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Décryptage

Partout en Europe les magistrats peuvent se syndiquer

Si en Grande Bretagne, en Espagne et, de l'autre côté de l'Atlantique, au Canada, le droit d'adhérer à un syndicat est limité ou interdit, ces pays sont très minoritaires.
par Juliette Deborde
publié le 5 juillet 2014 à 12h07

Interdire aux juges d'être membres d'un syndicat ? C'est en tout cas ce que souhaitent plusieurs élus UMP, mécontents que le dossier de Nicolas Sarkozy soit traité par une juge membre du Syndicat de la magistrature (SM), classé à gauche. Pour Henri Guaino, le syndicalisme serait même devenu «un des plus grands maux de la magistrature» et il faudrait l'interdire. En mai dernier, Eric Ciotti, député UMP des Alpes-Maritimes, avait d'ailleurs déposé à l'Assemblée nationale une proposition de loi en ce sens. Le syndicalisme dans la magistrature n'est pourtant pas une exception française. Démonstration.

Europe : les juges peuvent se syndiquer presque partout

Belgique, Allemagne, Autriche, Italie, Grèce, Portugal, Pologne…: la quasi-totalité des pays européens autorise les magistrats à faire partie d'une organisation professionnelle. En fonction des traditions politiques et des ordres juridiques des pays, on parle de syndicats, d'associations, ou encore d'associations syndicales. «Quelle que soit l'appellation, l'objectif est le même : la défense de l'indépendance de la justice et des droits des magistrats», explique Marie-Blanche Régnier, élue au bureau de l'association européenne MEDEL [Magistrats européens pour la démocratie et les libertés], et membre du Syndicat de la magistrature. «L'association des juges et des procureurs serbes, par exemple, a beau être une association, elle a eu un vrai rôle syndical en 2009, quand un tiers des magistrats serbes ont été révoqués», se souvient la juge. L'article 11 de la Convention européenne des droits de l'homme associe d'ailleurs liberté syndicale et associative.

Espagne : l’exception européenne

En Europe, seule l'Espagne fait figure d'exception. La Constitution de 1978 interdit en effet à tout magistrat en activité d'appartenir à un syndicat ou à un parti politique. «Les juges et les magistrats ainsi que les procureurs, tant qu'ils sont en activité, ne peuvent exercer d'autres charges publiques ni appartenir à un parti politique ou à un syndicat», souligne ainsi l'article 127 du texte. Une interdiction censée garantir leur impartialité. Une loi organique de 1985 considère même le fait d'appartenir à un syndicat ou un parti politique comme une «faute disciplinaire très grave». Il existe cependant des relais plus implicites, sous la forme d'associations professionnelles de juges, comme «Jueces para la democracia» et «Union progresista de fiscales».

L'Espagne n'a pas vraiment le choix : la Charte sociale du Conseil de l'Europe garantit la liberté syndicale des magistrats. «Le droit européen reconnaît tout de même une marge de manœuvre aux différents Etats», explique Thierry Rambaud, professeur de droit public à Paris-Descartes. Le droit espagnol prévoit donc d'autres solutions pour défendre leurs intérêts des juges. «C'est d'ailleurs la proposition que forment les parlementaires qui souhaitent interdire le syndicalisme des magistrats en France : l'association professionnelle serait toujours permise.»

Grande-Bretagne : la neutralité avant tout

Outre-Manche, il n'est pas formellement interdit aux juges de se syndiquer, mais les conditions sont plus strictes. Le mot d'ordre : la neutralité absolue. Le «guide relatif aux activités annexes des juges», un document officiel publié en 2000 met en garde sur les risques d'un quelconque engagement politique ou associatif des magistrats : «les juges ne doivent pas s'engager, à quelque titre que ce soit, dans une activité qui pourrait porter atteinte à leur indépendance ou à leur impartialité», précise le texte, qui énumère plusieurs situations, et la conduite à adopter. «En Grande-Bretagne, il existe une vraie volonté de garantir à tout prix l'impartialité et l'indépendance du Civil Service, la haute fonction publique britannique», indique Thierry Rambaud.

Canada : ne pas «donner l’impression d’être activement engagé en politique»

Le juge canadien, dès sa nomination, doit mettre fin à ses éventuelles activités politiques ou associatives. Les magistrats canadiens ne doivent en aucun cas donner «l'impression qu'ils sont activement engagés en politique», fait valoir le Conseil canadien de la magistrature, dans ses «Principes de déontologie judiciaire» (1998). Pas question pour les juges canadiens de participer à des débats et des réunions politiques, d'adhérer à un groupe ou à une organisation, ni de signer des «pétitions visant à influencer une décision politique.» Marie-Blanche Régnier, du Syndicat de la magistrature met en garde : «il ne faut pas confondre syndicalisme, le fait de pouvoir faire entendre ses intérêts professionnels, et engagement politique». En France aussi, l'ordonnance de 1958, relative au statut de la magistrature, prévoit un certain nombre d'interdictions, dont la participation à une délibération politique, au nom du devoir de réserve et de l'impartialité.

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