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Billet de blog 15 juillet 2014

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GPA: pour un vrai débat

Libération a publié hier une lettre au Président de la République signée d'une brochette de personnalités sur la GPA. Objectif : exiger que la France fasse appel de la récente décision de la Cour européenne des droits de l'homme sur la reconnaissance de la filiation des enfants nés à l'étranger de mères porteuses. Ce texte développe trois paragraphes, on n'ose dire arguments.

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Libération a publié hier une lettre au Président de la République signée d'une brochette de personnalités sur la GPA. Objectif : exiger que la France fasse appel de la récente décision de la Cour européenne des droits de l'homme sur la reconnaissance de la filiation des enfants nés à l'étranger de mères porteuses. Ce texte développe trois paragraphes, on n'ose dire arguments.

            Le premier décrit un rapport de force à travers un verbe aux accents historiques obscènes dans le contexte : « Si la France plie, si les filiations des enfants issus de contrats de mère porteuses faites à l'étranger sont inscrites à l'état civil, alors la marché des bébés devient de fait efficace. » On se contente donc d'opposer la France à une institution européenne (la Cour européenne des droits de l'homme, excusez du peu !) et aux pays qui autorisent d'ores et déjà la GPA (situés hors de limites de l'hexagone sans doute ont-ils échappé aux Lumières de la raison !). Mais quelle mouche a piqué tous ces ardents défenseurs de l'Europe et de la mondialisation pour donner sans retenue dans le cocardier, la fierté nationale et l'appel à surveiller les frontières ? La France serait-elle donc menacée par une invasion de... nourrissons dans leurs langes ?

            Le second paragraphe pourrait satisfaire la soif d'argument du lecteur, il fait tomber bébé de sa chaise. Il occupe 1300 signes sur un texte de 3500 et s'ouvre par une apostrophe du Président de la République : « Comment allez-vous expliquez aux Françaises et aux Français que, s'ils ont de l'argent, ils pourront acheter un bébé à l'étranger et le faire inscrire comme leur fils ou leur fille sur l'état civil français tandis que, s'ils ne sont pas assez fortunés, ils devront subir l'interdiction qui demeurerait en droit français applicable aux contrats de mère porteuse réalisées en France ? » Argument universel, simple, incontestable : l'égalité. Voire. Parmi les procédures ordinaires à disposition des parents en mal d'enfants on compte l'adoption. Un individu ou un couple sollicite un agrément qui lui est éventuellement octroyé à la suite d'une enquête sociale poussée. Et après ? Après : rien. Le peu d'enfants à adopter sur le territoire français condamne les parents dûment agrées à une attente indéfinie. Ils se mettent donc eux-mêmes en quête d'un enfant à l'étranger. Le cas s'est présenté autour de moi. Haïti ou Ukraine, le modus operandi est le même : recherche d'informations par le biais d'associations ou d'internet, prise de contact avec une institution hors des frontières, voyage sur place, procédure administrative d'adoption qu'il est nécessaire d'accélérer par des visites régulières et des dessous de table, dons faits aux institution souvent dans un état pitoyable de délabrement. Au final une addition impressionnante, plusieurs milliers, voire dizaines de milliers d'euros par enfant. Belle égalité qui semble n'avoir jamais troublée la conscience de tous ces ardents défenseurs des frontières. Voici qu'ils convoquent aujourd'hui un universalisme abstrait, accompagné d'un pathos républicain bien utile à nourrir l'indignation que mérite la GPA. On a connu la gauche mieux inspirée lorsque dans les années soixante et soixante-dix, elle utilisait à l'envers l'argument économique pour revendiquer pour toutes les femmes le droit à l'avortement, et pas seulement celles qui avaient les moyens de contourner la loi française en allant avorter en Grande-Bretagne ou au Pays-Bas alors que les autres devaient se contenter de l'art et des accidents des « faiseuses d'anges ». On se souvient encore que la loi Veil fut votée par un gouvernement de droite contre sa majorité. Autre temps, autres mœurs.

            Le troisième paragraphe qui inscrit un parallèle entre « la défense des femmes et des enfants » et la lutte contre « la traite des humains » ne vaut même pas la peine qu'on s'y arrête, il ne dépasse pas l'implicite et l'amalgame, ces épouvantails d'une pensée incapable de penser le présent au delà des craintes qu'il inspire.

            Si ce texte indigent devait à la seule autorité de ses signataires, et sans davantage de débats, justifier une décision défavorable du Président de la République à l'égard de la GPA, celle-ci constituerait une insulte à la raison. Une défaite de la politique. Et de la gauche. Une de plus, dira-t-on. 

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