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Récit

Handicap à Disneyland : «De la discrimination au faciès pure et simple»

Pour dénoncer les discriminations subies à Disneyland Paris, deux groupes de personnes handicapées mentales ont filmé leur journée au parc. Résultat : stigmatisation dès l’entrée et mise à l’écart. Une association porte plainte.
par Lucas Burel
publié le 3 juillet 2014 à 16h13

Tout n'est pas parfait au pays de Mickey. L'Union nationale des associations de parents d'enfants inadaptés (Unapei), qui fédère 180 000 personnes, va déposer plainte ce jeudi pour des discriminations au sein du parc Disneyland Paris. En cause, une série de mesures s'appliquant aux personnes handicapées mentales que l'association juge «discriminantes et dégradantes».

Alertée depuis plusieurs mois par de nombreuses familles de personnes handicapées, l'Unapei avait pourtant, dès le mois de mai, pris contact avec la direction du parc qui, de son côté, se défend en évoquant «des impératifs de sécurité». Bien décidés à ne pas en rester là, deux groupes de personnes handicapées, avec leurs accompagnateurs, ont décidé de se rendre au parc, le 10 juin, et de filmer en caméra cachée leur journée. Ils ont raconté ce jeudi leur expérience et diffusé le film d'une dizaine de minutes. Le résultat : stigmatisation des personnes handicapées dès l'entrée dans le parc, mise à l'écart et files d'attente interminables. Récit de cette journée.

Cartes vertes

10h30. Arrivée à l'entrée du parc. Les handicapés souhaitant bénéficier d'un «Pass handicap» doivent immédiatement se manifester auprès de la billetterie. Pour obtenir le document, présenté comme un facilitateur par la direction du parc, les visiteurs handicapés doivent fournir des certificats d'invalidité et se rendre au «City Hall». Emelyne, l'une des membres du groupe, trisomique, reçoit sa «carte verte». Au dos de celle-ci, parmi d'autres mentions telles que «femme enceinte» ou «visiteur non-voyant», la case «déficience mentale» est cochée. «Les employés du parc se sont à peine adressés aux handicapés et toujours en les tutoyant», raconte Dominique Tabac, un des encadrants. Pour ce groupe composé de cinq personnes handicapées et trois accompagnateurs, la procédure va prendre une heure et demie.

L’autre groupe, formé de trois personnes handicapées, dont deux trisomiques, et un accompagnateur, se présente à la billetterie en ne spécifiant pas leur handicap. Ils ne sont pas autorisés à prendre leurs billets à un guichet classique et sont orientés vers l’accueil spécifique. Ce groupe a décidé de ne pas passer par le City Hall et ne possède donc pas les cartes vertes.

14 heures. Les deux groupes arrivent à Small World, une attraction parmi les plus calmes du parc. Le premier utilise le pass handicap et le second la file classique. Surprise, le groupe muni des cartes vertes est invité à prendre une entrée différente des autres visiteurs. Ils ont du mal à la trouver et pour cause, il s’agit de la sortie de l’attraction. Nouvelle déception, un membre du personnel signifie au groupe qu’ils ne pourront pas faire l’attraction ensemble mais un par un avec leur accompagnateur. Pour ce faire, le groupe doit prendre rendez-vous : leur passage est fixé à 17 heures, soit trois heures plus tard.

De son côté, le groupe sans cartes vertes utilise la file classique, qui est peu nombreuse. Arrivés à hauteur des wagons et alors qu'ils s'apprêtent à y rentrer, le groupe est intercepté par un agent qui lui signifie l'interdiction de monter dans le manège : «C'est mieux pour vous», lâche-t-il, sans plus d'explications. «Violence morale, humiliation» : ce sont les termes qui viennent aux lèvres de Julien, trisomique, quand il évoque cet épisode et sa mise à l'écart devant tous les autres visiteurs. L'accompagnateur a beau faire valoir que les membres du groupes sont autonomes, l'employé est inflexible : le groupe doit aller se munir de cartes vertes. Sans cela, ils ne pourront faire aucune attraction.

 «Méconnaissance»

17 heures. Nouveau malaise. Alors que c'est enfin au tour du second groupe de faire l'attraction Small World, le manège tombe en panne et les visiteurs sont évacués. La personne handicapée l'est en dernier. «Le mot "prioritaire" ne semble pas avoir la même signification pour tous», commente un des accompagnateurs. Interrogé sur ces dysfonctionnements, le personnel du parc évoque une loi de 2007 relative à l'accueil des personnes handicapées et les critères de sécurité mis en place par le parc depuis un an. «Vous avez signé la carte verte, vous êtes donc d'accord», se voit rétorquer le groupe. Fin de la discussion.

18h30. Le second groupe est de retour du City Hall où il a pu se procurer les cartes vertes. Leur rendez-vous pour l'attraction, à laquelle ils ont déjà fait la queue quatre heures plus tôt, est pris à 19 heures. Arrivé à 10 heures du matin, le groupe n'a encore pu participer à aucune attraction. Au même moment, deux accompagnateurs et deux personnes handicapées peu stigmatisées physiquement utilisent la file classique d'un autre manège et peuvent y participer sans aucune restriction. «Un exemple parfait de la méconnaissance de la question du handicap par le parc qui se base uniquement sur l'apparence physique des gens pour déterminer s'ils sont en situation de handicap ou pas. C'est de la discrimination au faciès pure et simple», explique Christel Prado, présidente de l'Unapei.

20 heures. Fin de la journée. Les deux groupes quittent le parc, déçus et fatigués, et passent devant les panneaux colorés et scintillants de Marne-la-Vallée qui clament «Disneyland Paris, venez vivre la magie»...

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