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Économie

"En France, il y a plus de gaspillages d'argent public qu'ailleurs"

INTERVIEW Co-fondateur de l’Institut Montaigne et spécialiste de la bureaucratie, Ezra Suleiman brosse un portrait au vitriol de la France, "pays monarchique".
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Ezra Suleiman
Ezra Suleiman enseigne les sciences politiques à l'université de Princeton.
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Professeur de sciences politiques à Princeton, Ezra Suleiman est l’un des meilleurs spécialistes de la bureaucratie et de la réforme de l’Etat. Co-fondateur de l’Institut Montaigne, avec Claude Bébéar l’ex président d’Axa, il est un fin connaisseur de la situation française, par ses travaux de recherche avec Science Po et le CNRS. Cet ancien administrateur d’Axa et de Suez Environnement est très souvent consulté par les politiques français. Il va d’ailleurs rencontrer Thierry Mandon, secrétaire d’Etat à la réforme de l’Etat, à qui il va livrer son diagnostic au vitriol sur les blocages français. 

Thierry Mandon, en charge de la Réforme de l’Etat, lance un chantier sur "l’Etat dans dix ans". Cette réforme est-elle en marche en France ?  

Non, elle est totalement bloquée. La France est un mauvais élève, qui fait figure d’exception au sein des grands pays occidentaux. Elle n’a plus besoin de rapports, tous les diagnostics sur les dysfonctionnements des administrations ont déjà été réalisés. Les études sur les expériences étrangères réussies sont aussi très documentées. Au Royaume-Uni, Margaret Thatcher était partie en guerre, un peu trop vigoureusement à mon avis, contre son administration. Certaines réformes ont été poursuivies par Tony Blair. De leur côté, les pays nordiques ont mis en œuvre des réformes efficaces, tout en maintenant leur modèle social. En Italie, en Allemagne ou aux Pays-Bas, des expériences intéressantes ont eu lieu. Dans l’Hexagone, la MAP, la Modernisation de l’Action Publique, lancée fin 2012 par Jean-Marc Ayrault, n’a pas donné de grands résultats. C’est pour cela que Thierry Mandon a été nommé.

Comment expliquer ce blocage?  

En France, on a l’impression que la bonne gestion de l’argent public, cela ne compte pas. D’ailleurs, je regrette que les taux d’intérêt soient aussi bas. L’Etat français peut toujours emprunter sans problème sur les marchés financiers internationaux. Et François Hollande a d’ailleurs affirmé que c’était une preuve de confiance envers sa politique. En fait, si les taux avaient fortement augmenté, cela aurait créé un électrochoc et secoué le gouvernement.

Manuel Valls met en avant son ardeur réformatrice, notamment dans la sphère publique. Qu’en pensez-vous?

Manuel Valls avait et il a encore une vraie carte en main pour convaincre les Français de la nécessité des réformes. Je pense qu’il sait ce dont la France a besoin et qu’il essaye d’avancer avec fermeté mais sans être trop autoritaire. S’il poursuit son chemin il a de fortes chances de réussite. Les Français seront prêts à le suivre.

Les gaspillages d’argent public sont-ils vraiment plus importants en France?

Oui. Les très nombreuses commissions qui ne servent à rien n’existent pas autant ailleurs. Et la France reste un pays monarchique, avec des dépenses très élevées dans les ministères. Elle est championne pour ce type d’avantages. A l’inverse, en Scandinavie, personne n’a de chauffeur dans l’administration, mis à part les ministres. C’est symbolique mais le symbole compte pour les citoyens. Dans l’Hexagone, l’attachement au statut est beaucoup plus important qu’à l’étranger.

Vous critiquez sévèrement l’élite française. Pourquoi?  

Que Napoléon ou De Gaulle aient voulu former des élites pour servir l’Etat était compréhensible.  Mais l’époque actuelle nécessite autre chose. Il n’est plus normal que l’élite française soit recrutée dans les mêmes écoles. Forcément, les énarques vont penser de la même façon, aborder les problèmes de la même manière, proposer le même type de solutions. Si vous rassemblez des experts venus d’horizons différents, des ingénieurs, des économistes et des énarques, il y aura des débats, des désaccords mais des solutions nouvelles pourront en sortir. Cette rigidité de la formation des élites est préjudiciable dans la sphère de l’Etat mais aussi dans les états-majors des grandes entreprises, qui recrutent leurs dirigeants dans la même base restreinte. 

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