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EnquêtePollutions

Près du Mans, 20 000 tonnes de déchets toxiques abandonnés à ciel ouvert

L’entreprise Mercure Boys Manufacture (MBM), liquidée en mars 2014, a laissé sur place une énorme quantité de broyats de tubes cathodiques, contenant des métaux toxiques susceptibles de polluer l’air et les sols. Cette situation fait douter de l’efficacité de la filière de traitement des déchets d’appareils électriques et électroniques.


Des tas de résidus sombres, à même le sol, parfois sous des bâches déchirées. Dans des halles abandonnées, du broyat non trié. Des fûts de produits chimiques inutilisés, laissés à l’extérieur des bâtiments.

Nous sommes au fond de la zone industrielle de Voivres-lès-Le-Mans (Sarthe). A cet endroit, il y a encore trois mois, l’entreprise Mercure Boys Manufacture traitait les tubes cathodiques, composé principal des écrans de télévision et d’ordinateurs. En liquidation judiciaire, elle a maintenant disparu, laissant derrière elle 20 000 tonnes de déchets toxiques.

Des déchets dangereux

« Ces déchets dangereux ont des teneurs élevés en plomb, en mercure, en cadmium et contiennent des terres rares très faiblement radioactives » alerte Jacky Bonnemains, de l’association Robin des bois, qui révèle le désastre.

Normalement, la procédure de traitement des tubes cathodiques est précise, pour éviter toute contamination des employés, de l’air et des sols. Pourtant, les tas de broyat de tubes débordent des aires de stockages, libèrent des poussières diffuses et des eaux de ruissèlement non canalisées.

« Nous demandons un suivi médical desdix-huit salariés qui travaillaient là jusqu’à leur licenciement en décembre 2013 » déclare Jacky Bonnemains. L’association souhaite aussi que soit mise en place une véritable filière de traitement des déchets recyclables.

Une situation récurrente

Car si la filière existe, notamment par le biais des éco-organismes (chargés de la collecte et de la bonne fin des déchets électriques et électroniques), ce n’est pas la première fois qu’une grande quantité de déchets toxiques est laissée à l’abandon.

En 2003, l’usine de recyclage Zimaval, à Falaise (Calvados), abandonne à ciel ouvert trois mille tonnes de piles usagées. En 2011, près du Havre, l’entreprise Citron (Centre international de traitement et de recyclage des ordures nocives) est liquidée, laissant sur place cent mille tonnes de déchets dangereux.

Dans les trois cas, le scénario est le même : une entreprise qui se présente comme exemplaire et vante ses qualités environnementales, mais qui se retrouve en liquidation judiciaire, laissant ses salariés sur le carreau et des stocks démesurés à l’abandon.

Procédé de dépollution non respecté

A Voivres-lès-Le-Mans, la chute commence à l’été 2013. Eco-systèmes, l’éco-organisme dont MBM est sous-traitant, procède à son inspection annuelle. « On s’est rendus compte que MBM ne respectait pas le procédé de dépollution, explique Véronique Poirier, d’Eco-systèmes. Les tubes étaient pris au grappin, sans précaution et tombaient par terre. »

L’éco-organisme rompt son contrat au mois de septembre. Entre temps, la préfecture de la Sarthe adresse à MBM une mise en demeure, le sommant de cesser le broyage des tubes à l’air libre et d’évacuer les déchets dangereux en mélange stockés à même le sol. Ce sont 25 000 tonnes de broyat, une quantité illégale selon le journal Le Maine Libre : la limite autorisée s’élevait à 1 500 tonnes. En novembre, l’entreprise est mise en redressement judiciaire, en décembre elle se sépare de ses dix-huit employés.

« Le stock grossissait et ne trouvait pas de débouchés, raconte Jacky Bonnemains, de Robin des Bois. Le directeur de MBM prétendait avoir trouvé une solution pour réutiliser le verre des tubes, en Hollande, mais ça n’a jamais fonctionné. »

Pour l’instant, aucune procédure judiciaire ne le vise. La préfecture de la Sarthe reste muette, ne répondant pas aux questions de Reporterre. Le liquidateur judiciaire s’emploie à retrouver l’origine des restes, ce qui n’est pas simple. De son côté, Eco-systèmes s’est engagé à reprendre les 4 500 tonnes qu’il avait livrées à MBM

Les tubes cathodiques : des déchets sans débouché

L’avenir des tubes cathodiques usagés reste flou. Jusque dans les années 2000, ils étaient recyclés pour faire de nouveaux tubes, alimentant la consommation en télévisions et en ordinateurs. Mais l’arrivée des écrans plats les a rendus obsolètes.

Désormais, il faut trouver d’autres débouchés pour ces déchets. « Nous incorporons le verre à des blocs de béton, placés sur les autoroutes, explique Véronique Poirier d’Eco-systèmes. Nous étudions aussi un moyen pour faire du verre une mousse isolante destinée aux habitations. » Mais selon l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) ces filières sont encore peu nombreuses et souvent à l’état d’expérimentation.

- Big bags (premier plan) contenant des broyats de verre d’écrans concassés et tas en vrac des mêmes broyats (au fond) – Au centre, écrans d’ordinateurs stockés en caisses en treillage métallique en attente de traitement. -


OU VONT NOS TELEVISIONS ET ORDINATEURS USAGES ?

Depuis 2006, les distributeurs sont obligés de reprendre les équipements électriques et électroniques usagés (machines à laver, téléphones portables, télévisions, perceuses, lampes, etc.). En 2012, plus de 470 000 tonnes de ce type de déchet (ménagers et professionnels) avaient été collectées. 77 % ont été recyclés, 13 % ont été détruits, 7 % ont servi à la valorisation énergétique et 2 % ont été réemployés.

Ce sont les éco-organismes qui organisent la filière. En France, cinq sont agréés par l’Etat : Eco-systèmes, Ecologic, ERP et Récylum. Les déchets ménagers sont collectés en déchetterie, en magasins où ils sont retournés, auprès des acteurs de l’économie sociale et solidaire comme Emmaüs ou chez le producteur.

Les éco-organismes sous-traitent l’enlèvement, le transport, la dépollution, le recyclage et la valorisation de ces déchets. Parfois, les fabricants ne passent pas par les éco-organismes et gèrent seuls le transport et le traitement des déchets.

Pour les déchets ménagers, ce système est financé en partie par l’éco-contribution, une somme que le consommateur verse lors de l’achat de l’appareil. Cette somme est reversée aux éco-organismes.

(A partir des informations de l’Ademe : Ademe)

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