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Affaires Sarkozy : mettons fin à l'immunité présidentielle

Après la mise en examen de Nicolas Sarkozy, une révision constitutionnelle est nécessaire pour mieux encadrer la vie politique, estime Thomas Clay, agrégé des facultés de droit.

Publié le 03 juillet 2014 à 18h34, modifié le 04 juillet 2014 à 02h59 Temps de Lecture 6 min.

Un an après la décision du Conseil constitutionnel qui invalida le 4 juillet 2013 ses comptes de campagne, l'ancien président Nicolas Sarkozy se retrouve à nouveau au coeur de l'actualité judiciaire. Au-delà du caractère aussi spectaculaire qu'inédit de la garde à vue qu'il a endurée, et de l'infamie que constitue une mise en examen pour, notamment, « corruption active », cette affaire invite à essayer de comprendre comment on a pu en arriver là et à proposer des pistes pour éviter que cela ne se reproduise.

Si les thuriféraires de Nicolas Sarkozy ne cessent de rappeler, à raison, la présomption d'innocence, ils sont moins convaincants quand ils expliquent l'accumulation d'affaires visant leur champion comme n'étant due qu'à l'acharnement des juges d'instruction, eux-mêmes manipulés à des fins politiques. Brandissant comme un totem le non-lieu obtenu dans l'affaire Bettencourt, les tenants de la théorie du complot ne voient même pas que cette décision, au contraire, a démontré la grande impartialité et la totale droiture du juge Jean-Michel Gentil — celui-là même qu'Henri Guaino avait accusé d'avoir « déshonoré la justice ». Cependant, l'argument du non-lieu risque de s'émousser assez vite, car il ne pourra durer que tant qu'il n'y aura pas de renvoi devant une juridiction de jugement.

Le procès fait aujourd'hui à l'irréprochable juge Claire Thépaut est indigne et ne disqualifie que ceux qui s'y fourvoient. Chacun sait que les différents magistrats chargés des dossiers concernés sont unanimement considérés comme d'excellents professionnels, parfaitement indépendants, et à qui on ne pourrait même pas reprocher une quelconque quête de notoriété puisqu'on ne les voit jamais. Quand on en est à accuser ses juges, c'est qu'on est à court d'arguments.

Sans qu'il soit possible de préjuger des suites qui seront données à cette dernière mise en examen, il faut bien comprendre pourquoi les déboires judiciaires de l'ancien président ne surgissent que maintenant. Il ne s'agit nullement de « l'instrumentalisation politique d'une partie de la justice », comme il a essayé de le faire croire, ni de la vengeance d'un syndicat de magistrats, mais cela tient au fait que, jusqu'à présent, il n'était pas possible d'enquêter sur Nicolas Sarkozy.

VINGT ANS, SEPT AFFAIRES ET SEULEMENT DEUX MISES EN EXAMEN

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De son parcours politique, deux chiffres impressionnent : d'abord, le nombre d'affaires où son nom apparaît, qui jalonnent plus de vingt ans de vie politique, de l'affaire de Karachi (dans laquelle il n'est pas renvoyé) à la présente affaire, en passant par les affaires Tapie, Bettencourt, Bygmalion, de la Libye, des sondages de l'Elysée, soit sept dossiers, sans parler de l'affaire Natixis qui concerne François Pérol, l'ancien secrétaire général adjoint de l'Elysée, et celles, nombreuses, du couple Balkany. Vingt ans, sept affaires et seulement deux mises en examen, voilà la vraie question.

Second chiffre vertigineux : le nombre de ses proches qui ont aujourd'hui affaire à la justice. On peut les classer en fonction des différents moments de la vie politique de Nicolas Sarkozy : Patrick Gaubert et Patrick Balkany (période Neuilly, Hauts-de-Seine), Nicolas Bazire (période Balladur), Claude Guéant, Eric Woerth et Brice Hortefeux (période ministère de l'intérieur, campagne 2 007), Claude Guéant à nouveau, François Pérol et Patrick Buisson (période élyséenne), et Thierry Herzog, Guillaume Lambert et Jérôme Lavrilleux (période postélyséenne). Si l'on ajoute ceux qui se sont vu reprocher des comportements contraires aux règles de leur charge et qui ont dû être écartés ou sont en passe de l'être (Bernard Squarcini, Frédéric Péchenard, Christian Flaesch, Philippe Courroye, Gilbert Azibert, etc.), force est de constater que Nicolas Sarkozy ne porte pas chance à ceux qui frayent avec lui.

Mais alors pourquoi les autres, et jamais lui ? Il n'y a que deux réponses possibles : soit il est très mal entouré, soit ses proches paient pour lui. L'homme ayant trop d'entregent pour que la première explication soit possible, la seconde s'impose. Cependant, elle tient moins à l'esprit de sacrifice des intéressés qu'au statut pénal dont a bénéficié Nicolas Sarkozy pendant toutes ces années.

Depuis qu'il a été élu député en 1988, il a toujours bénéficié d'une immunité, que ce soit celle de parlementaire, de ministre ou de président de la République, sans parler des privilèges attachés à son nouveau statut d'avocat. Après vingt-quatre ans d'immunité vient l'heure des comptes pour une carrière à ce point jalonnée d'affaires sensibles. Or ni l'enchaînement des immunités ni la soudaine avalanche d'affaires ne sont satisfaisants d'un point de vue démocratique. Il faut y remédier.

Comment ? Il suffit que l'actuel président de la République tienne ses engagements. Le 6 février 2012, alors en campagne, il promettait une révision ambitieuse de la Constitution, qui touchait à la fois à l'indépendance de la justice (avec la réforme du Conseil supérieur de la magistrature) et à l'égalité devant la justice (avec la suppression de la Cour de justice de la République, c'est-à-dire celle qui est exclusivement compétente pour l'examen des faits reprochés aux ministres dans l'exercice de leur fonction, et la modification du statut juridictionnel du chef de l'Etat). Les affaires actuelles montrent que ces propositions doivent désormais advenir et qu'il est urgent de mettre fin à ce que l'on appelle l'immunité du chef de l'Etat.

LA RELAXE DU POLITIQUE CONTAMINE LE RESTE DU DOSSIER

Sur la Cour de justice de la République, on voit, à travers les affaires Tapie et de Karachi, que, pour les mêmes faits, les anciens ministres et les membres de leur cabinet ne sont pas renvoyés devant la même juridiction, ne répondent pas aux mêmes questions et ne sont pas poursuivis des mêmes chefs. La clémence de la Cour de justice de la République n'est d'ailleurs plus à démontrer, et on pourrait donc voir des ministres relaxés alors que ceux qui exécutaient leurs ordres seraient condamnés. A moins, et ce serait encore pire, que, pour éviter la contradiction de décisions, la relaxe du politique contamine le reste du dossier.

Quant au statut pénal du chef de l'Etat, il s'agit d'un héritage monarchique auquel il faut mettre fin pour tout ce qui concerne les faits sans rapport avec la fonction présidentielle, soit parce qu'ils sont antérieurs, soit parce qu'ils s'en situent en dehors. Au nom de quoi un président de la République en exercice ne devrait-il pas rendre compte des turpitudes qu'il est suspecté d'avoir commises pour accéder au pouvoir ? Tous les coups sont-ils permis dès lors qu'on est élu ensuite ? Le suffrage universel élimine-t-il la faute pénale ? Avec un tel système, malheur au vaincu !

Il est temps que l'actuel président de la République propose cette réforme constitutionnelle importante. On ne peut d'ailleurs pas exclure, puisqu'il faut une majorité qualifiée des trois cinquièmes au Parlement, qu'une partie de l'opposition soit encline à la voter, notamment celle qui ne voit pas d'un bon oeil le retour de l'ancien président.

Alors, certes, les temps qui viennent risquent d'être durs pour Nicolas Sarkozy. D'autant que la plupart des infractions reprochées sont passibles d'une peine d'inéligibilité susceptible d'entraver son retour. En somme, le droit reprend son empire par rapport au politique. La stratégie de communication dite « de la carte postale » risque de n'avoir bientôt comme seule adresse d'émission que celle du pôle financier du tribunal de grande instance de Paris et, si on ne fait rien, la prochaine élection présidentielle tournera autour de la question de l'immunité de l'élu. Ce serait dramatique.

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