Un rapport  des renseignements intérieurs indiens accuse les organisations non gouvernementales (ONG) de nuire à l’économie du pays. En s’opposant à la réalisation de projets industriels, elles feraient perdre de 2 à 3% du PIB. Greenpeace s’est déjà vu restreindre son autonomie financière et d’autres organisations dont les fonds proviennent de l’étranger pourraient être menacées. La promesse de Narendra Modi à ses 551 millions d’électeurs, il y a deux mois, de relancer la croissance passera-t-elle par le muselage des ONG ?

C’était il y a quelques semaines. Narendra Modi, le nouveau Premier ministre indien, recevait sur son bureau un rapport de 21 pages intitulé "Impact des ONG sur la croissance", rédigé par l’Intelligence Bureau, l’un des services secrets indiens. Mais le 7 juin, le document classé confidentiel fuite dans le quotidien "Indian Express", déclenchant dans le pays une vaste polémique sur le rôle des ONG, particulièrement environnementales.
L’Intelligence Bureau accuse certaines ONG de constituer un frein à la croissance, le cheval de bataille du nouveau gouvernement indien, dominé par les libéraux conservateurs du BJP. Greenpeace y est même qualifiée de "menace à la sécurité économique nationale".


Un impact négatif de "2 à 3%" sur le PIB


Dans le viseur des services secrets: les financements internationaux des ONG en Inde. Certaines organisations sont ainsi soupçonnées de faire le jeu des puissances étrangères en s’opposant à des projets industriels en cours. C’est notamment le cas de Greenpeace, qui lutte contre la mise en exploitation de mines de charbon, dans la forêt de Mahan, au Madhya Pradesh (dans le centre du pays), un projet du conglomérat pétrolier indien Essar.

"Les donateurs étrangers conduisent les ONG locales à […] servir d’outils pour les intérêts stratégiques des politiques étrangères des gouvernements occidentaux", affirme le service de renseignement. Selon les calculs de l’Intelligence Bureau, elles auraient ainsi un impact négatif de 2 à 3% par an sur le PIB indien. Ces conclusions ont suscité de vives réactions dans les médias et au sein de la société civile.
Surjit Bhalla, un économiste renommé, prend ainsi la plume dans une longue tribune. "2 à 3% du PIB indien, cela représente actuellement entre 25 et 37 milliards d’euros […], écrit-il. Le montant reçu par les ‘mauvaises ONG’ est proche de 6,7 millions d’euros par an [selon l’Intelligence Bureau lui-même]. Cette somme a donc été aux mains de parfaits génies qui ont réussi à faire perdre à l’Inde (par leurs recherches, lobbying et manifestations) 2500 fois leur investissement d’origine", ironise-t-il.

Une autre estimation contredit celle des services secrets indiens, elle vient de la Banque mondiale. L’institution estime que la dégradation de l’environnement coûte à l’Inde 5,7 % de son PIB annuel.

Des associations indiennes font les frais des activités "anti-développement"


Le Ministère de l’Intérieur a suspendu les financements internationaux de Greenpeace, dont chaque transaction devra désormais être soumise à une autorisation individuelle. D’autres organisations pourraient bientôt tomber sous le coup de mesures similaires.
"Nous craignons que le rapport ultra-confidentiel de l’Intelligence Bureau ne devienne un outil pour servir les intérêts des entreprises", réagit Samit Aich, le directeur général de Greenpeace en Inde. Selon l’activiste, le pétrolier indien Essar chercherait déjà à utiliser le rapport dans le conflit juridique qui l’oppose à l’ONG.
Les associations indiennes recevant des fonds de l’étranger ont-elles du souci à se faire ? Le rapport liste en tout cas certaines activités jugées "anti-développement" pour 2014, comme les campagnes portant sur le traitement des déchets électroniques, le projet de couloir industriel Bombay-Delhi, ou encore la constitution  d’associations d’ouvriers du bâtiment dans les zones urbaines.

Selon l’Intelligence Bureau, les ONG internationales se focalisaient auparavant sur des questions de castes et de droits de l’homme. Elles se concentreraient aujourd’hui sur des "campagnes retardant la croissance".
Or relancer la croissance, c’est la grande promesse de Narendra Modi, le nouveau Premier ministre indien.

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