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Récit

Comment la manifestation propalestinienne à Paris a dégénéré

Malgré l'interdiction, des milliers de manifestants se sont rassemblés à Paris ce samedi. Des affrontements ont eu lieu entre une partie d'entre eux et les forces de l'ordre.
par Willy Le Devin
publié le 19 juillet 2014 à 21h48
(mis à jour le 19 juillet 2014 à 22h03)

Mes tweets pendant la manifestation parisienne pro-Palestine suscitent des milliers de commentaires sur les réseaux sociaux. Pas tous très spirituels, cela va sans dire. Certains évoquent un travail journalistique nécessaire et salutaire, d'autres parlent de partialité, enfin, une infime minorité me menace très violemment. Voici donc un récit de la manifestation de ce samedi après-midi, et les raisons de ce live-tweet.

Je suis arrivé au métro Barbès à 13h55. Instinctivement, je me suis mis à tweeter pour que les lecteurs aient sur Libération.fr une information en temps réel du déroulé des événements. C'est précisément ce qui a manqué aux médias lors des échauffourées qui ont eu lieu dimanche dernier rue de la Roquette. Cette fois-ci donc, pas question de recomposer un récit a posteriori. Mes tweets agiraient comme un bloc-notes, consignant des commentaires et des photos à des horaires identifiables par tous. Évidemment, ce reportage a ses limites : mes yeux et mes oreilles. N'étant nullement là pour faire de la politique, je me suis attaché à raconter les scènes touchantes, les slogans douteux, les quelques rires, les actes les plus idiots, les violences, sans chercher à savoir à qui cela allait profiter. Ces instantanés dressent une ambiance de ce qu'il s'est passé ce samedi après-midi à Paris. Point.

Cette manifestation, dont il faut rappeler qu'elle était interdite par la préfecture de police, a connu trois temps. Le premier de 14 heures à 15h15 fut bon enfant. 2 000 personnes environ, dont beaucoup de femmes et d'enfants, scandaient des slogans : «Enfants palestiniens, enfants de l'humanité», «Palestine vivra, Palestine vaincra». Il y avait des personnes de toutes origines et ça rigolait franchement. Certains s'amusant même à s'enrouler avec le maximum de drapeaux : Palestine, Algérie, France. Soit un patchwork de leurs identités multiples.

"Nous sommes tous des Palestiniens" scande la foule pic.twitter.com/cHdsKHaNww

Le cortège du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) est arrivé vers 15h05, suivi de nombreux élus du Front de gauche et de quelques écolos. A mesure que la foule enflait, le carrefour devenait irrespirable. On se marchait tous dessus alors qu’il faisait déjà très chaud. On peut alors questionner la stratégie des CRS qui, bloquant le boulevard Magenta et le boulevard Rochechouart, ont empêché les manifestants de se mouvoir. Le but était visiblement de les pousser à remonter le boulevard Barbès vers Château-Rouge. Etait-il idoine de forcer ce cortège dit «sensible» à traverser Chateau-Rouge, quartier classé zone de sécurité prioritaire ? Dans la foule, des élus n’hésitaient pas à dire que la police avait intérêt à des débordements pour légitimer des interdictions futures.

Les premiers débordements font fuir les familles

A 15h15, l'ambiance a radicalement changé. Les organisateurs qui, jusqu'ici, maîtrisaient la situation, furent débordés par une quinzaine de jeunes qui escaladèrent un échafaudage. Au troisième étage d'un bâtiment désaffecté, ils ont mis le feu successivement à 4 drapeaux israéliens. Ces actes ont eu pour effet de diviser les manifestants. Le plus grand nombre était franchement dégoûté. Se désespérant qu'il faille à chaque fois passer par ce type d'outrances. D'autres hurlaient de plus belle «Israël assassin, Israël assassin».

La scène dura une petite vingtaine de minutes, ce qui permit à certaines familles avec des enfants en bas âge de quitter les lieux. C'est aussi à ce moment qu'une équipe d'iTélé a été chahutée et copieusement insultée. La rédactrice et son caméraman ont dû se retrancher derrière le cordon de CRS pour faire leur direct. Un organisateur apparut très énervé : «Pas de ça aujourd'hui, c'est toute la cause qui va pâtir de vos conneries.» L'embrasement des drapeaux, a, en tout cas, fait sauter un couvercle et l'atmosphère est ensuite devenue bien plus électrique.

Nouveau drapeau israélien brulé, cette fois sur un conteneur devant le 39 bvd Barbes #manifgaza pic.twitter.com/uivg8Rs0oa

Une centaines de jeunes venus pour castagner

Vers 15h40, et c’est le début du troisième temps, les manifestants se sont engagés sur le boulevard Barbès, avançant presque jusqu’au métro Marcadet-Poissonniers. Soudain, des groupes extrêmement équipés et organisés ont commencé à fendre la foule pour monter au contact des CRS. Ils avançaient en ligne, le visage couvert. A l’évidence, ils n’avaient rien de militants venus défendre la cause palestinienne. Certains arboraient des tee-shirts du virage Auteuil, une tribune du Parc des Princes. Un étrange service d’ordre s’est alors déployé pour empêcher que ces groupes n’en viennent aux mains avec les policiers. Au départ, il fut efficace. Mais quelques jeunes, montés sur un conteneur, commencèrent à jeter de gros pétards sur les forces de l’ordre. Un, puis deux, puis trois. Les CRS ont répliqué par de premières capsules de gaz peu avant 16 heures.

Ça canarde dans tous les sens à l'intersection Barbes, rue Christiani #manifgaza pic.twitter.com/L65asAMra7

Dès lors, c'en était fini de toute manifestation et le XVIIIe arrondissement s'est transformé en vaste champ de bataille. Trois heures durant, une centaine de jeunes de 20-30 ans affrontèrent les CRS. Un petit groupe a même arraché le goudron d'un trottoir pour le briser en petits morceaux et le jeter sur la police. Dans les rues adjacentes, de jeunes femmes tenaient à la disposition des casseurs du sérum physiologique et du lait pour contrer les effets du gaz. Il ne fait aucun doute que certains avaient préparé leur coup. Aux alentours de 19 heures, en plein n'importe quoi, il ne restait plus rien de la situation à Gaza. Des agents en civil de la BAC interpellaient de façon musclée un maximum de casseurs. Ceux qui réchappaient de leurs assauts les insultaient copieusement. Un commerçant regardait le spectacle, atterré : «La France a un très grave problème de société.» En tout 44 personnes ont été interpellées et 17 policiers et gendarmes blessés.

Voir les images de la manifestation (zapping Cyrielle Balerdi) :

Pour aller plus loin :

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