Biopics sur Lance Armstrong : Stephen Frears remporte la course contre la montre

Miraculé, adulé, puis déchu, symbole de la triche et du mensonge, le coureur cycliste a tout du héros shakespearien. De quoi inspirer bien des cinéastes. Début 2015, le réalisateur de “The Queen” sera le premier à sortir son film en salles.

Par Laurent Rigoulet

Publié le 07 juillet 2014 à 08h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 05h16

Bien avant celles du biopic de Stephen Frears, qui sortira au premier semestre 2015, les premières images d'un film sur Lance Armstrong remontent à sa septième victoire sur le Tour de France, en 2005. Ce jour-là, Hollywood a vu les choses en grand. Le champion texan et son héroïque saga de miraculé du cancer affolent les foules américaines. Frank Marshall, producteur de Retour vers le futur et de La Mémoire dans la peau, a déplacé un impressionnant commando et pas moins de six caméras pour tourner, sur les Champs-Elysées, l'épilogue de son adaptation des mémoires du cycliste, Il n'y a pas que le vélo dans la vie. « C'est la plus belle histoire sportive, et sans doute la plus grande aventure humaine de tous les temps ! », s'enflamme le producteur, qui parle aussi de mettre en scène lui-même le grand film américain sur le Tour de France, dont Michael Cimino rêvait déjà pendant les années 1970. Matt Damon a donné son accord pour interpréter le champion. Armstrong en personne joue les conseillers en scénario. Et les images réelles de son ultime triomphe apporteront une conclusion grandiose à l'entreprise hagiographique.

L'affaire est bien ficelée mais traîne en longueur. Même si le crédit d'Armstrong semble illimité auprès du public américain, les rumeurs collent de plus en plus à la peau du « survivant » et les financiers hésitent. Matt Damon se retire sur la pointe des pieds. Jake Gyllenhaal (Zodiac, Le Secret de Brokeback Mountain) est un temps pressenti, puis on n'en parle plus. En 2009, Frank Marshall se résout à mettre entre parenthèses le biopic pour confier au très réputé Alex Gibney (1) la réalisation d'un « documentaire blockbuster » sur le come-back d'Armstrong. Resté cinq ans dans les tiroirs, le film (qui a coûté une bonne dizaine de millions d'euros) sort aujourd'hui (en DVD), dans une version solidement remaniée, sous le titre Le Mensonge Armstrong. La saga a basculé dans une autre dimension. Depuis ses aveux chez Oprah Winfrey, le coureur apparaît au grand jour comme une figure autrement fascinante, un tricheur hallucinant, un animal de pouvoir, dur et vicieux, un héros shakespearien qui fait fantasmer Hollywood de plus belle.

L'étendue du mensonge, l'aplomb, la froideur

« Je ne sais pas si l'Histoire a jamais connu plus grand menteur, dit le Britannique Stephen Frears, qui met ces jours-ci une touche finale à son biopic sur Armstrong. L'étendue du mensonge, l'aplomb, la froideur sont invraisemblables. Je n'avais jamais approché ça. J'ai pourtant mis en scène des personnages comme Tony Blair… » Le réalisateur se fait un plaisir de mentionner qu'une des interviews les plus complaisantes du Lance Armstrong triomphant a été réalisée, en Angleterre, par Alastair Campbell, le grand « communicant » de Blair, accusé d'avoir berné l'opinion pour justifier l'intervention en Irak.

Pour Frears, jusqu'à sa visite l'an dernier, au milieu du peloton, le Tour de France était un monde entièrement étranger. Il ne s'est jamais intéressé au vélo. La tromperie du champion a aiguisé son désir. « Je suis tombé un jour sur le livre de Tyler Hamilton, La Course secrète [confessions d'un ancien équipier du Texan], et j'ai eu l'impression de soulever une pierre sous laquelle fourmillaient les intrigues les plus noires. Saisi, j'ai immédiatement téléphoné à mes producteurs… » Après des années muré dans un secret oppressant, Hamilton s'est entièrement mis à nu dans son récit. « Quand je l'ai rencontré pour la première interview, explique Daniel Coyle, coauteur du livre, il s'est mis à pleurer… pas de chagrin, mais de soulagement. » Hamilton brosse un portrait féroce de son ancien boss et livre, en chemin, une foule d'histoires et de détails glaçants qui mettraient en joie n'importe quel auteur de thriller. Les poches de sang frais acheminées, pendant le Tour, par le « jardinier » d'Armstrong – surnommé « Motoman » –, qui se fraye clandestinement un chemin, en deux-roues, dans la cohue des villes étapes. Les transfusions à la sauvette. Les trafics de téléphones et de cartes SIM pour communiquer librement. Les codes surréalistes pour parler des produits entre coureurs : Edgar ou Poe pour l'EPO, ironie macabre que l'auteur du Corbeau aurait sans doute appréciée. « Nous avons proposé à Tyler Hamilton de lui acheter son histoire, raconte Frears, mais il était déjà courtisé par la Warner. J'ai essayé de le convaincre en lui expliquant que ça fournissait la matière d'un grand drame européen, plutôt que d'un blockbuster américain, mais je crois qu'il ne m'a pas compris. »

Ben Foster incarnera finalement Armstrong chez Frears

Ben Foster incarnera finalement Armstrong chez Frears © DR

En 2013, dans la foulée des aveux de Lance Armstrong, la compétition entre les studios devient particulièrement intense. Warner met en chantier un film avec Bradley Cooper (Red Blooded American) qui doit être réalisé par Jay Roach (Mon beau-père et moi). Paramount répond en achetant, pour J.J. Abrams, le réalisateur de Lost et de Star Trek, les droits du livre-enquête d'une journaliste du New York Times, Juliet Macur, Cycles de mensonges. Grandeur et décadence de Lance Armstrong. Mais Frears prend tout le monde de vitesse en tournant à l'automne dernier. Son scénario est signé John Hodge, le scénariste de Trainspotting, « qui en connaît un rayon en matière de drogues ». « Le déballage a été tel, raconte le cinéaste, que nous n'avions qu'à tendre la main pour ramasser les informations. De Floyd Landis à Tyler Hamilton, tous les anciens partenaires d'Armstrong ont raconté leurs pratiques en détail devant les commissions d'enquête et dans les médias. » Frears s'est aussi choisi, dans le peloton, le meilleur des conseillers, David Millar, dopé repenti qui a écrit un livre étonnant sur son expérience, Racing through the dark (« la course dans les ténèbres »). Le coureur anglais a fréquenté, dans l'équipe Cofidis, de grandes figures droguées et excentriques. Tels Philippe Gaumont et Frank Vandenbroucke (tous deux disparus), passés maîtres dans l'art de consommer les somnifères par poignées de dix pour en découvrir les effets paradoxaux. Il a bien connu Lance Armstrong et peut livrer une description aussi froide que haute en couleur du « professeur » Ferrari, le médecin chef de la génération EPO (interprété par Guillaume Canet dans le film de Frears). « Son analyse du dopage est très fine, dit le réalisateur. Il décrit bien l'enfermement du sportif, la pression du milieu, la charge du secret et le clivage de la personnalité. Lui-même en était arrivé à se persuader que son corps et son esprit fonctionnaient de manière entièrement autonome. »

David Millar a passé de longues heures à travailler avec l'acteur Ben Foster – qui incarnera finalement Armstrong chez Frears – pour l'aider à réaliser la performance de sa vie et le rendre crédible sur un vélo, défi qui a fait reculer grand nombre de cinéastes passionnés du Tour de France. Frears n'est toujours pas très rassuré à l'idée de montrer son film aux spécialistes : « Nous avons reconstitué des étapes célèbres de l'Alpe-d'Huez ou de Sestrières ; nous avons fait ça sur un rythme d'enfer, à l'automne, quand le ciel évoquait encore l'été et quand les cyclistes pro étaient libres pour former un peloton crédible. Pour les foules au bord de la route, le numérique nous a bien aidés… » Le cinéaste est inquiet mais content de son coup. En plus de donner un rôle à Dustin Hoffman, dont Michael Cimino voulait faire l'interprète de son Yellow Jersey (« maillot jaune »), il arrivera le premier sur les écrans. Dans la lutte que se livrent les différents producteurs, c'est un argument décisif. Selon Frears, une arme fatale. « L'histoire de Lance Armstrong est tellement connue, tellement documentée, tellement factuelle, qu'il me semble difficile de la raconter plusieurs fois. Nous avons gagné la course. » Ça reste à voir. Glorieuse incertitude du sport.

(1) Oscar du meilleur documentaire en 2008 avec Taxi to the dark side, sur la guerre en Afghanistan.

À voir

Le Mensonge Armstrong, documentaire d'Alex Gibney. DVD, éd. Sony Pictures, sortie le 2 juillet.

La sortie du biopic de Stephen Frears est prévue début 2015.

Le Tour de France, sur France Télévisions, du 5 au 27 juillet.

À Lire

Un vélo dans la tête, de Jean-Louis Le Touzet.

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