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Économie

La vérité sur les fameux privilèges corses

L’île bénéficie de nombreuses dérogations fiscales et d’aides de l’Etat. Mais leur remise en question, initiée par le gouvernement, s’annonce périlleuse.
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Manifestations de lycéens à Corte, le 29 janvier.
AFP

Malgré le soleil, Marylise Lebranchu peut s’attendre à un accueil glacial pour sa visite le 7 juillet sur l’île de Beauté. La ministre de la Décentralisation et de la Fonction publique, qui vient poursuivre le dialogue sur une réforme institutionnelle de la Corse, sera confrontée à des élus exaspérés par un gouvernement qui reste sourd à leur revendication phare : réviser la Constitution pour consacrer la spécificité de l’île. La collectivité territoriale de Corse (CTC), conseil régional aux compétences étendues, la réclame pour entériner des résolutions qu’elle a votées. Telle l’introduction du corse comme colangue officielle, ou l’obligation pour accéder à la propriété de résider sur l’île depuis cinq ans. Surtout, la CTC veut étendre ses prérogatives fiscales, se faisant transférer la levée, notamment, des droits de succession. Paul Giaccobi, président (PRG) de l’exécutif de la CTC, pointe en la matière que "d’autres territoires, telle la Nouvelle-Calédonie, disposent d’une large autonomie fiscale, ou au moins, comme l’Alsace-Moselle, d’une fiscalité dérogatoire intangible".

Taux réduits jugés inefficaces

La question est sensible, tant les Corses ont mal vécu la fin, au 31 décembre 2012, d’un privilège vieux de deux siècles (arrêté Miot) exonérant de frais d’actes et droits de succession les bâtiments situés en Corse. Le gouvernement avait admis sa prorogation jusqu’en 2017, mais s’est fait retoquer par le Conseil constitutionnel : jusqu’en 2017, les héritiers bénéficieront encore d’une réduction de 50%. Après, ils rentreront dans le droit commun. Autre dérogation fiscale biséculaire en sursis : la moindre taxation du tabac qui rend les cigarettes 25% moins chères sur l’île. La Commission européenne réclame depuis dix ans à la France d’aligner la taxe sur celle de la métropole. Paris a obtenu des reports jusqu’à fin 2015, mais Bruxelles n’acceptera plus de prolongation.

Pour éviter d’autres mauvais coups, la Corse veut donc sécuriser son statut fiscal particulier. Car l’île bénéficie historiquement d’un empilement hétéroclite de dérogations d’impôts. Dans son rapport d’évaluation des niches fiscales et sociales publié en 2011, l’Inspection générale des finances (IGF) en a recensé une quinzaine. Au premier rang, une TVA minorée : les produits alimentaire, les livres, les transports publics sont taxés à 2,1% au lieu de 5,5% ; l’électricité, les travaux immobiliers, à 10%, contre 20%, et les carburants à 13% ; sans compter le vin produit et consommé sur place et les billets de ferry ou d’avion vers la Corse, totalement exonérés. Ces taux réduits sont censés compenser les coûts d’importation vers l’île et l’étroitesse de son marché. Mais l’IGF les juge "inefficaces", assurant que "l’objectif serait mieux poursuivi par le renforcement de la concurrence".

Priorités aux dépenses

Des avantages fiscaux visent également à stimuler l’économie -insulaire : diverses exonérations d’impôt des sociétés et de cotisation foncière pour les PME, de taxe foncière sur les terres agricoles, crédit d’impôt pour les investissements dans l’île… Là encore, le verdict de l’IGF est sévère, les jugeant "sans effet perceptible sur le développement et l’emploi". Au total, le manque à gagner dépasse 400 millions d’euros par an pour l’Etat… Impressionnant pour un territoire de moins de 310.000 habitants ! Pourtant, au ministère du Budget, la remise à plat des dérogations fiscales de l’île n’est pas une priorité. "L’objectif est d’abord de faire des économies, non de toucher encore aux impôts, décrypte un haut fonctionnaire de Bercy. D’autant que, dans les niches corses, les chiens sont particulièrement féroces." Le danger pour l’île de Beauté vient donc bien plutôt d’un tarissement à venir des aides.

Car, là aussi, le territoire est très gâté. Outre des dotations annuelles de l’Etat, plutôt plus généreuses que la moyenne, la Corse a également bénéficié, depuis dix ans, d’un soutien financier hors norme à travers les contrats de plan Etat-régions, et surtout le Programme exceptionnel d’investissement (PEI). Mis en place à la suite des accords de Matignon en 1999, après une décennie de violence et l’assassinat du préfet Claude Erignac, le PEI a consisté à investir presque 2 milliards d’euros en dix-sept ans en Corse pour rattraper son retard de développement, d’infrastructures de transport, d’équipements et services publics. L’île, en tant que région pauvre, a aussi reçu d’importants subsides du Fonds européen de développement régional (Feder).

"Fin des années fastes"

 

Au total, cette dernière décennie, entre les engagements de l’Etat dans les contrats de plan et le programme d’investissement et les fonds européens, la Corse a touché 557 euros d’aide par an et par habitant, contre 77 euros en moyenne pour les autres régions. A quoi s’ajoutent les cadeaux fiscaux, 1.307 euros par habitant. "Ce déluge d’argent a servi à acheter la paix plus qu’à soutenir la Corse, peste le centriste Charles de Courson, pilier de la commission des Finances de l’Assemblée et auteur de l’abrogation de l’arrêté Miot. Il n’a fait qu’installer une économie d’assistanat sans stratégie et encourager le clientélisme de l’élite politique au travers des attributions de marchés et d’emplois publics." François Lalanne, secrétaire général aux affaires corses à la préfecture de région, est évidemment plus nuancé : "L’intense effort financier de l’Etat a sorti l’île de la misère", constate-t-il.

De fait, la Corse a connu depuis vingt ans la plus forte croissance de toutes les régions. Son PIB la classe désormais au 14e rang sur 22. Les Corses sont plus riches que les habitants du Nord-Pas-de-Calais, du Languedoc-Roussillon et de Lorraine. Mais à partir de 2020, l’île se retrouvera au même régime sec que les autres régions. "Les élus doivent se préparer à la fin des années fastes, avertit Lalanne. Les collectivités locales ont pris l’habitude de ne pas avoir à investir, elles sont trop dispendieuses, notamment pour leur personnel. Elles doivent serrer les vis, ne serait-ce que pour pouvoir entretenir leurs équipements." A lire les rapports de la chambre régionale des comptes sur la gestion du personnel de nombre d’instances publiques corses – sureffectifs, -gaspillage d’heures supplémentaires, primes indues, congés trop généreux, absentéisme… –, c’est un vrai défi. 

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