Aix : les avocats défient une fois de plus leur ministre

Avec cette troisième grève générale, en quelques semaines, les avocats aixois espèrent faire revenir leur ministre, Christiane Taubira, sur son projet de "taxe".

Avec cette troisième grève générale, en quelques semaines, les avocats aixois espèrent faire revenir leur ministre, Christiane Taubira, sur son projet de "taxe".

photos C.S. et F. S.

Aix-en-Provence

Le fonctionnement de la justice sera perturbé ce lundi par la grève générale des avocats

Au départ, c'était une bonne idée. De celles-là mêmes qui font progresser une société. Et c'est dans l'esprit des avocats qu'elle avait germé au début du 19e siècle... Qui mieux que ces hommes et ces femmes, qui se lèvent pour défendre le plus faible, pour imaginer un système d'accès à la justice pour tous ? 

La coutume deviendra règlement, puis loi, en 1991. Dans un large consensus, politiques et avocats dessinaient alors les contours de ce qui permet, depuis, à des milliers de personnes de bénéficier gratuitement de précieux conseils. Pour la garde d'un enfant, un litige avec son employeur ou encore l'assistance d'un prévenu devant une juridiction criminelle... Mais aujourd'hui, cette bonne idée se retrouve au coeur d'une des crises les plus graves entre les avocats et leur ministre, Christiane Taubira.

Pour la troisième fois en quelques semaines, le Barreau aixois observera, toute la journée, "une grève totale", votée à l'unanimité du Conseil de l'Ordre. "Sauf quand l'enjeu de la liberté est réellement en cause", prend soin de préciser, Josiane Chaillol, bâtonnier d'Aix-en-Provence. Une délégation aixoise s'est, par ailleurs, rendue à Paris, pour participer à une manifestation nationale contre la réforme de l'aide juridictionnelle.

En 20 ans, le nombre de missions des avocats a triplé

Mais qu'est ce qui provoque le soulèvement des robes noires ? La crise ! Si depuis 1991, le nombre d'avocats s'est multiplié, celui des pauvres a explosé. De 348 000 en 1991, le nombre de missions est passé à plus de 915 000 en 2012. Par nécessité ou conviction, certains cabinets d'avocats ont tenté d'absorber comme ils ont pu ces dossiers d'AJ.

À Aix, ils sont environ un avocat sur deux. Forcément, la machine s'est enrayée et les dysfonctionnements, nombreux, nuisent autant aux justiciables qu'aux cabinets. Certains travaillent même gratuitement, voire paient de leur poche pour défendre.

La bonne idée commence donc à devenir pesante pour certains cabinets alors que d'autres, dont le contentieux (droit commercial, droit international...) échappe au champ d'application de l'AJ, ne participent pas à cet effort collectif. L'avocat doit-il donc, se montrer plus solidaire suivant la spécialité qu'il a choisie ?

Au-delà des incontournables économies budgétaires et recherches de nouvelles recettes pour des finances publiques exsangues, l'argument "d'une meilleure répartition de la charge de l'AJ" au sein de la profession pourrait, aussi, avoir nourri la réflexion sur cette réforme tant contestée.

Le 27 juin dernier, devant le conseil national des Barreaux, Christiane Taubira, dans une ambiance tendue, rappelait que "cet instrument de solidarité était à bout de souffle" et qu'il était indispensable de mettre en place une "véritable politique nationale de solidarité". "Dans une ambition de justice sociale, il incombe à la gauche, plus qu'à d'autres, de faire cette réforme", a martelé la ministre.

Au-delà de la revalorisation de l'unité de valeur (UV) qui permet à l'avocat d'être indemnisé et de l'élargissement du contentieux couvert par l'AJ, la Garde des sceaux a imaginé une taxe sur le chiffre d'affaires, "ou mécanisme interne de solidarité", afin que les cabinets qui ne font pas du tout d'AJ participent à "l'effort collectif".

Pourquoi la taxe sur tous les contrats juridiques n'a pas été retenue?

C'est bien cette taxe qui fait hurler la profession et provoque ces grèves à répétition. "Pourquoi le timbre fiscal à 35 , nécessaire pour introduire chaque procédure, sauf au pénal, a-t-il été supprimé ? interroge, excédé un avocat. Il permettaitde faire entrer 60 millions dans les caisses de l'État pour financer, notamment, l'AJ ! Et personne ne rechignait à le payer. Là, on nous demande de financer l'AJ, laquelle déjà, paie mal !".

Cette taxe a d'autant plus de mal à passer que les Barreaux avaient avancé d'autres pistes de financement.

"On proposait une taxe sur tous les contrats juridiques, y compris d'assurance, afin d'avoir la plus large assiette possible pour financer l'AJ, rappelle Me Vincent Penard, membre de la Fédération nationale des Unions des jeunes avocats. Or, les cabinets d'assurance ont refusé et ont mis la pression sur le gouvernement !"

"On demande aux avocats de payer pour défendre les gens, peste un autre. Demande-t-on aux médecins de financer la CMU ? Non !" "Les médecins ont l'obligation de recevoir les patients bénéficiaires de la CMU sous peine de poursuites pénales", a rétorqué sèchement Christiane Taubira devant le Conseil national des Barreaux, alors que l'AJ reste soumise au volontariat...

La bonne idée du départ semble donc être devenue un fardeau, de plus en plus lourd, car supporté de façon inégalitaire.

Et d'autant plus injuste que la crise frappe aussi les cabinets d'avocats. "L'AJ ne survivra que si un système plus équitable est trouvé", assure une avocate. À moins que certaines robes noires ne partagent plus la philosophie de la loi de 1991. Mais, ça, c'est un autre débat...


"Sur certains dossiers, on travaille à perte. On doit donc faire des choix"

Si Me Gaëlle Baptiste a intégré, à la sortie de l'école, un cabinet plutôt spécialisé dans le droit immobilier, elle continue à faire du droit pénal et du droit civil. "Sur l'ensemble de mes dossiers, les missions d'aide juridictionnelle représentent environ 25 %", souligne la jeune avocate pour qui l'AJ a "toujours été une évidence".

Une fois inscrite au Barreau aixois, la jeune avocate a donc très vite entamé les démarches auprès de l'Ordre. "Pour pouvoir être désigné, on s'inscrit sur une liste en choisissant deux domaines de compétence afin de garantir une certaine qualité dans le conseil et l'assistance, explique-t-elle. 

Si on ne figure pas sur cette liste, on ne peut faire appel à nous pour assurer une mission d'aide juridictionnelle. C'est la même chose, le volontariat est un principe, pour les avocats commis d'office".

Des dossiers de plus en plus difficiles à traiter

Depuis quatre ans, Me Baptiste s'est frotté de près aux incohérences et aux insuffisances du système. Les loupés, les longueurs dans le traitement des dossiers, les pièces manquantes... "Il m'est arrivé d'être désignée une fois le procès en correctionnelle passé", raconte-t-elle.

Dans ce cas, le prévenu fait appel à l'avocat commis d'office. S'il est détenu, l'aide juridictionnelle s'applique automatiquement. S'il est libre, il est censé avoir ses justificatifs de ressources sur lui. "Et on monte le dossier a posteriori"... ou pas !

Si le prévenu disparaît dans la nature ou si le bureau de l'aide juridictionnelle refuse le dossier, l'avocat aura travaillé gratis. "Ça arrive bien trop souvent, déplore la jeune avocate. Déjà qu'une après-midi passée en correctionnelle est assez mal payée... 188 euros !"

Quant à l'assistance devant le juge de proximité ou le tribunal de police, elle est évaluée à 43 euros. "Mais en plus de l'audience, il faut préparer le dossier, recevoir le client... " 

Certains frais ne seront plus remboursés

"En matière d'application des peines, nos déplacements ne sont pas pris en charge, déplore Gaëlle. Donc, même si j'ai une situation privilégiée car je suis collaboratrice dans un grand cabinet, j'ai dû bannir les applications de peines trop éloignées de mon cabinet. Avec 4 UV (94,08 euros) pour ce genre de contentieux, il m'arrivait de travailler à perte ! Il a donc fallu faire des choix."

Malgré les dysfonctionnements réels, Me Baptiste continuera à assurer des missions d'aide juridictionnelle pour "diversifier sa clientèle" et "par conviction""Il est important de garder le contact avec ceux qui en ont le plus besoin", insiste-t-elle.