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Interview

«Un coureur propre peut-il gagner le Tour ? Je pense que oui»

Tour de France 2014dossier
Le journaliste David Walsh, ancien détracteur d’Armstrong, a suivi l’équipe Sky pendant un an et la défend aujourd’hui face au dopage :
par Michel Henry, Envoyé spécial à Saint-Etienne
publié le 17 juillet 2014 à 19h26

Un jour, alors que David Walsh (Sunday Times) s'obstinait à dénoncer le dopage, un confrère lui lâcha que cela revenait à «jouer du piano dans une maison close» : sa musique, même dissonante, n'empêcherait ni l'activité du bordel ni l'intérêt des clients. Juste conception : les chiens aboient, la caravane du Tour passe. Walsh avait néanmoins raison quand, en 2004, il sortit avec le journaliste Pierre Ballester L.A. Confidential. L'ouvrage fit vaciller l'édifice Armstrong et valut aux auteurs d'être mis au ban par la plupart de leurs confrères. Mais en 2012, la suspension à vie du Texan, puis ses aveux confirmèrent que le duo avait raison. Et Armstrong a remboursé au Times le million de livres (1,25 million d'euros) que le journal avait été condamné à débourser en amendes et frais de justice après le procès intenté par le coureur.

Walsh raconte ses treize ans d'enquêtes dans un nouvel ouvrage passionnant (1) et déjà vendu à 200 000 exemplaires selon l'auteur. Stephen Frears l'adapte au cinéma, avec Guillaume Canet campant le docteur Ferrari. Mais le journaliste irlandais suscite désormais lui-même la controverse. Ayant vécu la saison 2013 embedded dans l'équipe Sky, il en a tiré un livre, Inside Team Sky, publié en novembre, où il soutient que Chris Froome est «un coureur propre». Ce blanc-seing paraît «naïf et dangereux» à plusieurs observateurs. Walsh, qui a aussi servi de nègre pour l'autobiographie de Froome (The Climb), répond qu'il n'a pas l'ombre d'un fait pour le soupçonner - mais il n'en avait pas plus pour enquêter sur Armstrong après son festival suspect dans l'étape de Sestrières, en 1999. Surtout, ce n'est pas parce qu'il ne voit rien qu'il n'y a rien. Or, si le cyclisme semble sorti des années noires, le dopage est présent et l'Union cycliste internationale (UCI) reste suspecte.

En avril, au Tour de Romandie, Froome a obtenu de l'UCI une autorisation à usage thérapeutique (AUT) pour un corticoïde interdit. L'instance internationale a aussi planqué, jusqu'à la semaine dernière, la sanction du Russe Denis Menchov, alors que ses résultats dans trois tours (2009, 2010, 2012) lui ont été retirés pour des anomalies dans son passeport biologique. Pour les mêmes raisons, l'équipe d'Alberto Contador (Saxo-Tinkoff) a dû exclure le Tchèque Roman Kreuziger, juste avant le Tour. Et le 2 juillet, le Sud-Africain Daryl Impey (Orica), maillot jaune en 2013, a annoncé son contrôle positif en février au probénécide, un produit masquant. «Ces affaires concernant trois coureurs de haut niveau montrent qu'il y a toujours un problème», estime Walsh.

Pourquoi avoir pris position en faveur de Sky ?

Je pense que Sky essaye de courir proprement, même s'ils ont eu un problème avec Jonathan Tiernan-Locke [recruté fin 2012 par l'équipe Sky, le coureur de 29 ans, absent du Tour 2014, a été suspendu jusqu'au 31 décembre 2015 en raison d'anomalies sur son passeport biologique, antérieures, selon Sky, à son recrutement, ndlr]. J'ai été beaucoup critiqué pour avoir dit ça. Mais sur Armstrong, j'avais des témoins, des preuves. Sur Froome, rien. Des gens me disent : «C'est évident, il se dope !» Mais ça ne suffit pas. Après l'étape à la Planche-des-Belles- Filles, on m'a aussi dit : «Regardez Nibali, comme il est facile !» Mais il n'a battu Thibaut Pinot, qui passe pour propre, que de 15 secondes ! Dans le cyclisme, le vainqueur est systématiquement suspect. Parfois, c'est compréhensible. Mais ça peut être injuste.

Le cyclisme évolue-t-il dans le bon sens ?

Il est plus propre, ou moins sale. Un coureur propre peut-il gagner le Tour ? Je pense que oui. Pendant des années, ça n’était pas possible. Mais cela reste très difficile d’avoir confiance en l’UCI. On voit avec l’affaire Menchov qu’ils ne sont pas transparents. Et il faut se souvenir qu’Armstrong a été aidé par l’UCI. J’espère qu’aujourd’hui, l’UCI n’agirait plus ainsi… Nous sommes à un moment capital : ce sport peut avancer dans le bon sens, mais il peut aussi reculer. Il faut un vrai leadership et beaucoup d’argent pour la lutte antidopage.

Le cyclisme s’estime toujours plus visé que les autres sports…

Si on examinait de près le football, on en parlerait plus. Le responsable médical de la Fifa m’a dit qu’au Mondial 2010, dans une équipe, 21 joueurs sur 23 étaient traités à la cortisone. Comment est-ce possible ? Dans le foot, c’est légal. Dans le cyclisme, vous avez besoin d’une AUT.

Que Froome a obtenue dans des conditions contestables…

Sky affirme avoir respecté les règles. Mais si on veut apparaître propre, on ne doit pas utiliser de corticoïde ! On doit plutôt s’arrêter de courir : si tu as besoin de corticoïdes, c’est que tu as besoin de repos. Peut-être est-ce une vue puritaine, mais Sky se trompe là-dessus.

Dans l’affaire Armstrong, il reste un mystère : pourquoi a-t-il avoué ?

Dans l'enquête USADA [l'agence antidopage américaine], 26 témoins disent qu'il se dope, dont 11 coéquipiers. Il ne pouvait pas faire autrement. La pression était intense. En continuant de démentir, il paraissait idiot. Et il pensait qu'avouer, c'était un premier pas vers la réhabilitation. Mais ça n'a pas marché.

(1) «Sept péchés capitaux : à la poursuite de Lance Armstrong», aux éditions Talent Sport, juin 2014.

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