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Omerta sur les pesticides dans le vignoble bordelais

Les riverains demandent la mise en place de zones non traitées le long des lieux de vie. En mai, 23 enfants ont été intoxiqués après l'épandage de fongicides près de leur école.

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Publié le 04 juillet 2014 à 10h26, modifié le 06 juillet 2014 à 22h45

Temps de Lecture 6 min.

En Gironde, vignobles et habitations coexistent depuis longtemps.

Villeneuve et Léognan (Gironde), envoyée spéciale

Villeneuve, 402 habitants, 250 hectares de vignes. Dans ce village du Blayais, à une heure de Bordeaux, les ceps sont partout : jusqu'au pied des habitations, de la mairie et surtout de la petite école primaire aux murs blancs, enclavée dans la vallée verte. C'est là que 23 enfants de 8 à 10 ans et leur enseignante ont été pris de malaises, le 5 mai, après l'épandage de fongicides sur les parcelles voisines. Depuis, la colère et l'inquiétude face aux pesticides ont gagné les riverains des vignobles bordelais. Un sujet sensible tant le vin est au cœur de l'économie et du prestige de la région.

Face à l'emballement autour de l'incident, le préfet de Gironde a pris un arrêté, le 23 juin, pour interdire l'épandage de produits phytosanitaires à moins de 50 mètres des établissements scolaires lors des entrées et sorties d'élèves. Dans le département, 164 établissements se situent dans ce périmètre !

L'affaire s'exporte désormais au-delà du terroir bordelais : le gouvernement vient d'inscrire un amendement dans son projet de loi d'avenir pour l'agriculture afin d'encadrer plus strictement, sur l'ensemble du territoire, l'usage des pesticides à proximité des écoles, crèches, hôpitaux et maisons de retraite. Le texte doit être débattu à l'Assemblée nationale les 7 et 8 juillet.

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Lire aussi : Pourquoi le gouvernement veut agir contre les pesticides

Une pétition de l'association Générations futures, demandant l'interdiction de pulvériser des pesticides le long des habitations et des écoles, partout en France, a par ailleurs rassemblé 120 000 signatures en deux semaines. « On commence enfin à nous entendre sur les dangers de ces substances pour la santé, se réjouit Nadine Lauverjat, chargée de mission pour l'ONG. Mais il a fallu qu'il y ait une intoxication pour que les choses avancent. »

« SYMPTÔMES CONCORDANTS »

Le groupe scolaire Jean-Jaurès a Léognan le centre de loisir à côté des vignes.

En cette journée très chaude du lundi 5 mai, deux domaines viticoles traitent leurs parcelles qui jouxtent l'école de Villeneuve : le premier, le château Escalette, conduit en viticulture biologique, applique du soufre et du cuivre, tandis que le second, le château Castel La Rose, vignoble en conventionnel, répand de l'Eperon et du Pepper, deux produits utilisés pour lutter contre le mildiou et l'oïdium.

« Au retour de la pause déjeuner, les enfants ont été pris de nausées, de forts maux de tête, de picotements aux yeux et d'irritations de la gorge, tandis que l'enseignante a été emmenée aux urgences », relate Pierre Kessas, l'inspecteur de la circonscription de Blaye. Le directeur de l'école confine les enfants puis appelle le SAMU et le centre antipoison du CHU de Bordeaux. Les élèves sont examinés le reste de la journée, avant de reprendre la classe le lendemain.

Lire aussi : Pesticides : risques avérés de cancers, infertilité, malformations

La préfecture de Gironde diligente rapidement une enquête auprès de la Direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (Draaf) et de l'Agence régionale de santé (ARS). Dans leur rapport, les fonctionnaires restent prudents. « On ne peut pas établir de lien de causalité mais les symptômes des enfants sont concordants avec les effets connus des fongicides utilisés », avance Martine Vivier-Darrigol, responsable de la veille sanitaire à l'ARS.

« CAMPAGNE DE CALOMNIE »

Reste la question de la météo. Un arrêté de 2006 stipule que la pulvérisation de pesticides est interdite quand les vents soufflent à plus de 19 km/h. François Hervieu, chef de service à la Draaf, estime que « l'on ne peut pas prouver avec certitude qu'il y avait des vents forts partout en Gironde », même si « tout indique que l'épandage s'est déroulé dans des conditions inappropriées ».

Des conclusions insuffisantes pour l'association de protection de l'environnement Sepanso Gironde, qui a déposé une plainte contre X devant le procureur de la république de Libourne. « C'est un événement grave qu'on ne peut pas laisser passer », dénonce Daniel Delestre, son président.

Le Chateau Malartic-Lagravière, l'un des seuls six crus bordelais classés en blanc et en rouge.

Dans les bureaux du modeste domaine Castel La Rose, l'un des deux vignobles soupçonnés, Catherine Vergès, à la fois viticultrice et maire de Villeneuve, s'indigne de la « campagne de calomnie » à son égard. « Comment peut-on imaginer que je puisse empoisonner nos têtes blondes ? En trente ans, je n'ai jamais traité quand les enfants étaient dans la cour, martèle-t-elle. Cette école, je l'ai moi-même fréquentée, ainsi que mes enfants. »

Celle qui exploite en famille 23 hectares de côtes-de-bourg et de bordeaux explique être passée en viticulture raisonnée pour « réduire les doses et les coûts » des fongicides. Elle reconnaît toutefois « ne pas regarder la force des vents » : « S'il y a du vent, ça dilue les produits et ils ne peuvent pas se fixer sur l'école, non ? » Face, dit-elle, à la « psychose », Mme Vergès s'est résignée, en tant que maire, à interdire les épandages autour de l'école entre 8 heures et 18 heures.

« C'EST UN MANQUE DE BON SENS ! »

« Je pense que les viticulteurs ont compris le message », glisse Sandra à la sortie de l'école. Son fils Rémi, huit ans et demi, est l'un des élèves tombés malades le 5 mai. « J'étais très en colère ce jour-là : ils ont sulfaté alors qu'il y avait beaucoup de vent, c'est un manque de bon sens », dit-elle. Avant de tempérer : « Il faut mettre des pesticides, on le sait, mais il faut faire attention. » Cette aide-soignante, comme beaucoup d'autres habitants de Villeneuve, a de la famille dans la viticulture.

« La vigne fait vivre beaucoup de gens ici, alors il y a une loi du silence. On ne veut pas d'ennuis », prévient Raymond Jagielka, dont les ceps bordent la maison. Cet habitant, atteint de problèmes respiratoires, est persuadé que les pesticides aggravent ses maux. « A chaque épandage, j'ai des crises et je dois m'enfermer chez moi. La réglementation sur les vents n'est pas respectée, témoigne-t-il. J'attends la retraite pour déménager. »

A quelques pâtés de maisons, Line Héraud, Villeneuvoise depuis trente-cinq ans, assure ne pas être incommodée, « même si, oui, il y a une odeur ». « Les gens qui arrivent de la ville ne sont pas habitués. Mais ils sont contents de boire du vin », lance-t-elle.

« BEAUCOUP OSCILLENT ENTRE LE DÉNI ET LE FATALISME »

Emmanuelle Reix (à gauche) a créé le collectif Alerte pesticides avec des parents d’élèves de Léognan (Gironde), comme Nelly Grou Radenez.

A 60 kilomètres de là, à Léognan, Emmanuelle Reix a longtemps entendu les mêmes railleries. Quand cette professeure de lettres y emménage en 2009, et qu'elle inscrit ses enfants à l'école Jean-Jaurès, également enclavée dans les vignes, elle s'émeut des épandages de pesticides alors que les enfants jouent dans la cour. « J'ai tapé à la porte des domaines viticoles et de la mairie, mais en vain. Quant aux habitants, il y a une omerta. Beaucoup oscillent entre le déni et le fatalisme », raconte-t-elle dans sa jolie maison de bois, située à 200 mètres des vignes.

Alors, quand Générations futures fait analyser les cheveux des enfants vivant près de zones agricoles, elle inscrit trois de ses quatre enfants. Les résultats tombent le 29 avril : 21 résidus de pesticides, en moyenne, sont détectés sur chaque mèche, dont des substances interdites dans l'agriculture.

De nombreux parents, inquiets, la contactent. Emmanuelle Reix fonde dans la foulée le collectif Alerte pesticides, qui réunit 40 adhérents. « C'est surtout l'épisode de Villeneuve qui a fait bouger les choses : le château Larrivet Haut-Brion, en bordure de notre école, s'est depuis engagé à ne pas épandre sur le temps scolaire et périscolaire », se félicite-t-elle.

Jeudi 3 juillet, son collectif menait une action devant l'établissement Jean-Jaurès, avec des membres de Générations futures, pour « aller plus loin » et interdire les épandages jusqu'à 200 mètres autour des établissements scolaires.

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