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Billet de blog 29 juillet 2014

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Le rapport d'alerte du Service central de prévention de la corruption.

Le rapport pour l'année 2013 du Service central de prévention de la corruption (SCPC) ne figure pas encore sur le site du ministère de la justice, bien que le service soit rattaché à ce ministère. Cette discrétion est regrettable, car ce rapport est un indicateur d'alerte sur l'état de la probité publique en France. 

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Le rapport pour l'année 2013 du Service central de prévention de la corruption (SCPC) ne figure pas encore sur le site du ministère de la justice, bien que le service soit rattaché à ce ministère. Cette discrétion est regrettable, car ce rapport est un indicateur d'alerte sur l'état de la probité publique en France. 

D'abord, il confirme la faiblesse de la réponse judiciaire. Peu d'affaires de grande corruption sont jugées. Par exemple, sur les 30 infractions uniques de corruption active étudiées en 2012, seules deux d’entre elles ont fait l’objet d’une peine de prison ferme (pour 6 l’année précédente) pour une durée moyenne de trois mois. Le montant moyen des amendes ferme est de 2 217 € (850 € en 2011). 

La réponse administrative est également faible. Presque tous les ministères ignorent les dispositifs d’alerte professionnelle en matière de probité publique. Et peu d'autorités sollicitent le concours du SCPC : en 2013, le Service a été saisi de 44 demandes:  2 émanant d’autorités administratives, 15 d’autorités judiciaires et 27 de particuliers, associations et conseillers municipaux. 

Et malgré les réformes récentes, d'importantes carences législatives demeurent. Le SCPC rappelle en particulier le court délai de prescription. Certes, la jurisprudence fait de plus en plus souvent courir le point de départ de la prescription au jour où l’infraction est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique. Mais cette jurisprudence est réversible et le principe est celui de la prescription triennale. Le législateur a refusé en 2013 de consacrer cette jurisprudence dans la loi. 

La probité dans la vie locale 

Une part importante du rapport est consacrée à la prévention de la corruption dans les collectivités territoriales. Les masses financières concernées sont importantes : 221,4 milliards d’euros de dépenses totales, dont 52, 6 milliards en investissements soit près de 75 % des investissements publics civils réalisés en France. 

Pourtant, les facteurs permissifs de la corruption demeurent. Trop d'élus sont engagés dans des partenariats d’affaires avec des promoteurs, des aménageurs, des industriels et des grands groupes de services. Les contrôles sont faibles. En particulier, les chambres régionales des comptes disposent de pouvoirs, d’effectifs et de moyens de contrôle limités au regard des enjeux. Et les préfets, en charge du contrôle de légalité, sont "en position de faiblesse structurelle par rapport aux élus". 

En matière de commande publique, le droit est "mouvant et facilement contourné": l'acheteur public dispose de nombreuses possibilités de détourner les règles pour avantager certaines entreprises à des fins d’enrichissement personnel, ou pour soutenir des proches, ou encore pour financer l’action politique". Et le risque n'est pas moins élevé en matière de délégation de services publics et de partenariat public-privé. 

Des propositions 

Au regard de cette situation, le SCPC formule de nombreuses propositions, qui gagneraient à être suivies. 

Il s'agit d'abord de réviser les conditions d'accès et d'exercice des fonctions électives: 

  • en subordonnant la candidature à des fonctions électives à la production d'un extrait de casier judiciaire vierge de tout délit d'atteinte à la probité ;
  • en mettant fin à une conception "accumulative" de la carrière politique locale : la fonction de maire doit être exclusive de toute présidence d’un autre exécutif local, comme par exemple la présidence d’un établissement public de coopération intercommunale ;
  • en limitant le cumul  des mandats locaux dans le temps à deux mandats successifs ;
  • en étendant des obligations de déclaration d’intérêts et de situation patrimoniale à l’ensemble des maires, de leurs adjoints, des présidents d’EPCI et de leurs vice-présidents, ainsi qu’aux directeurs et directeurs généraux adjoints de la fonction publique territoriale;

La prévention des atteintes à la probité doit désormais faire partie des obligations des élus locaux; c'est pourquoi il serait utile : 

  • d'élaborer une charge déontologique type pour les élus et fonctionnaires locaux;
  • de rendre obligatoire l’élaboration et l’actualisation régulière d’un plan de prévention des risques d’atteintes à la probité dans les collectivités et les entités du secteur public local ;
  • de développer la formation initiale et continue des élus locaux, comprenant notamment une sensibilisation à la prévention des atteintes à la probité ; ces formations seraient assurées par un "Réseau  des écoles de service public" qui en garantirait la qualité. 

La prévention du clientélisme en matière d'emploi impose une amélioration du statut des agents publics locaux : 

  • en améliorant la transparence du recrutement et de la promotion des agents en créant un portail national unique de l'emploi public local ;
  • en élaborant un statut protecteur pour les directeurs généraux des services, apparenté à celui des directeurs d’hôpitaux ou des  directeurs d’offices publics d’HLM ; 

La commande publique est une activité structurellement sensible, dont le contrôle devrait être renforcé : 

  • par l'utilisation obligatoire d'un logiciel de gestion des marchés publics et créer d'un fichier central de passation des marchés publics ;
  • par l'établissement systématique de rapports de négociation ;
  • par la clarification du régime permettant de passer des avenants à un marché ou à une délégation de service public ;
  • par l'accès effectif des conseillers aux documents afférents aux marchés et contrat en temps utile avant les réunions délibératives
  • par l'obligation pour les exécutifs locaux le compte rendu de l'exécution des opérations d'équipement. 

Plus généralement, le SCPC propose d'améliorer la gouvernance locale : 

  • par l'augmentation de la fréquence des réunions des conseils municipaux, pour éviter l'approbation en rafales, sans débat ni contrôle, de décisions préparées par l'exécutif local ; les décisions doivent être traçables ;
  • par la prévention de l'absence de mise en recouvrement de recettes en limitant strictement les cas où l'exécution forcée peut être refusée;
  • par la révision la législation de l'urbanisme sous l'angle de la prévention des atteintes à la probité et notamment améliorer la transparence des modification des plans locaux ;
  • par l'obligation pour les collectivités de se doter d’une instance de contrôle et d’audit interne ;
  • par le renforcement du contrôle des chambres régionales des comptes sur les protocoles transactionnels pour éviter l'indemnisation de préjudices fictifs ;

Enfin, des sanctions sont parfois nécessaires ; il s'agirait  : 

  • d'appliquer les sanctions prévues en cas de violation des règles de conservation des pièces de marché ;
  • de rendre les élus locaux justiciables de la Cour de discipline budgétaire et financière ;
  • de sanctionner pénalement le non-respect des règles de communication des documents de gestions aux citoyens, qui se heurtent trop souvent à des refus illégaux de communication.

Le rapport s'achève par une description l’Instance nationale de lutte contre la corruption (INLUCC) de Tunisie. Celle ci dispose notamment d'une large autonomie administrative et financière, de membres bénéficiant d'un statut protecteur, et de pouvoirs d'investigation importants. Au moment de sa création, en 1993, le SCPC était une première en Europe. Aujourd'hui, la France peut prendre exemple sur la Tunisie.

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