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Interview

«En 1919, il n’était pas question que les "boches" participent au Tour»

Tour de France 2014dossier
Alors que le Tour passe ce vendredi sur les lieux de la bataille de Verdun, l’historien Jean-Paul Bourgier décrit les éditions si particulières de 1914 et 1919.
par Sylvain Mouillard, Envoyé spécial à Epernay
publié le 11 juillet 2014 à 11h31

Après le Chemin des Dames jeudi, place aujourd’hui à la «Voie sacrée» et au champ de bataille de Verdun. Le Tour continue son parcours historique dans le quart nord-est de la France, sur les traces de la Première Guerre mondiale. Le Tour, tout à la fois événement sportif et symbolique, a évidemment été marqué par le conflit. Jean-Paul Bourgier, professeur d’histoire retraité et passionné de vélo, a publié deux ouvrages sur le sujet (1), consacrés au Tour 1914 et à celui de 1919. Il revient sur ces éditions particulières.

Dans quelles conditions le Tour 1914 démarre-t-il ?

Il s'élance normalement. La population française ne se doutait pas d'un conflit à venir, même si le jour du départ, le 28 juin, survient l'assassinat de l'archiduc François-Ferdinand à Sarajevo. Interrogé plus tard sur le sujet, le coureur français Henri Pélissier dira : «La Bosnie-Herzégovine ? Je ne savais même pas que ce pays existait !».C'est un Tour très classique. Son parcours est néanmoins intéressant. A l'époque, la France est privée de l'Alsace et la Lorraine. Jusqu'en 1910, profitant de ses bonnes relations avec le gouverneur militaire allemand de Metz, le comte Zeppelin, le patron du Tour parvient à faire étape à Metz. Mais les crises du Maroc tendent la situation. A partir de 1911, il n'est donc plus question d'y passer. En 1914, le Tour s'arrête à Belfort, avec son Lion qui avait résisté aux Prussiens en 1870, et Longwy, une ville située dans la partie de la Moselle non-occupée.

Le Tour repart dès 1919, à peine un an après la fin d’une guerre qui a mis l’Europe à genoux. Comment cela fut-il possible ?

Dès l’armistice signé, Henri Desgranges, le fondateur du Tour, annonce une nouvelle édition pour 1919, qui passera par Strasbourg et Metz. Les organisateurs sont confortés par le prix cycliste des champs de bataille, qui se tient au printemps 1919. Une course qui traverse tous les lieux d’affrontement du Nord de la France, de Strasbourg à Bruxelles, en passant par Ypres ou encore Amiens.

Finalement, le Tour 1919 s’élance le 29 juin, c’est-à-dire le lendemain de la signature du traité de Versailles. Dans quel état se trouve le pays ?

En quelques mois, les principales routes ont été remises en état. De toutes façons, les coureurs sont habitués à rouler sur les pavés ou des chemins empierrés. Bien sûr, les paysages autour d'eux sont lunaires, apocalyptiques, mais il n'y a pas de contraintes matérielles majeures. Henri Desgranges utilise souvent le terme de «renaissance». Il s'agit de retrouver la «Belle époque», cette période d'avant-guerre. Le Tour revêt également pour lui un enjeu économique : il est vital de remettre en place ce feuilleton sportif et populaire pour relancer les ventes du journal L'Auto.

L’atmosphère est-elle nationaliste ?

Desgranges est nettement revanchard par rapport aux Allemands. Pour lui, il n’était pas question que des coureurs «boches» participent au Tour. Les alliés de la Triple Alliance, Autrichiens et Hongrois, sont aussi interdits de présence, pratiquement jusqu’en 1930.

Les organisateurs ont-ils des difficultés à trouver des concurrents ?

Sur les 145 partants de 1914, 15 sont morts au combat pendant la guerre. Trois anciens vainqueurs du Tour ont aussi péri : Faber, Lapize et Petit-Breton. Néanmoins, le Tour 1919 réunit les grandes vedettes des précédentes éditions, notamment Thys et Pélissier.

(1) «Le Tour de France 1914» et «1919, le Tour renaît de l'enfer» (Le Pas d'oiseau)

Pour aller plus loin :

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