Bienvenue en Namibie, le pays où la presse est très libre

Bienvenue en Namibie, le pays où la presse est très libre

Au début, j’ai cru à une erreur. Sur la carte de la liberté de la presse dans le monde, publiée annuellement par Reporters sans frontières (RSF), la Namibie est en blanc. Seul pays du continent africain à avoir la même couleur sur la...

Par Pierre Haski
· Publié le · Mis à jour le
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Quatre hommes lisent un journal  Windhoek, en 2009.
Quatre hommes lisent un journal à Windhoek, en 2009. - JOHANNA WILKIE/AP/NANGOF/CC/IANSA

Au début, j’ai cru à une erreur. Sur la carte de la liberté de la presse dans le monde, publiée annuellement par Reporters sans frontières (RSF), la Namibie est en blanc. Seul pays du continent africain à avoir la même couleur sur la carte que les vertueux pays scandinaves, mieux notée (19e pays à l’échelle mondiale), par là-même que la France (37e...) ou la plupart des pays européens.

NAMIBIE
  • Population :  2 millions 
  • Capitale :  Windhoek
  • PIB : 4 475 $ par habitant en 2010, 100e sur 180 selon la Banque mondiale.

?3 trucs fascinants :

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#1 La Bande de Caprivi, une bande de terre qui s’étend vers l’intérieur dans le nord-est de la Namibie, est l’un des rares points de rencontre au monde entre quatre pays : Namibie, Botswana, Angola, Zimbabwe. Un éphémère mouvement de libération de Caprivi a tenté de lutter pour son indépendance.

#2 Après avoir exploité les diamants de la côte en dessous du niveau de la mer, la De Beers recherche désormais des diamants offshore avec des machines grandes comme un immeuble de trois étages, capables de filtrer le fond marin. Les diamants sont l’une des principales ressources du pays.

#3 Le peuple San, également appelé Bushmen par les Blancs, présent dans plusieurs pays de la région et connu pour sa langue à base de cllicks, compte quelque 27 000 personnes en Namibie. L’armée sud-africaine les avait recrutés comme « pisteurs » en raison de leur connaissance du terrain pour traquer les infiltrations de guérilla

Pour s’en convaincre, il suffit d’aller sur le site du journal The Namibian, quotidien anglophone dont les racines remontent à la lutte pour l’indépendance et contre l’apartheid. J’ai connu à l’époque sa fondatrice, Gwenn Lister, une activiste blanche, intrépide et déterminée ; même si elle a passé la main après plus de vingt ans à la tête du journal, elle écrit toujours dans The Namibian, et sa plume n’a pas faibli même si le contexte a radicalement changé.

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Sur Twitter, Gwenn Lister est également très présente, et passe sa colère contre les puissants du jour. L’autre jour, elle s’emportait sur le réseau social : 

« Les membres du parlement namibien pleurent pour avoir des augmentations de salaire et un statut de VIP, mais ont des intérêts d’affaires privés, et s’assoient sur des permis d’extraction minière. Mon cœur saigne. »

Cette semaine, The Namibian se penche sur la polémique du moment en Namibie : les marchés publics pour la construction de nouveaux logements, dans le cadre d’un plan gouvernemental allant jusqu’à 2030, dans des conditions de transparence extrêmement douteuses. Dans un éditorial le 13 juin, il écrit :

« A voir les gens qui remportent les appels d’offres, il est clair que seuls ceux qui ont des liens avec les responsables de l’agence nationale du logement et avec les leaders politiques nationaux sont en mesure de l’emporter. Rien ne montre que [contrairement à ce qui est proclamé, ndlr], les ingénieurs et artisans qui ont le potentiel mais manquent d’expérience dans le secteur du bâtiment se verront aider pour croître dans l’avenir. En fait, la plupart de ces intermédiaires [qui l’emportent, ndlr] sont des piliers bien connus des appels d’offres, connus pour se présenter dès qu’il y a une opportunité de gagner un sou. S’ils apprenaient qu’on pouvait se faire des milliards dans la fourniture de dossiers, ils soumissionneraient sans même se demander ce que ce boulot implique. [...] C’est particulièrement agaçant de se demander pourquoi le gouvernement s’accroche à un plan qui laisse jusqu’à un tiers de sommes prévues pour l’allocation de logements aux plus pauvres aller dans les poches d’intermédiaires cupides. »

Cet éditorial au vitriol, qui accuse ouvertement l’administration et les dirigeants politiques de corruption et de vénalité aux dépens de l’intérêt général explique mieux que tout pourquoi la Namibie est bien « notée » dans ce classement de la liberté de la presse dans le monde.

Mais pourquoi la Namibie s’en sort-elle mieux que d’autres pays d’Afrique en matière de liberté de la presse ? Est-ce dans les gènes issus de la lutte de libération ?

La Namibie, alors le Sud-Ouest Africain, a une une histoire singulière, tragique, qui en fait un pays à part.

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Namibie
Namibie

Cette ancienne colonie allemande (1884-1915) a d’abord subi une implacable conquête coloniale, au cours de laquelle, une des principales ethnies du pays, les Hereros, a subi un véritable génocide de la part de l’armée du général Von Throta. Puis, elle a eu la malchance, à l’issue de la Première guerre mondiale, d’être confiée par un mandat de la Société des Nations, l’ancêtre des Nations Unies, à l’Union sud-africaine voisine qui était du côté des vainqueurs de la guerre. Le problème est que ce pays l’a progressivement « avalé », en toute impunité, comme sa cinquième province, et surtout, après 1948, lui a appliqué ses abominables lois d’apartheid comme au reste de l’Afrique du Sud.

Un air de liberté

La Namibie n’a jamais accepté ce double fait accompli. Un mouvement de libération est né en 1960, la SWAPO (Organisation des peuples du sud-ouest africain), dont le fondateur, Toivo Ja Toivo, s’est retrouvé au pénitencier de Robben Island, au large du Cap, en compagnie de Nelson Mandela. En 1977, alors que j’étais correspondant de l’Agence France-Presse à Johannesburg, j’ai eu le privilège de voir Mandela et Toivo, en tenue de prisonniers, jardinant ensemble dans la cour de leur bagne, dans un contexte historique où personne ne donnait cher de leurs chances d’en sortir vivants.

La SWAPO était dirigée en exil par Sam Nujoma, un solide guerillero barbu, installé en Zambie, sur la « ligne de front » entre l’Afrique noire et les pays sous domination blanche. Sa situation stratégique changea du tout au tout avec la « révolution des œillets » au Portugal, le 25 avril 1974, qui permit l’accession de l’Angola à l’indépendance, facilitant les incursions de guerilla. Quinze ans de guerre, de massacres, de déstabilisations, de coups fourrés, avec des incursions sud-africaines en Angola, le déploiement de soldats cubains dans un réseau de bases pour y faire face, ont transformé la Namibie, en particulier la région nord, en terrain d’affrontement.

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J’ai pu me rendre à l’époque, grâce à des complicités parmi les missionnaires scandinaves luthériens actifs dans la région, dans le nord de la Namibie, recueillir des témoignages de tortures, d’actions clandestines de commandos sud-africains, d’une guerre de l’ombre sale et sanglante. Les récits des survivants faisaient froid dans le dos, et aucune porte de sortie ne semblait imminente, après des décennies de conquête et d’oppression. Il fallut un intense travail diplomatique pour aboutir à un accord de paix en 1989 ouvrant la voie à l’indépendance et à des élections libres, dans le cadre d’un accord global prévoyant aussi le départ des Cubains d’Angola.

La guerre froide était terminée, en Afrique aussi. Cette longue et douloureuse histoire laisse une empreinte profonde. Car si la SWAPO est au pouvoir depuis l’accession à l’indépendance le 21 mars 1990, elle doit tenir compte d’une vigoureuse société civile, constituée comme en Afrique du Sud dans le cadre de la lutte contre l’apartheid, et qui ne s’en laisse pas compter.

Dans sa chronique de The Namibian en date du 6 juin, Gwenn Lister, qui contribua de manière active à la libération du pays, même si ce n’est pas les armes à la main (elle a reçu l’International Press Freedom Award pour son action et figure parmi les 50 héros de la liberté de la presse de l’Institut international de la presse), prend à partie le Président namibien, Hifikepunye Pohamba, le successeur de Sam Nujoma, pour ses propos très guerriers à l’encontre des anciens soldats du pouvoir blanc, tournant le dos à l’esprit de réconciliation qui avait été celui de la SWAPO depuis un quart de siècle.

Et elle concluait :

« Nos ennemis, aujourd’hui, ne sont pas les ex-Koevoets [unité paramilitaire à l’époque de l’apartheid, ndlr]. Ce sont les cupides et les corrompus qui prennent la nourriture de la bouche des plus pauvres, ainsi que les meurtriers et les violeurs qui font de notre pays un pays peu sûr. Le Président Pohamba serait bien avisé de garder ses paroles guerrières pour ces éléments plutôt que pour des soldats qui ont combattu, et perdu la guerre, il y a plusieurs décennies. »

Paroles fortes qu’on ne prononcerait pas impunément dans une bonne partie de l’Afrique, encore aujourd’hui, mais qui, en Namibie, expliquent que le pays soit peint en « blanc » sur la carte de RSF... 

Crédit photo : JOHANNA WILKIE/AP/NANGOF/CC/IANSA

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