prône le Hamas.
Depuis la signature de l'accord de réconciliation, la société palestinienne est pessimiste quant à sa pérennité. Elle estime que le Fatah et le Hamas se contentent de gérer la division mais ne cherchent pas à la dépasser. Les Palestiniens se sentent victimes de cela car, par exemple, le paiement d'une partie des salaires des fonctionnaires, et ce notamment dans la bande de Gaza, a été suspendu dans l'attente de la suite des négociations interpalestiniennes.
Certains évoquent la possibilité d'une troisième intifada, qu'en pensez-vous ?
Il y aura une troisième intifada, mais pas dans l'immédiat. Les conditions ne sont pas réunies car :
- premièrement, les forces de l'AP maintiennent une distance entre la population palestinienne et les forces israéliennes ;
- deuxièmement, du fait des divisions internes palestiniennes et du manque d'unité nationale ;
- troisièmement, parce qu'il n'y a pas de projet porteur, pas de leader ni d'alternative au Fatah et au Hamas.
La population est dans une logique d'attente, de désarroi. Si les colons tuaient plus d'enfants palestiniens ou qu'Israël décidait d'une opération d'envergure, oui, on s'orienterait vers une troisième intifada. Mais Israël va essayer de calmer les colons. Les Palestiniens qui affrontent aujourd'hui l'armée dans les quartiers de Jérusalem-Est ou près de Naplouse et Jénine sont des jeunes.
Il n'y a pas de mouvements qui les soutiennent ou de décisions politiques, que ce soit du Fatah, du Hamas ou des autres partis, derrière cette mobilisation. Ce sont des gens qui réagissent spontanément. Pour le moment, la confrontation devrait se maintenir à ce rythme sur les points de contact entre la population et l'armée.
Ces jeunes ont certes le soutien de la population mais peu de gens manifestent. Parce qu'il n'y a pas de groupe pour gérer le mouvement, parce qu'aucun parti n'a de légitimité actuellement, parce qu'il y a un désintérêt pour la politique politicienne et que, de toute manière, les gens ne voient pas en quoi manifester pourrait être utile. Les seuls appels émanant de la population visent à mettre sur pied des comités de protection locaux contre les attaques potentielles des colons.
La perspective qu'Israël mène une opération d'envergure contre la bande de Gaza et la Cisjordanie est-elle envisagée ?
Je ne pense pas que les Israéliens vont entamer une troisième guerre dans la bande de Gaza. Le Hamas enverrait des centaines de missiles en réponse, ce que n'encaisserait pas la population israélienne, et ça n'entamerait pas la force du Hamas mais lui amènerait plus de soutien encore. Israël ne veut pas l'effondrement de l'AP. De son côté, le Hamas, en position de faiblesse, n'a pas non plus intérêt à ce que la situation s'embrase.
Depuis quatre jours, ce n'est pas lui qui tire les missiles depuis la bande de Gaza, mais des petits groupes comme le Djihad islamique.
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