Droit de vote des étrangers, trente ans de dérobade socialiste

François Hollande a relancé, le 14 juillet, l'éternel débat sur le droit de vote des étrangers aux municipales. Un projet que le PS repousse depuis plus de trente ans.

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François Hollande a réaffirmé, le 14 juillet, sa promesse de campagne d'instaurer le droit de vote des étrangers aux municipales.
François Hollande a réaffirmé, le 14 juillet, sa promesse de campagne d'instaurer le droit de vote des étrangers aux municipales. © AFP

Temps de lecture : 4 min

Le vote des étrangers aux municipales ? "On prendra le temps qu'il faudra." Ces mots pourraient être ceux de François Hollande. C'est pourtant François Mitterrand qui les a prononcés, il y a plus de vingt-cinq ans à Villetaneuse. Un "oui, mais" que la gauche assène depuis plus de trente ans, sans jamais oser franchir le pas. En rappelant, le 14 juillet, son intention d'instaurer le droit de vote des étrangers aux élections municipales, François Hollande prend le risque d'un énième abandon.

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1981, François Mitterrand remporte la présidentielle. Dans son programme, la proposition numéro 80 réclame le "droit de vote aux élections municipales après cinq ans de présence sur le territoire français". Ni une ni deux, à l'été, le ministre des Relations extérieures Claude Cheysson annonce à Alger qu'un projet de loi devrait être rapidement déposé. Les réactions à droite ne tardent pas. Le président du RPR Jacques Chirac, qui s'était pourtant prononcé pour le droit de vote des étrangers en 1979, change son fusil d'épaule et entre dans la contestation. L'affaire gonfle tout au long du mois d'août. La majorité socialiste trouve alors une réponse compromissoire, par l'intermédiaire du secrétaire d'État chargé des immigrés François Autain, qui annonce, le 12 août au Matin de Paris, que ce droit de vote doit être "l'aboutissement d'un long processus d'insertion". "Chaque chose en son temps", ajoute-t-il, sans se prononcer sur les délais que la majorité se fixe. Première occurrence de l'éternelle rengaine.

Les prétextes pour gagner du temps sont depuis trente ans les mêmes : d'une part, instaurer le droit de vote pour les étrangers nécessite une modification de la Constitution ; d'autre part, les Français ne sont pas prêts à accueillir une telle réforme. À mesure que la gauche martèle ces arguments, sa volonté, déjà en demi-teinte, s'étiole.

La velléité mitterrandienne

Après un premier septennat passé à repousser l'affaire, le candidat François Mitterrand relance l'idée d'un droit de vote local pour les étrangers dans sa Lettre à tous les Français, en avril 1988, en pleine campagne pour la présidentielle. RPR et Front national condamnent la proposition à l'unisson. Le PS se frotte les mains, lui qui cherchait le moyen de faire déraper le RPR sur sa droite et d'en diviser l'électorat. Mitterrand le revendique : le droit de vote des étrangers est "un des moyens que j'ai offerts, non pas innocemment, au RPR et au Front national de se retrouver frères jumeaux", lance-t-il en avril à Villetaneuse. Le projet n'est toutefois relancé qu'en apparence. Le PS converti au réalisme, la proposition est toujours formulée au conditionnel et paraît de plus en plus incantatoire.

Même rengaine au second septennat. À l'échelle européenne pourtant, dès la fin des années 1980, le débat sur le droit de vote local des ressortissants de la communauté émerge, renversant progressivement la conception classique de la citoyenneté, habituellement associée à la nationalité. Il n'empêche, malgré quelques initiatives de parlementaires socialistes pour forcer la main au gouvernement, le droit de vote des étrangers extra-communautaires n'est plus à l'ordre du jour. Le bureau exécutif du PS acte même l'abandon du projet en avril 1990, provoquant l'ire de quelques élus. Premier ministre, Michel Rocard n'en démord pas : "Je ne parlerai plus du droit de vote des immigrés", tranche-t-il une fois pour toutes, provoquant la fureur de François Mitterrand.

Brefs sursauts

L'accession de Jacques Chirac à l'Élysée, en 1995, met fin au débat : sans l'accord de la présidence, pas de révision de la Constitution possible. Un coup de théâtre va pourtant remettre les socialistes à l'étrier, qui raflent en 1997 la majorité à l'Assemblée. En 2000, une proposition de loi constitutionnelle des Verts instaurant le droit de vote des étrangers est adoptée à l'Assemblée. Même Jean-Pierre Chevènement, alors à l'Intérieur, sort de sa réserve et s'y dit favorable. Mais c'est surtout affaire de symboles. Le Sénat, tenu par la droite, ne mettra jamais le projet à l'ordre du jour. Silence donc ... jusqu'à la présidentielle de 2002. En campagne, Lionel Jospin invite à lever le "tabou", promet qu'il proposera une réforme rapidement s'il est élu. Aurait-il tenu sa promesse? Son échec met fin au projet.

Les années passent, l'affaire semble enterrée. À droite, quelques coming out sporadiques la relancent de temps à autre. Comme Philippe Séguin, qui se dit favorable à un droit de vote étendu aux ressortissants de pays francophones ; comme Yves Jégo, pour les étrangers qui renouvellent leur titre de séjour pour la seconde fois ; ou encore Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur, qui se dit personnellement "favorable" au droit de vote des étrangers aux municipales. La déclaration provoque des remous sur les bancs des députés UMP. Le ministre fait finalement marche arrière.

Patate chaude

Après trente ans d'hésitations du camp socialiste, François Hollande s'empare à son tour de la patate chaude. Il a réaffirmé ce qui fût sa promesse de campagne, le 14 juillet, et assuré que le droit de vote des étrangers aux municipales serait à l'ordre du jour dès 2016. Nouveau rétropédalage, puisqu'il s'était engagé, il y a un an, à plancher dessus après les municipales. "Je veux que ce soit le fruit d'un consensus", se justifiait François Hollande pendant son interview du 14 juillet. On connaît la rengaine.

SONDAGE. Droit de vote des étrangers : Hollande a-t-il raison de déterrer sa promesse ?


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Commentaires (69)

  • lemazet13

    Le PS sait très bien que s'il met en avant la droit de vote aux étrangers, il perdra encore un peu plus de voix au profit d'autres partis qui sont contre.

  • jacky

    Ce sont les grands électeurs qui élisent les sénateurs... On peut donc considérer qu'il est impossible de laisser des étrangers voter a des élections municipales, ce qui aurait un impact sur les élections sénatoriales, donc nationales... Dans ce cas, un référendum est obligatoire, car cette réforme nécessite un changement au niveau de notre constitution, que le gouvernement ne peut faire sans l'accord du peuple Français... Soit le PS est un parti sans scrupule, et le vote des étrangers passera en force, et dans ce cas, c'est sa fin, soit il organise un référendum, et il en connait déjà le résultat négatif.

  • tilly

    Après ce qui s'est passé à Barbès et Sarcelles, mieux vaut définitivement y renoncer !