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ReportagePollutions

Les Calanques : leur parc national, leurs cabanons et leurs eaux polluées

Dernier parc national en date, les calanques marseillaises sont connues pour leurs criques incomparables. Mais les rejets d’eaux usées de la métropole voisine ou ceux de lourds déchets industriels en pleine mer restent le gros point noir de ce site exceptionnel.

- Marseille, correspondance

Au sommet du col de Sormiou, au cœur du parc national des Calanques créé en 2012, le contraste est saisissant. Dans le dos, au loin : Marseille, imposante. Volte-face : en contrebas se niche l’ancien petit village de pêcheurs de Sormiou et ses fameux cabanons. L’entoure une calanque homonyme, éblouissante, eau turquoise. Ambiance carte postale.

La face cachée de la carte postale

Pourtant, ce cadre exceptionnel (unique parc national périurbain français) dissimule une face cachée. Depuis des décennies, les calanques, qui s’étendent de Marseille à Cassis, subissent les assauts réguliers de la pollution humaine. Au début du XXe siècle déjà, de nombreuses industries polluantes s’installent à l’extrémité sud de Marseille et y laisseront d’importants stigmates.

Aujourd’hui, les effluents de Marseille ainsi que ceux de seize autres communes (l’équivalent d’un million d’habitants), préalablement traités par une station d’épuration (STEP), sont rejetés en pleine mer dans la calanque de Cortiou. A peine à deux kilomètres à vol d’oiseau de Sormiou. S’ajoute à ces 200 000 m3 d’eaux douces rejetées tous les jours, le débit de l’Huveaune, une rivière qui prend sa source à cinquante kilomètres de là.

Résultat, presque plus aucune espèce et la disparition des herbiers de posidonie (1). Un appel à projet pour « la restauration de la cuvette de Cortiou » a été lancé par le parc. Mais de l’aveu même de son président, François Bland, il se pourrait qu’aucune proposition ne soit finalement retenue. Trop cher.

- Herbiers de posidonie -

Eaux usées directement dans la mer

Si la STEP respecte les normes européennes, une spécificité marseillaise vient ternir le tableau : lors de gros épisodes pluvieux, environ trente jours par an, le réseau d’assainissement n’est plus capable de tout absorber. Si bien qu’une partie des eaux usées est rejetée directement en mer : « Par temps de pluie, nous avons constaté la présence d’un panache de bactéries fécales sur environ 2,5 kilomètres », dit Marc Valmassoni chargé de mission à Marseille pour l’association de protection de la mer Surfrider.

Henry Augier, sommité scientifique dans la question de la pollution marine désormais à la retraite et président d’honneur de l’association Union calanques littoral, juge ces rejets, par tous temps, scandaleux : « Certes la station d’épuration respecte les normes mais elle reste en retard sur les technologies d’aujourd’hui. Les matières en suspension sont éliminées mais pas les détergents, les métaux lourds, ni les pesticides… »

Un plan de réduction de la pollution fastidieux à mettre en place

Il estime possible d’approcher le zéro rejet polluant en s’inspirant de stations d’épuration comme celles de Cannes ou de Barcelone. Mais ce n’est pas la priorité de Marseille Provence Métropole, la communauté urbaine en charge de l’assainissement, qui par le biais d’un « contrat d’agglomération » d’un montant de 180 millions va mettre le paquet sur la construction de bassins de rétention.

Avec l’objectif de limiter la pollution de plages lors des épisodes orageux : celle de l’Huveaune, où s’écoule de l’eau polluée lorsque la rivière retrouve son lit naturel, est menacée de fermeture par une directive européenne en 2015.

Un contrat de rivière impliquant dix-sept communes est également en route avec l’objectif d’améliorer les équipements actuels et de contraindre, contre rétribution financière, les industries à devenir plus vertueuses. Plus largement, un contrat de baie qui englobe toute la rade marseillaise est au programme, mais sa mise en place est longue du fait du grand nombre d’acteurs concernés.

Les "boues rouges", l’autre scandale

Autre scandale environnemental, le rejet de « boues rouges » en pleine zone de parc, à trois cents mètres de profondeur, dans la fosse de Cassidaigne, au large de Cassis, et qu’on retrouve jusqu’au large de Toulon !

Ex-Pechiney, l’usine d’alumine Alteo de Gardanne se débarrasse grâce à un tuyau long de 47 kilomètres de ces « déchets solides », bourrés de fer, de zinc, d’arsenic, de plomb etc. En 2013, 180 000 tonnes de ces boues rouges ont été rejetées dans le parc. Et vingt millions de tonnes depuis 1966…

« Les boues rouges, c’est ce qui nous a tués, affirme Marc Gasteaud, président de la prud’homie des pêcheurs et membre du conseil d’administration (CA) du parc des Calanques. Officiellement, ces boues rouges ne sont pas toxiques, mais elles étouffent clairement les espèces et recouvrent les fonds marins. »

- Emilien et Elodie, un couple de randonneurs toulousains, à mille lieux d’imaginer que les égouts de Marseille étaient déversés en plein parc national. -

Ces rejets doivent stopper sur demande de l’Etat au 31 décembre 2015. Alteo a déposé en préfecture un projet, en cours d’évaluation, qui prévoit l’arrêt des déchets solides. Mais resteront des rejets liquides dont on ne sait encore ce qu’ils contiendront…

« Le parc des calanques est associé dans la procédure et une éventuelle autorisation préfectorale est soumise à l’avis conforme du CA, explique François Bland, le directeur du parc. Plus de boues rouges, c’est tout de même une avancée qualitative mais effectivement, il y aura toujours un rejet et nous ne pouvons pas nous en satisfaire pleinement. »

Un parc national pollué, à quoi bon ?

Retour à Sormiou. Au-dessus du petit port de pêche, Cathy prend le soleil en short et haut de maillot de bain. A 56 ans, et autant d’étés passés dans son cabanon, elle a vu les choses changer : « Je me souviens, gamine, quand les herbiers me chatouillaient le ventre… Il n’y en a plus aujourd’hui. Tout comme les arapèdes. Même si les choses se sont un peu améliorées, ça se voit quand l’eau est polluée, elle est trouble, trop chaude. Le parc ? Très bien, pourquoi pas, mais il faut savoir ce qu’on veut. Un parc propre ? Alors qu’ils fassent leur travail ! Parce qu’on nous a interdit plein de choses, même plus le droit de faire une sardinade sur le port ! »

L’éternel débat. Fallait-il créer un parc naturel sans éradiquer les sources de pollution au préalable ? Le scientifique Henry Augier ne « comprend pas comment les autorités ont pu laisser faire cela. J’ai toujours été un ardent défenseur de la création du parc, mais dans de bonnes conditions ! Là, il renvoie vraiment une image criarde », s’énerve-t-il du haut de ses 82 ans.

Joseph Russo est le président de l’association des Amis de la rade et des Calanques. Créée en 2010 en réaction au manque de concertation depuis la création du groupement d’intérêt public (GIP) du parc en 1999, elle revendique environ mille membres. Pour lui, « il est clair qu’il fallait dépolluer avant de créer le parc. On nettoie avant de s’installer quelque part ».

Un levier de lutte ?

Pour d’autres, comme Didier Réault ou François Bland, le parc est un levier, un moyen de pression afin de lutter contre la pollution et aurait même été créé pour cela. « Il doit également être un acteur de la connaissance autour de cette problématique avec un accès libre aux données pour mieux comprendre d’où la pollution vient et comment la combattre », affirme le président du parc.

Leurs détracteurs se demandent pourquoi rien ne s’est passé en deux ans d’existence. « La structure est administrativement jeune et en plein recrutement », leur répond-on. Mais François Bland est d’accord avec eux : « Tout reste à faire ! »


Note

1 - La posidonie est une plante aquatique menacée, qu’on peut qualifier de « poumon de la Méditerranée » et joue un rôle fondamental pour la survie de l’écosystème marin.

Pour aller plus loin, visionnez le très bon documentaire de Véronique Simonet sur la pollution dans les Calanques : Calanques, une histoire empoisonnée

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