Daniel Buren : “Travailler sur la Cité radieuse, c’est un pari risqué”

Depuis le début de l’été à Marseille, le MaMo accueille une installation de Daniel Buren. L’artiste contemporain y réussit le tour de force de donner une nouvelle dimension à un site déjà exceptionnel.

Par Gilles Rof

Publié le 31 juillet 2014 à 17h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 05h17

Gratuite et d’accès libre dans sa partie extérieure, l’œuve de Daniel Buren se poursuit à l’intérieur du centre d’art contemporain situé au dernier étage de la Cité radieuse à Marseille, pour une pièce monumentale qui donne l’impression d’être face à un téléviseur géant. Un des chocs visuels de cet été 2014 dans le grand Sud.

Le MaMo vous a permis de réaliser une installation sur le toit-terrasse de la Cité radieuse. Affronter Le Corbusier, est-ce contraignant ?
Travailler dans un environnement qui a toute sa constitution et se suffit à lui-même, est toujours difficile… Sinon risqué. Sur la terrasse de la Cité radieuse, comme dans tous les monuments historiques, il y a des contraintes physiques : on ne peut pas toucher au ciment, faire de trous, coller, creuser, s’arrimer au sol. De même que certains endroits qui appartiennent à la copropriété…

La confrontation avec le bâtiment, elle, est de l’ordre du ressenti. Dans un lieu extrêmement fort et réussi, il y a toujours la difficulté de savoir si on peut réussir, certainement pas à le mettre en valeur, mais à avoir un dialogue avec lui. Je pense qu’avec cette installation, c’est plutôt réussi.

Défini-Fini-Infini utilise les éléments extérieurs à la terrasse : le ciel, les montagnes, la mer, le soleil… C’était la condition pour transcender le lieu ?
Je ne me suis même pas posé la question, sachant à quel point cela serait difficile de cohabiter avec le bâti. Je me suis juste interrogé sur comment cela avait été pensé. Par exemple, l’horizon est une chose qui est ici très forte. Le Corbusier a dessiné tout le parapet qui entoure ce toit-terrasse en ne pensant qu’à cette ligne. C’est la seule chose complètement horizontale, avec une vision à 360 degrés, dans un lieu très vertical… Pour moi, c’était intéressant d’introduire cet horizon comme une marque forte. C’est la seule chose à laquelle je tenais a priori.

L'installation se poursuit à l'intérieur du musée © Veronese

L'installation se poursuit à l'intérieur du musée © Veronese

Les bandes Buren, elles, deviennent presque subliminales…
Très souvent, j’ai tenté de ne pas les utiliser… Mais, au final, je n’ai jamais fait une pièce sans que ces bandes n’apparaissent. Je travaille toujours avec elles car elles constituent un outil visuel qui permet de souligner, d’encadrer les volumes. Mais cela fait très longtemps qu’elles ne sont plus les uniques éléments que j’apporte pour définir un lieu. Trente ans au moins… Mais c’est toujours une façon de critiquer en disant : « les bandes, c’est la signature de Buren ». C’est comme dire que les tableaux de Picasso sont chiants parce qu’ils sont signés « Picasso ».

La pièce présentée à l’intérieur du MaMo est-elle un hommage à l’ORTF et à sa mythique mire ?
Ah non, cela est arrivé une fois fini ! Une surprise. Avec les miroirs, il y a parfois des choses qu’on n’imagine pas et qui apparaissent. Celle-là, je l’ai gardée. Ça donne cette image de mire que beaucoup de gens ont gardée en tête. Ora Ito (designer, fondateur du MaMo, ndlr) a d’ailleurs fait une recherche sur les mires télévisuelles et la chose la plus incroyable, c’est que celle-ci correspond à celle qui a été utilisée en 1953 à la télé française… L'année exacte de la construction de la Cité radieuse par Le Corbusier ! Doit-on y voir un clin d’œil à travers les âges ?

Avant ce travail, quel était votre rapport avec Le Corbusier ?
J‘ai toujours considéré qu’il était l’un des plus grands architectes du XXe siècle, mais je n’avais jamais espéré travailler sur une de ses constructions. Le plus étonnant, ici, c’est l’intelligence de ce building. La rue intérieure, le restaurant, l’hôtel… Il y a plein de choses ici qui sont terriblement innovantes, au-delà de l’esthétique, qui est déjà très spéciale. Mais ce que j’apprécie le plus, c’est le fait d’avoir imaginé un lieu où les habitants peuvent venir se reposer, courir, se rencontrer, danser, sur leur propre toit. C’est génial car les gens qui viennent ici finissent par se connaître.

C’est une idée qu’on devrait utiliser dans tous les HLM de France et de Navarre ! Tellement simple et évidente qu’on se demande si les gens ne sont pas stupides ou aveugles de ne pas l’avoir déclinée ailleurs. Les crétins ont cru suivre les idées de Le Corbusier en faisant des barres insipides… Mais personne n’a vraiment utilisé sa pensée pour des HLM. C’est ce qui me touche le plus dans la Cité radieuse : l’intelligence de ce lieu qui aurait pu servir de modèle et qui a été totalement ignorée.

A voir

Défini-Fini-Infini, jusqu'au 30 septembre 2014, au MaMo, à Marseille.

Le blog Sortir Marseille
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