Le ministre de l'économie, Arnaud Montebourg, a livré jeudi 10 juillet sa « feuille de route du redressement économique de la France » destinée à « restituer 6 milliards d'euros » de pouvoir d'achat aux Français. Ce redressement passera par une loi qu'il présentera à la rentrée.
Le ministre a notamment évoqué les professions et secteurs réglementés : huissiers, greffiers des tribunaux de commerce, auto-écoles, prothésistes dentaires, etc. L'idée : assouplir la concurrence pour doper les créations de postes dans ces secteurs.
Un thème qui est revenu sur la table il y a quelques mois, lors de l'épisode de la grogne des taxis au printemps, et que dénonçait déjà le rapport Rueff-Armand… en 1960. Car, si l'idée est simple, la réalité est plus compliquée.
Qu'est-ce qu'une profession réglementée ?
Une « profession réglementée », dans le sens de la directive européenne, est définie comme une « activité ou [un] ensemble d'activités professionnelles dont l'accès, l'exercice ou une des modalités d'exercice est subordonné directement ou indirectement, en vertu de dispositions législatives, réglementaires ou administratives, à la possession de qualifications professionnelles déterminées ».
Le Centre international d'études pédagogiques recense plus d'une centaine de professions réglementées en France : de l'ambulancier au ramoneur, en passant par l'électricien, le glacier ou le maréchal-ferrant.
Les termes de « rente » ou de « monopole » renvoient aux corporations de l'Ancien Régime, mais ces professions relèvent souvent, aujourd'hui, de l'organisation du système de santé ou de la protection des consommateurs que la puissance publique veut perpétuer.
L'Union nationale des professions libérales, qui représente les huissiers de justice, les avocats, les greffiers des tribunaux et certaines professions de santé, rappelle que « les professions réglementées obéissent à des règles déontologiques, lesquelles proscrivent le recours à la publicité. Certaines d'entre elles assument des missions de service public, et d'autres, lorsqu'elles sont conventionnées, pratiquent des tarifs administrés, excluant la concurrence par le prix que voudrait stimuler la future loi ».
Combien coûtent-elles à la France ?
C'est un sujet extrêmement épineux et qui n'a pas été réellement tranché : à l'automne 2012, le gouvernement a commandé à l'Inspection générale des finances un rapport sur la question. L'enquête a été réalisée et un document remis au ministre de l'économie, Pierre Moscovici. Mais « sa publication n'est pas prévue », a-t-on indiqué.
Parmi les études disponibles, deux ingénieurs des Mines, Jean-François Jamet et Xavier Piccino, ont calculé, en 2009, qu'une hausse de quelques points de la quantité de professionnels réglementés permettrait à la France d'améliorer son taux d'emploi dans les services, très faible par rapport à ses voisins : les services emploient en France 42 % de la population âgée de 15 à 64 ans contre 51 % en Allemagne, 56 % en Suède et même 62 % aux Pays-Bas.
Et, certes, modifier les règles ne coûterait pas un centime à la puissance publique... dans l'immédiat. Les effets à moyen et long terme pourraient cependant être dommageables.
Par exemple, si la loi mettait fin au monopole officinal pour tous les médicaments en accès libre, le risque serait de rendre moins rentables certaines pharmacies dans des zones isolées, et d'ajouter aux déserts médicaux des déserts pharmaceutiques. Ce, alors que ces médicaments restent plus chers de 50 % en Allemagne, de 40 % en Italie et de 20 % en Espagne.
Dans le cas des notaires, qui ont la prérogative de la rédaction des actes authentiques et sont rémunérés au pourcentage de la transaction, c'est toute la formation des prix de l'immobilier qui est en question : comment isoler le travail relatif aux procédures légales (qui se sont complexifiées ces dernières années) par rapport au prix d'un bien ?
Une telle réforme est-elle possible en France ?
Plusieurs voix se sont déjà élevées vendredi contre l'annonce d'Arnaud Montebourg :
L'épisode des taxis parisiens, qui ont obtenu gain de cause sur plusieurs de leurs revendications à l'encontre des véhicules avec chauffeur, a montré la difficulté de réformer un système aussi bien ancré. La commission Attali avait relevé en 2008 pratiquement le même nombre de licences de taxi à Paris que le comité Rueff-Armand.
Les coûts sociaux et électoraux ne seront probablement pas absents de la réflexion de Bercy : dans leur étude, MM. Jamet et Piccino chiffrent à 3 millions d'emplois en France le poids des professions réglementées…
Quelles sont les prochaines pistes de réforme ?
L'Autorité de la concurrence a été saisie par le ministre sur les tarifs des professions réglementées le 3 juin dernier. Les professions concernées sont les suivantes :
- les officiers publics et ministériels, c'est-à-dire les commissaires-priseurs judiciaires, les greffiers des tribunaux de commerce, les huissiers de justice et les notaires ;
- les administrateurs judiciaires ;
- les mandataires judiciaires.
La guerre contre les rentes et les monopoles a en réalité déjà commencé. A titre d'illustration, la récente autorisation de vente en dehors des pharmacies des tests de grossesse prévue par la loi « consommation » défendue par l'ex-ministre délégué à l'économie sociale et solidaire, Benoît Hamon.
Autre exemple, après avoir libéralisé la vente de lunettes en ligne, l'exécutif a réduit le remboursement des verres par les mutuelles. Le gouvernement invoque un rapport de la Cour des comptes (.PDF) estimant à 470 euros le prix d'une paire de lunettes en France, un montant deux fois supérieur aux tarifs relevés au Royaume-Uni, en Italie et en Allemagne.
La Commission européenne presse aussi de son côté : elle a encore rappelé en mai que « la pauvre performance de la France dans le marché des services freine ses exportations ». La Commission a répertorié les réglementations nationales en la matière, montrant que l'Hexagone s'affiche dans le peloton de tête des pays ayant le plus de professions réglementées (voir la carte interactive).
La justice, enfin, apporte aussi à sa manière sa contribution au dossier de la réforme des professions réglementées : six associations et syndicats représentant les auto-écoles avaient demandé la suppression du site Internet d'Ornikar, une start-up qui propose une alternative moins coûteuse aux formations classiques. Le tribunal de commerce a débouté les plaignants, estimant que l'activité d'Ornikar ne constituait pas un trouble manifestement illicite, et qu'elle pouvait obtenir son agrément.
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