Marseille : le juge qui faisait trembler les élus quitte ses fonctions

À 52 ans, il va rejoindre en septembre la structure de lutte contre les avoirs criminels en France, son domaine de prédilection.

À 52 ans, il va rejoindre en septembre la structure de lutte contre les avoirs criminels en France, son domaine de prédilection.

Photo Sophie Spiteri

Marseille

Après dix ans à Marseille, Charles Duchaine est promu. Il rejoint la structure de lutte contre les avoirs criminels en France, son domaine de prédilection.

Cet homme est dangereux. Longtemps, le juge Charles Duchaine, limousin de naissance, marseillais d'adoption, né il y a 52 ans sous le signe du Gémeaux, a fait trembler ceux qui franchissaient le seuil de sa porte, au quatrième étage du palais de justice de Marseille. Pourtant, l'homme n'est ni glacial ni péremptoire.

Sa porte était même tout le temps ouverte. Aux avocats surtout qu'il recevait toujours volontiers sans a priori ni forfanterie, avec une certaine aristocratie cravatée et sur un ton décalé. Charles Duchaine a même de l'humour et est de fort bonne compagnie.

Après dix ans à Marseille, le juge rejoint la capitale en septembre

Vice-président chargé de l'instruction, affecté à la Juridiction interrégionale spécialisée (Jirs), chargée de lutter contre le crime organisé, Duchaine était depuis dix ans un as du chiffre, ou plutôt des chiffres tordus, des comptes trafiqués, de l'argent public allègrement dispersé et des notabilités abusives.

Mais les textes prévoient qu'un juge du siège doit changer de poste tous les dix ans. Alors, comme le juge Franck Landou l'an dernier, tombeur de la députée PS Sylvie Andrieux, il a dû changer. Il va rejoindre Paris.

Il rêvait de la direction de l'Agrasc, la fameuse Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, mais un membre du cabinet de Rachida Dati lui avait soufflé la place. Depuis, le juge Duchaine continuait de faire avec rigueur et application son travail de juge financier.

Comme Courroye hier, Trevidic, Gentil, Tournaire ou Van Ruymbeke, Duchaine, c'était un nom. Il a mis en examen Jean-Noël Guérini, le président du Conseil général des Bouches-du-Rhône, à trois reprises. Et épinglé à sa boutonnière de juge quelques autres notables auxquels il a dû rappeler les entorses à la probité publique.

"Charly, pour ses proches, a résisté à tout"

Après un poste à Aurillac (Cantal) en 1989, il passera par la Corse et Monaco (1995-1999), où ses instructions seront aussi redoutées que redoutables. Partout où il est passé, il a dénoncé les systèmes qui ne tournent pas rond : travaux fictifs, surfacturations, grasses commissions, favoritisme sur les marchés publics, blanchiment, paradis fiscaux... Et pour un juge, métier de loup solitaire, ce n'est pas toujours une garantie de progression indiciaire.

Le procureur Montgolfier en a souffert avant lui. Le 1er février 2013, "Charly", comme le surnomment gentiment ceux qui ont travaillé avec lui, a fait un malaise. Rien de grave. Un juge n'est pas un surhomme. Il a résisté à tout, s'est fait deux copains, les deux policiers qui depuis deux ans lui servaient de gardes du corps, de la natation du petit matin aux longues soirées de mises en examen.

Il rejoint donc en septembre l'Agrasc, cette agence qui a traité plus de 18 000 affaires portant sur les 34 000 biens de petits et grands voyous : numéraires, comptes bancaires, véhicules, bateaux, biens immobiliers, soit un "portefeuille" de plus de 600 millions d'euros depuis sa création. "Charly" saura à coup sûr en faire bon usage. C'est la juge Christine Saunier-Ruellan qui a la lourde tâche de lui succéder.


Ses dossiers sensibles

Le juge Duchaine restera celui qui a mis en examen Jean-Noël Guérini. Deux des trois dossiers le concernant sont bouclés. Il a transmis le troisième à son successeur. Toutefois, avec le jeu des demandes d'investigations supplémentaires des avocats, les recours éventuels et le temps nécessaire à la justice pour audiencer les affaires, les procès ne sont pas pour demain.

Duchaine, c'est aussi l'affaire des navettes du Frioul et la "saga" familiale des Pipolo. C'est encore le Cercle Concorde et son cortège de personnalités, du banquier François Rouge à l'ex-supergendarme de la cellule élyséenne, le capitaine Paul Barril, sans oublier le parrain Roland Cassone.

Il a épinglé le maire de Tarascon Charles Fabre pour favoritisme et le sénateur de la Côte René Vestri dans une série de malversations.