Si vous croyez encore qu’il suffit de se doper pour gagner, regardez le Tour

Si vous croyez encore qu’il suffit de se doper pour gagner, regardez le Tour

Mercredi soir, Pierre Ménès a dit une grosse bêtise. Au « Grand Journal », Antoine de Caunes lui a demandé qui gagnerait le Tour de France. Ménès, qui de son propre aveu n’y connaît rien, a quand même répondu. Après tout, s’il...

Par Clément Guillou
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Mercredi soir, Pierre Ménès a dit une grosse bêtise. Au « Grand Journal », Antoine de Caunes lui a demandé qui gagnerait le Tour de France. Ménès, qui de son propre aveu n’y connaît rien, a quand même répondu. Après tout, s’il fallait se taire quand on n’y connaît rien, il y a bien longtemps que les émissions de débat n’existeraient plus.

« Alberto Contador, il a retrouvé ses pilules non ? »

Ha. Ha. Ha.

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Que Contador soit dopé ou non, Pierre Ménès, qu’on n’a pas trop entendu parler de dopage pendant la Coupe du monde, aurait pu se rendre compte que le vélo n’est pas si simple en regardant ce début de Tour de France.

La première semaine de course a démontré s’il le fallait que la force ne suffit pas pour gagner le Tour de France. Si l’on voulait récompenser le coureur le plus fort, il suffirait de mettre vingt types sur un home-trainer et de mesurer leur puissance développée pendant trois jours sur deux étapes de montagne et un contre-la-montre.

1Il faut savoir piloter son vélo

 

Vincenzo Nibali et Chris Froome devant Buckingham Palace,  Londres, le 7 juillet 2014
Vincenzo Nibali et Chris Froome devant Buckingham Palace, à Londres, le 7 juillet 2014 - Sang Tan/AP

Chris Froome, vainqueur sortant, est aujourd’hui hors-jeu alors que l’Italien Vincenzo Nibali porte le maillot jaune avec une réelle chance de le garder jusqu’à Paris.

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Pourtant, sur des rouleaux bien au chaud, Chris Froome développe une puissance supérieure à Vincenzo Nibali. Il n’y a pas photo entre les deux hommes : depuis trois ans, Froome a démontré à plusieurs reprises un niveau en montagne et contre-la-montre que Nibali n’a jamais atteint et n’atteindra sans doute jamais.

Sauf qu’une course de vélo se joue à l’air libre, sur des routes parfois défoncées, avec des spectateurs imprudents, des éléments déchaînés et 200 types autour de vous qui ne le sont pas moins.

Dans ces conditions, Froome est beaucoup moins à l’aise. Après avoir laissé échapper le Critérium du Dauphiné en juin sur chute, il est encore tombé mardi, s’abimant le poignet droit.

Le lendemain, mal à l’aise sur son guidon et sur une route détrempée, il est retombé deux fois. Le Britannique est rentré chez lui. Selon des journalistes sur place, il semblait tellement fébrile le matin que ces chutes avaient toutes les chances de se produire.

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Dans le même temps, Nibali restait debout, en tête de peloton, et manœuvrait si bien sur les pavés qu’il se retrouvait avec certains spécialistes de Paris-Roubaix, tirant bénéfice de sa puissance bien sûr, mais aussi de son art de piloter sa machine. Ce qui fait de lui le meilleur descendeur du monde quand Chris Froome y est beaucoup moins à l’aise. Et cela n’a rien à avoir avec les « pilules ».

Certains discutent la pertinence d’une étape de pavés sur le Tour de France. Elle devrait devenir, à l’inverse, un passage quasi-obligé, puisqu’elle permet de récompenser la polyvalence des coureurs.

Il y a évidemment une part de chance dans les chutes, mais cela ne suffit pas. Lance Armstrong, lorsqu’il régnait sur le Tour de France, n’est jamais tombé une seule fois. Lorsqu’il est revenu, moins fort et après plus de trois ans sans courir, le Texan tâtait le bitume régulièrement. Il n’y a pas de hasard.

2Il faut savoir jouer des coudes

 

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Thibaut Pinot est un jeune grimpeur français. Un très bon grimpeur, très correct aussi dans l’exercice du contre-la-montre. Sur son niveau physique, il pourrait entrer dans les cinq premiers du Tour de France. Sauf qu’il lui manque quelque chose : ce n’est pas encore tout à fait un coureur cycliste.

Jeudi, sur la route de Reims, il a perdu une minute en 10 kilomètres. C’est beaucoup mais il relativisait après l’étape, expliquant qu’il « comptait sur les Vosges et les Alpes pour récupérer cela ». C’est un drôle de calcul. Comme le disait Johnny Halllyday sur le Dakar, s’il était arrivé avec le peloton une minute plus tôt, il aurait eu une minute de moins à rattraper en montagne.

Que s’est-il passé pour Thibaut Pinot dans les 10 derniers kilomètres de l’étape ? Il a été pris dans une bordure, ces cassures dans le peloton dues à un vent de côté.

Dès le matin avant le départ, tous les coureurs connaissaient les risques de bordures compte tenu du fort vent et des routes champenoises, très exposées. D’ailleurs, deux leaders seulement se sont fait piéger : Pierre Rolland et Thibaut Pinot, que l’on retrouve souvent à l’arrière lorsque le peloton se morcèle.

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Pour être pris dans une bordure, il suffit de traîner à l’arrière du peloton au moment où une équipe décide d’accélérer et que le vent vient de côté. L’écart peut alors se creuser très vite.

Ce peut être une erreur d’inattention mais en l’occurrence, l’excuse ne tient pas : lorsque le peloton a cassé, tout le monde s’y attendait depuis une demi-heure. Si Pinot et Rolland ont été piégés jeudi, c’est simplement qu’ils n’aiment pas jouer des coudes dans le peloton.

Il est très difficile de gagner une minute dans un col. Pour cela, Pinot et Rolland s’infligent une vie d’ascète, des entraînements sous la pluie voire la neige et des semaines de stage en montagne. Mais gagner une minute en restant à l’avant du peloton est beaucoup plus simple : la preuve, la moitié des coureurs du Tour de France l’ont fait jeudi.

En refusant de « frotter », Pinot avait déjà perdu 15 secondes dans la deuxième étape dimanche.

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3Il faut avoir une équipe

 

Dans pareille situation, les équipes sont aussi responsables : il n’y avait, par exemple qu’un seul équipier de la FDJ aux côtés de Pinot. Mais s’occuper d’un leader qui n’aime pas frotter n’est pas une sinécure : il faut sans arrêt aller le récupérer au fond du peloton et l’aider à remonter en lui ouvrant la route. Il est possible que certains soient lassés ou n’aient plus de forces en fin d’étape.

A l’arrivée, les coureurs déploraient qu’on leur ait annoncé un vent de dos (« vent de cul »), donc aucun risque de bordure. Pour leur manager Marc Madiot, « quand on n’est pas placé où il faut quand il faut, on reçoit » :

« On n’a pas été bons. »
Le débriefing de la FDJ après la 6e étape

L’importance de la force et la cohésion d’une équipe avait déjà été démontrée mercredi sur les pavés. Vincenzo Nibali avait été extrêmement bien entouré toute la journée, tandis que d’autres coureurs, pas forcément moins à l’aise individuellement, ont pâti d’être privés de coéquipiers et livrés à eux-mêmes dans le final.

Tous ces facteurs, ainsi que le sens tactique dont Contador fera sans doute bon usage dans quelques jours, font que « les pilules », pour autant qu’il en reste, ne font pas tout : ce n’est pas toujours le plus fort qui remporte le Tour de France, tout comme ce n’est pas toujours l’équipe la plus en forme en fin de match qui s’impose. Mais ça, Pierre Ménès le sait mieux que moi.

Clément Guillou
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