A Londres, on a vu le Monty Python's ringard circus

Ils ont fait ça pour l'argent, et ça s'est un peu vu. Autant dire qu'on a été déçu par les retrouvailles historiques de la troupe des Monty Python, pour un live qui n'en avait que le nom.

Par Jérémie Couston

Publié le 04 juillet 2014 à 19h41

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 05h16

Le perroquet bouge-t-il encore ? Mercredi 2 juillet 2014, c'est le cœur plein d'espoir et de bienveillance ornithologique que nous avons pris l'Eurostar pour assister aux retrouvailles des Monty Python sur scène. Le sextuor de septuagénaires, réduit à cinq depuis la mort de Graham Chapman en 1989, n'a pas donné de spectacle depuis 1980 et le fameux Live at the Hollywood Bowl, à Los Angeles. C'est peu dire que la nouvelle de leur reformation a ravi les fans, qui se sont disputés les quinze mille places de l'O2 Arena londonienne en 43 secondes. Devant l'enthousiasme, neuf dates ont été rajoutées et des tickets sont régulièrement remis en vente pour éviter le marché noir. Quand nous sommes parvenus, sur les conseils de Terry Gilliam, à en dégoter deux, nous avons aussitôt proposé à Phil Stubbs de nous accompagner. Nous avions fait la connaissance de Phil à Regina, au beau milieu du Canada et de l'automne 2004, sur le tournage de Tideland, de Terry Gilliam. Phil est sans doute l'un des plus grands connaisseurs de l'œuvre du réalisateur de Brazil, à qui il a d'ailleurs consacré un fanzine particulièrement bien informé. Il habite Manchester et n'a pas hésité à poser deux jours de congé pour faire le voyage à Londres.

Le Monty Python Live (Mostly) à Londres, le 1er juillet 2014

Le Monty Python Live (Mostly) à Londres, le 1er juillet 2014 © Geoff Robinson Photogra/REX/SIPA

Après la rituelle pinte de 18 heures, nous sortons de la station North Greenwich, juste en face du Dôme du millénaire, construit sur le méridien du même nom. Cette gigantesque structure, retenue par des câbles suspendus à une douzaine de mâts de cent mètres de haut, a été inaugurée le 1er janvier 2000. Après avoir abrité des attractions éducatives qui n'ont jamais emballé les foules, elle a été rebaptisé O2 Arena et convertie en salles de spectacles type Bercy. Les Rolling Stones y ont joué en 2012 et Neil Young est attendu le 12 juillet. Les dinosaures y sont chez eux. Sur le parvis, comme dans n'importe quel concert, le public peut s'offrir, pour la modique somme de vingt-cinq livres sterling (trente euros) un t-shirt avec le pied de Cupidon, emblème des Monty Python (piqué par Terry Gilliam à une peinture de la Renaissance italienne) qui écrasait le nom de l'émission et la fin du générique des quarante-cinq épisodes du Flying Circus lors de leur diffusion sur la BBC, de 1969 à 1974.

Le spectacle de fin d'année de cinq retraités excentriques

En entrant dans l'immense salle, mon guide mancunien commence à m'avouer ses craintes sur le spectacle qui nous attend. Malgré les premières critiques, parues le matin même et dans l'ensemble assez positives, Phil redoute que l'aspect commercial de cette reformation ne vienne gâcher la fête. Car il ne faut pas se mentir, si les cinq Python restant ont accepté ce pari insensé de remonter sur scène plus de trente ans après leur séparation en bons termes, c'est avant tout pour payer leurs frais de justice. En août 2013, le producteur de Monty Python, Sacré Graal !, Mark Forstater, a gagné son procès contre le quintet. Il estimait n'avoir pas touché suffisamment de royalties pour Spamalot, la comédie musicale écrite par Eric Idle, en 2004, d'après Sacré Graal. C'est le même Eric Idle qui a fourni à ses vieux amis la solution clé en mains. « Bien sûr qu'on fait ça pour l'argent ! », avouait récemment Terry Jones à Time Out. Lui en a besoin pour payer ses crédits, John Cleese pour ses pensions alimentaires (son dernier divorce, en 2008, lui a coûté 15 millions d'euros, assortis d'une rente de 760 000 euros par an pendant sept ans !). Et tous en ont besoin pour rembourser leur ex-producteur trop glouton.

Terry Gilliam a osé dire dans une interview que l'idée de cette reformation lui semblait « déprimante ». Ce à quoi Idle a répondu : « Terry trouve tout déprimant. Sa vie n'est qu'une longue bataille contre la dure réalité. Et je pense qu'il est en train de la perdre. Il a toujours été amer. On peut le comprendre vu les résultats de ses films. Il s'est toujours considéré comme le seul véritable artiste de la bande. Il estime que le succès artistique va forcément de paire avec l'échec au box office. » Pas étonnant que les Python montent un peu à reculons sur scène. En fait, seul Eric Idle prépare le show depuis neuf mois. Les quatre autres n'ont pas écrit une ligne du « nouveau » spectacle et n'ont répété que deux semaines avant la première. D'où cette impression d'assister au spectacle de fin d'année (de vie ?) de cinq retraités excentriques. On exagère à peine. Les moyens sont là (le spectacle a coûté 3,7 millions d'euros) mais l'âme des Monty Python s'est volatilisée. Les concerts de reformations de groupes mythiques – et démembrés – ont toujours quelque chose de pathétique. C'est le sentiment qui domine en voyant les cinq vieillards se forcer à rejouer leurs meilleurs sketches pour un public conquis d'avance.

Le sketch du Perroquet par John Cleese et Michael Palin

Le sketch du Perroquet par John Cleese et Michael Palin © Geoff Robinson Photogra/REX/SIPA

L'humour pythonesque a mal vieilli

La mise en scène, minimaliste, consiste à enchaîner sketches et chansons, souvent en karaoke, volontairement mal réglé, comme jadis. Foint pinal. Pas l'ombre d'une nouveauté, pas le moindre grain de sable pour tenter de faire déraper le nonsense poli par les âges. Pour permettre aux Python de souffler, les écrans géants diffusent, entre deux numéros, un sketch télévisé certifié d'origine (Le Match de football pour les philosophes, Les Jeux olympiques). C'est, cruellement, le moment où l'on rit le plus. L'humour pythonesque aurait-il mal vieilli ? Nous osons le blasphème. Certains sketches qui faisaient se bidonner les babyboomers dans les années 70 nous paraissent terriblement ringards aujourd'hui. Les gags sur les femmes nues, les travestis ou les Chinois font partie de ceux qui ne passent plus. Qui rigole encore devant La Cage aux folles ? Le fameux numéro du fromager sans fromage est expédié en deux minutes chrono par un Michael Palin et un John Cleese pressés d'en finir alors que l'original tirait précisément son sel de l'énumération interminable des différents types de fromages que le vendeur s'obstinait à ne pas avoir en magasin. Le duo quitte même la scène avant la fin, quand le client excédé est sensé tirer une balle dans la tête du fromager incompétent. Dans Every sperm is sacred, l'un des deux canon-pénis rose et blanc ne parvient pas à « éjaculer » la mousse et les bulles qui doivent envahir la scène. Un problème de prostate sans doute. Gageons qu'il sera réparé pour la dixième et dernière représentation, le 20 juillet, qui sera filmée et diffusée dans plus de deux mille salles de cinéma dans trente-six pays pour le plus grand bonheur des banquiers, des avocats et des ex de John Cleese (en direct sur Arte Concert le 20, et à l'antenne d'Arte le 30 juillet). Au terme de notre soirée en forme de rendez-vous manqué, notre ami Phil, qui avait acheté deux places pour la retransmission dans son cinéma de Manchester, envisageait de les revendre sur ebay. Le perroquet et le python ont cessé d'exister. Ils ont expiré et sont partis retrouver leur créateur. Ils ont quitté leur enveloppe charnelle. Ils ont passé l'arme à gauche. Bref ils sont bel et bien morts.

 

 

Monty Python Live (Mostly) – One Down, Five to Go. O2 Arena, du 1er au 5 puis les 15, 16, 18, 19 et 20 juillet. montypythonlive.com.
Le show sera diffusé par Arte le 30 juillet.

Cher lecteur, chère lectrice, Nous travaillons sur une nouvelle interface de commentaires afin de vous offrir le plus grand confort pour dialoguer. Merci de votre patience.

Le magazine en format numérique

Lire le magazine

Les plus lus