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Entreprise

D'Uber à Airbnb, les perturbantes dérives de l'économie collaborative

Plus le nombre de ses adeptes augmente, plus la nécessité d'adapter la réglementation devient évidente pour éviter un retour à la "loi de la jungle". Voici pourquoi...
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Les taxis s'inquiètent des avantages réglementaires dont bénéficient les VTC
Les taxis s'inquiètent des avantages réglementaires dont bénéficient les VTC
Sipa

Ryan Simonetti n'en revient toujours pas. Le 8 juillet dernier, à Washington D.C., ce PDG de la start-up Convene se dirige vers le véhicule Uber qu'il vient de commander. Le chauffeur du véhicule n'est pas à bord, il discute avec un inspecteur du service des taxis de la ville, à qui il remet les documents de sa voiture. Alors que l'inspecteur se dirige vers sa propre voiture pour les vérifier, le chauffeur d'Uber s'installe enfin au volant, et démarre sans attendre le retour de ses documents. Stupéfait, l'inspecteur des taxis déclenche son gyrophare et se lance à la poursuite du chauffeur. Ryan Simonetti raconte au Washington Post: "j'ai dit au chauffeur: 'eh, c'est quoi cette voiture de police qui nous poursuit?' Il a répondu qu'il ne fallait pas s'en faire, que ce n'était pas un vrai policier, mais qu'il allait être obligé de brûler quelques feux rouges!"

"Arrêtez la voiture ou je vous éclate la tête!"

La voiture s'engage sur l'autoroute, et ne tarde pas à dépasser largement la limite de vitesse pour échapper à son poursuivant. Simonetti hurle au chauffeur de ralentir et d'arrêter la voiture -en vain. Le chauffard lui répond qu'il ne peut se permettre d'être arrêté, car il risque une amende de 2.000 dollars à cause de ses papiers non conformes… Simonetti ajoute: "On sait que ce type de poursuites se termine de deux façons seulement: soit on arrive à sauter de la voiture, soit on se crashe…" C'est cette alternative qui lui donne le courage de dire au chauffeur: "soit je vous défonce la tête dans le pare-brise, soit on se crashe. Dans les deux cas on se crashe, mais au moins j'aurai essayé quelque chose!" Pendant le trajet, il a la présence d'alerter Uber via Twitter... ainsi que ses followers, à qui il annonce qu'il vient dêtre "kidnappé" par un chauffeur d'Uber. 

Finalement, sous la pression, le chauffeur fou accepte de prendre une bretelle de sortie. L'inspecteur des taxis le dépasse et met son véhicule en travers de la route pour le bloquer. Fin de la partie. Alerté via les tweets du malheureux passager, la compagnie qui l'a mis en relation avecce chauffeur fou réagit officiellement : "“Uber a été informé d'un incident relatif à un trajet effectué via Uber à Washington: nous allons coopérer avec les autorités et nous avons désactivé le compte du chauffeur en question".

Les expériences désastreuses sur VTC sont de moins en moins rares:  tarification issue du yield management, qui fait varier sauvagement les prix en fonction de la loi de l'offre et de la demande la plus brutale (multiplication des prix par 3,4 ou 5 en période de pointe), formation ultra-légère voire nulle des chauffeurs, qui peuvent être impolis voire malhonnêtes

Ce phénomène ne touche pas seulement les VTC, et Ryan Simonetti n'est pas le seul à essuyer les plâtres de "l'économie collaborative" (VTC, logement chez l'habitant avec Airbnb, levée de fonds communautaire…). Ainsi l'un des membres de Airbnb a-t-il un jour eu la surprise de constater que son appartement avait été loué à un individu qui l'a trouvé suffisamment à son goût pour y organiser des orgies. Un autre a voué Airbnb aux gémonies quand il a découvert que son habitation avait été louée… à des squatteurs bien décidés à ne plus quitter les lieux! Sans parler des exploits de la société Spidart, spécialisée dans le financement collaboratif de musiciens, et qui a déposé le bilan en 2010 en engloutissant les sommes investies par les fans pour produire les albums -alors qu'elle aurait dû les isoler sur un compte-séquestre sans pouvoir les utiliser pour sa gestion courante.

Les rigidités du monde réel

Le succès de l'économie collaborative ne se dément pas: selon une étude de la Commission européenne, les revenus qu'elle génère pour les particuliers qui y ont recours pour arrondir leurs fins de mois atteint déjà 3,5 milliards de dollars dans le monde en 2013 -et encore cette somme n'inclut pas le chiffre d'affaires des sociétés, alors que le CA d'Airbnb atteignait 150 millions de dollars en 2012, et que celui d'Uber dépassait le milliard de dollars en 2013 selon le blog Valleywag. Toujours selon la Commission européenne, qui cite une étude du MIT, le marché de l'économie collaborative pourrait à terme atteindre... 110 milliards de dollars.

Seulement voilà. Il semble que l'ultra-fluidité du modèle économique du "collaboratif", généralement fondé sur une simple application ou un site Internet, ne tienne pas compte des rigidités un peu basiques du "monde réel".  Du coup, les garde-fous traditionnels que sont les lois, normes et règlements apparaissent comme de simples obstacles désuets voués à être submergés par la vague numérique. Les VTC peuvent-ils légalement et sans contrôle recruter à tour de bras des psychopathes? Peut-on louer un appartement Airbnb pour s'y livrer tranquillement au trafic de drogue le temps d'un week-end ? L'agilité géographique de ces start-up doit-elle les conduire à implanter systématiquement leurs sièges sociaux dans des paradis fiscaux -que ce soit Uber, ou Airbnb ? La facilité qu'offrent les applications à leurs utilisateurs pour contourner les lois est-elle normale? 

"Sur Internet, la communauté est le lieu de fabrication de valeurs collectives et, pour leurs participants, il ne fait pas de doute que celles-ci acquièrent une supériorité éthique sur les normes légales que l’on viendrait leur imposer de l’extérieur, même au nom de l’intérêt général écrit Dominique Cardon, dans sa préface au livre de Fred Turner, “Aux sources de l’utopie numérique”.

Cette aisance à contourner les contraintes légales, administratives et réglementaires est bien entendue dénoncée par les acteurs traditionnels. Pour ce qui concerne le secteur de l'hébergement, Roland Héguy,  le patron de l'Union des métiers de l'industrie hôtelière, est très clair : "cela représente pour nous un manque à gagner et une source d'incertitude pour le consommateur. Ce genre d'hébergement n'offre aucune garantie de qualité ni de sécurité".

Même son de cloche, on s'en doute, du côté des taxis traditionnels: "Les clients ne savent pas toujours que nos chauffeurs doivent obtenir un CAP après une formation de 3 à 6 mois, constate Yann Ricordel, Directeur Général des Taxis Bleus. De même, leurs tarifs ne peuvent pas varier en focntion de l'offre et de la demande, et toutes les voitures sont "trackables" par GPS en cas de problème."

Défense de "l'esprit start-up"

Cité par Lesinrocks.com, Thomas Thévenoud, député socialiste, auteur d’un rapport sur les taxis et les VTC, regrette le manque de réglementation des VTC :“En France, le taxi est soumis à des règles et quand il y a des problèmes, une commission de sécurité se réunit sous l’autorité de la préfecture de police pour sanctionner les mauvais comportements. Ce n’est pas le cas pour les voitures d’Uber.” Le Sénat a d'ailleurs amendé et adopté mardi 23 juillet la proposition de loi réglementant les VTC, qui prévoit notamment l'obligation d'une formation et d'une assurance spécifique pour ces chauffeurs.

[Update 25 juillet Contacté pour savoir quelle était sa politique de recrutement des chauffeurs et sa position face au respect des législations existantes, Uber n'a pu retourner notre appel. Airbnb, de son côté, nous a indiqué que tout était mis en oeuvre pour informer les membres de leurs obligations en matière de sécurité, d'hygiène et de taxe, et signale qu'un onglet spécifique traitant de ces questions est implanté sur la home-page.]

Ardent défenseur de l'esprit "start-up" et auteur de la tribune "les fossoyeurs de l'innovation" qui a  fait grand bruit dans le landerneau des taxis et des start-up, Nicolas Colin, fondateur de l'accélérateur de start-up The Family, y affirme carrément : "L’innovation ne peut pas prospérer en présence de verrous qui rigidifient l’économie et protègent les positions existantes. La seule existence de ces verrous, notamment législatifs et réglementaires, dissuade toute allocation du capital à des activités qui font bouger les lignes dans les secteurs concernés. Quel intérêt d’investir dans une entreprise innovante se développant en France dans le secteur des VTC, puisque le rendement sur capital investi sera dégradé voire annulé par le verrou réglementaire qui protège la rente des taxis ?"

L'innovation peut-elle tout emporter sur son passage ? Interviewé par Challenges.fr, Nicolas Collin résumait ainsi la situation: "l'innovation n'est pas synonyme de "libéralisation sauvage". 

Eclairage marché

La société d'études Xerfi a publié une étude (payante) sur le marché des taxis et une étude (payante) sur les sites de réservation en ligne dans le tourisme dont sont extraits les graphiques suivants:

1/ CA du secteur des transports de voyageurs par taxis

Le CA du secteur des taxis (tout compris:  transport de voyageurs par taxi,  VTC, transport non médicalisé de personnes à mobilité réduite, radio-taxis, transport de voyageurs par motos-taxis) ne cesse d'augmenter depuis 1995, malgré une décrue passagère due à la crise de 2008-2009.

2/ Taxis: le transport médicalisé, un relais de croissance qui atténue l'impact des VTC

Le marché du transport de malades par taxi a doublé depuis 2006, en raison notamment d'une libéralisation de ce marché. 

3/ Le cas Airbnb

 

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