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La loi sur l’énergie a perdu la « transition »

Ce devait être un grand chantier du quinquennat. Mais la loi sur l’énergie s’enfonce dans le dédale des consultations qui révèlent de profonds désaccords. Les clivages : économies d’énergie et nucléaire. Quant au terme de « transition », il a subrepticement disparu du titre de la loi !


Un projet de loi de finances rectificative validé la semaine dernière – en vain, puisque le Sénat l’a rejeté quelques jours plus tard –, le budget de la Sécurité sociale voté mardi, la réforme territoriale débattue en même temps que la loi sur l’agriculture, sans oublier la réforme pénale dont le texte final doit être adopté la semaine prochaine…

Les députés réunis en session extraordinaire depuis le 1er juillet ne chôment pas. Pourtant, aucune trace dans leur agenda de la loi de transition énergétique, alors que François Hollande avait annoncé lors de la deuxième conférence environnementale que la loi sur la transition énergétique devrait être « conclue d’ici la fin de l’année 2014 ».

En fait, la loi n’a pas encore pris la direction de l’Assemblée nationale pour entamer la traditionnelle navette parlementaire. La faute à un parcours chaotique, victime d’un changement de ministre lors du dernier remaniement et de la difficile constitution d’un nouveau cabinet les semaines suivantes, qui ont contribué à ajourner la présentation du projet de loi, elle-même reportée plusieurs fois avant l’été.

Finalement, présentée officiellement le 18 juin dernier par Mme Ségolène Royal, la loi connaissait une nouvelle secousse dès le lendemain, avec la modification du texte initial et l’insertion de deux nouveaux articles – les articles 34 et 35 – permettant d’accélérer la procédure d’enfouissement des déchets au travers du projet Cigéo. Face au tollé, la ministre retirait quelques heures plus tard l’article 35, laissant cependant en place l’article 34 au sujet d’Euratom.

Pas de consensus

Depuis, le texte a entamé son tour des consultations. D’abord auprès du CNTE (le Conseil national de la transition écologique), le jeudi 3 juillet dernier. L’avis de celui-ci a été publié mercredi 10 juillet - un délai de sept jours qui a surpris plusieurs membres du Conseil, alors que le texte avait été statué en séance. Ils ont fait part à Reporterre, ces derniers jours, des soupçons que le texte pourrait étre réécrit, ce qui témoigne du climat de défiance qui entoure cette loi.

-  Télécharger l’avis du CNTE :

Que dit cet avis ? Pas grand-chose, tant le texte trahit l’absence de consensus sur les principaux enjeux de la loi. Il en est ainsi du « tiers-financement », mécanisme de financement envisagé pour la rénovation thermique, dont l’avis final du CNTE dit qu’« une grande majorité se dégage en faveur du recours à une dérogation au monopole bancaire ». Majorité, pas unanimité : il y a désaccord.

Le patronat est opposé à l’objectif d’économiser l’énergie

Concernant le prolongement de la durée de fonctionnement des réacteurs nucléaires au-delà de quarante ans, le CNTE déclare que « certains membres proposent de définir une procédure spécifique claire d’autorisation ou non de prolongation, calée sur une définition réglementaire des 40 ans et reposant sur une étude d’impact, intégrant les enjeux de sûreté et la question de l’opportunité, et donnant pleinement droit aux principes d’information et de participation du public ».

Sans valeur contraignante, cet avis ne parvient même pas à exprimer un consensus mou. Il rappelle combien les clivages sont prégnants : ainsi, le Medef (Mouvement des entreprises de France) a de nouveau freiné sur la question de l’efficacité énergétique. Le texte adopté se contente de : « Une majorité des membres du CNTE propose de rajouter un objectif d’efficacité énergétique à horizon 2030 », un objectif auquel est fermement opposé l’organisation patronale, qui aurait même voulu qu’on écrive : « Certains pensent que, d’autres… ». On en est là.

Economies d’énergie, nucléaire, agrocarburants : pas d’accord

Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) s’exprimait à son tour mercredi 10 juillet sur le projet de loi. Sur cet objectif d’efficacité énergétique, il est plus résolu, et « recommande […] que le projet de loi intègre un objectif national d’efficacité énergétique à horizon 2030 ».

-  Télécharger l’avis du CESE :

Mais le CESE n’est pas non plus parvenu à surmonter les différents. L’objectif de réduction de 50% de la consommation énergétique finale en 2050 est jugé « hors d’atteinte pour certains membres du conseil, sauf à imposer, selon eux, une sobriété insoutenable pour les populations ».

De même, l’épineuse question de la réduction de la part du nucléaire dans le mix électrique français cristallise les antagonismes. Ainsi, certains « dénoncent le caractère exclusivement politique et l’absence de fondement économique » de la mesure visant à réduire de 75 à 50 % la part de l’énergie nucléaire dans la production d’électricité en France. Ce sont d’ailleurs probablement les mêmes qui se déclarent « préoccupés face à des orientations susceptibles de mettre en cause la capacité de notre système énergétique à répondre aux besoins dans une perspective de croissance renouvelée ».

L’avis du CESE, voté à une écrasante majorité (169 pour), aura tout de même recueilli 14 abstentions… représentant la FNSEA. En cause ? Il se dit que Xavier Beulin, président de la FNSEA et… de Sofiprotéol, aurait recommandé l’abstention suite au maintien dans l’avis, de la phrase suivante : « Le CESE insiste pour que les biocarburants de première génération soient progressivement abandonnés »

Pas avant le printemps 2015

Le texte du projet de loi est désormais à l’examen au Conseil d’Etat. Au cabinet de la ministre de l’Ecologie, Ségolène Royal, on espère qu’il rendra son avis avant le 25 juillet afin que la loi de programmation soit présentée et discutée au Conseil des ministres du 30 juillet. A moins que ce ne soit le 4 août, date où se tiendra le dernier conseil des ministres avant les vacances.

Les parlementaires pourront alors se pencher sur la loi. Son adoption de la loi ne devrait pas intervenir avant le printemps 2015.

La transition… aux oubliettes

Le texte a déjà subi une modification substantielle, passée jusqu’ici inaperçue : elle devait être "loi de transition énergétique". L’appellation officielle en est maintenant : « projet de loi de programmation pour un nouveau modèle énergétique français »

Le CESE s’en est ému, considérant que la notion de transition énergétique était « une invite à chaque citoyen et à la société à s’engager ensemble dans ce processus de changement ». C’est d’ailleurs avec ce mot, transition, que le CESE conclut son avis, avec cette ultime phrase : « La confiance est, là encore, la condition nécessaire pour le succès de cette transition ».

Pour l’instant, la transition a disparu. Alors, la confiance...

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