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Nigeria / France

Jean-Christophe Servant: «Ansaru est proche des groupes comme Aqmi ou le Mujao»

L’otage français Francis Collomp est libre. L'ingénieur français de 63 ans s'est échappé, le samedi 16 novembre 2013. Il serait parvenu à tromper la vigilance de ses ravisseurs pour s'enfuir, prendre un taxi et se réfugier dans un poste de police. Il était détenu depuis presque un an au Nigeria par le groupe Ansaru, un mouvement dissident de la secte islamiste Boko Haram qui mène depuis plusieurs années une insurrection contre le pouvoir central nigérian. Une libération qui survient après l'enlèvement d'un prêtre français dans le nord du Cameroun revendiquée par Boko Haram. Décryptage avec Jean-Christophe Servant, journaliste au magazine Géo et spécialiste du pays.

Capture d'image d'une vidéo diffusée par le groupe islamiste Ansaru le 24 décembre 2012, montrant un groupe d'hommes armés dans un endroit indéterminé.
Capture d'image d'une vidéo diffusée par le groupe islamiste Ansaru le 24 décembre 2012, montrant un groupe d'hommes armés dans un endroit indéterminé. AFP PHOTO - JAMA'TU ANSARUL MUSLIMINA FI BILADIS SUDAN
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RFI : Francis Collomp avait été enlevé par le groupe islamiste Ansaru dans l’Etat du Katsina dans le nord du Nigeria. Il s’est libéré dans celui de Kaduna. Une région où le mouvement est implanté ?

Jean-Christophe Servant : Depuis l’apparition de la scission avec Boko Haram, au début de l’année 2012, Ansaru s’est plutôt fait connaître par des opérations et des enlèvements dans cette région, c'est-à-dire plutôt au nord du Nigeria qu’au nord-est. Par exemple, une prise d’otages avait été menée en 2012, contre des employés du bâtiment dans cette même région, entre Zaria et Kaduna, et qui s’était soldée par quatre morts britanniques et libanais. Il faut comprendre que la charia est instaurée dans douze Etats du nord du pays, et que c’est le ressentiment lié à cette mauvaise charia, en tout cas une charia qui n’était pas au bénéfice de la population, que finalement sont apparus des prédicateurs à l’origine de Boko Haram. Il y a aussi la question complexe posée par les ensembles des grands groupes ethniques vivant dans cette région. D’un côté vous avez donc le monde haoussa qui couvre tout l’interland en fait, du Sahel, et de l’autre côté nord-est où Boko Haram est née, c’est plutôt le monde Kanouri, lié au Cameroun. Partout, il y a un ressentiment lié au sous-développement. Enfin, il y a la relation par rapport au pouvoir central, pouvoir central aujourd’hui, actuellement mené par un président chrétien issu de la région du delta du Niger, région pétrolière.

Donc Ansaru et Boko Haram agissent dans des régions différentes, mais qu’est-ce qui différencie leurs actions et leurs idéologies ?

D’une certaine manière, un peu trivialement Ansaru est beaucoup plus tourné vers une forme de jihad international, contrairement à Boko Haram dont les objectifs sont beaucoup plus tournés vers l’Etat central et le pouvoir politique. Ansaru est né au début de l’année 2012 et reprochait à Boko Haram de mener des opérations trop violentes et souvent au détriment de la communauté musulmane. Donc Ansaru s’est tourné vers un mode opératoire contre des cibles occidentales et avec des enlèvements. Et on peut effectivement considérer qu’Ansaru est beaucoup plus proche de ce qui se passe à l’ouest de la bande sahélienne, beaucoup plus proche de groupes comme Aqmi ou en particulier le Mujao.

Alors cette libération survient après l’enlèvement du père Georges Vandenbeusch dans le nord Cameroun, un kidnapping revendiqué par Boko Haram. Est-ce qu’il pourrait y avoir un lien entre les deux ?

On ne sait pas s’il était directement visé. Est-ce que ce prêtre s’est retrouvé dans une opération de braquage ou de cambriolage ? C’est un protocole très habituel de la part de Boko Haram, qui est pourchassé par l’Etat central et qui n’hésite pas à aller braquer des banques du côté du nord du Nigeria, une région qui a toujours été connue pour ses coupeurs de routes. Ensuite, est-ce que c’est corollaire ? C’est difficile de répondre à cette question, puisque que ce soit Boko Haram ou Ansaru, ces groupes en fait marchent plutôt par cellules, même si on sait qu’il y a une sorte de choura des chefs de Boko Haram, et qu’il y a des dirigeants au sein d’Ansaru. Donc ce grand pouvoir d’autonomie rend encore plus cette forme de guerre asymétrique extrêmement complexe pour les autorités nigérianes.

Ansaru, groupe dissident de Boko Haram, pourtant après l’enlèvement du prêtre la secte islamiste avait affirmé, selon l’AFP, avoir travaillé en coopération avec Ansaru. Est-ce que vous y croyez ?

Effectivement, cette opération de communication a été assez étonnante, comme si justement Boko Haram souhaitait qu’Ansaru revienne dans son giron. Mais il est clair qu’il y a sans doute beaucoup de choses à comprendre derrière ce message, qui est un double message adressé effectivement à des gens d’Ansaru.

Pourquoi Boko Haram se serait mis à kidnapper des Occidentaux ?

Le mode opératoire de l’enlèvement n’était pas, jusqu’à maintenant évidemment, quelque chose signée Boko Haram. Est-ce que c’est lié à la panique ? Est-ce que c’est lié à nouveau à la guerre de basse intensité et très sale, qui est menée par les forces autorités nigérianes et qui amène Boko Haram à se retrouver dans des réduits, en particulier les réduits montagneux de Borno à la frontière du Cameroun et les pousse un petit peu à aller un peu plus de l’autre côté de la frontière ? Là aussi, on ne peut qu’émettre des hypothèses. Mais il est clair que jusqu’à maintenant, Boko Haram n’était pas habitué à pratiquer ce type d’enlèvement.

Cette guerre sale, comme vous dites, est-ce qu’elle peut neutraliser Boko Haram ?

Il semble en fait que cette opération extrêmement violente ait été accompagnée de centaines, sinon de milliers de cas d’exécutions extrajudiciaires. Il semble que jusqu’à maintenant au contraire, le gouvernement est face à une sorte de pit-bull fou, qui intervient de plus en plus violemment, au détriment de la population qui est coincée dans cette région. Les opérations menées par le gouvernement nigérian ne semblent pas avoir mené à la fin et à la réduction de Boko Haram.

Avec ces exactions est-ce que l’armée ne risque pas, au contraire, de radicaliser encore plus les islamistes ?

C’est une question qu’on peut se poser. Le gouvernement nigérian se repose beaucoup sur la relance de milices rurales dans de nombreux petits villages. Des milices qui ont toujours existé, mais qui aujourd’hui servent comme force d’appoint pour le gouvernement. Mais il est clair que cette opération, à un an et demi des élections présidentielles qui sont toujours très chaudes, pourrait amener des jeunes gens à rejoindre Boko Haram.

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