La lune influence-t-elle le goût du vin ?

Alors que la quantité de vins certifiés en biodynamie ne cesse de progresser, que savons-nous réellement des effets de cette méthode de culture sur la vigne et sur le goût des vins ? 

« C’est clair que la lune a des influences sur le vivant, les anciens ont toujours travaillé avec elle », affirme Stéphane Tissot, vigneron à Arbois, dans le Jura, et certifié en biodynamie depuis les années 2000. L’homme rappelle la durée de 28 jours du cycle lunaire, comme celui, entre autres, des règles chez les femmes.  « Après, on peut choisir de mettre le vin en bouteille en lune montante car cela réveille les énergies – quand la lune descendante les apaise -, mais ce n’est pas pour autant qu’on va faire du bon vin ! », nuance-t-il. 

Pour accéder à la certification, le vigneron a l’obligation d’avoir au préalable obtenu le label « agriculture biologique » , d’avoir recours à des préparations à base, entre autres, de bouse de vache et de silice déposées dans les vignes, de répandre des tisanes sur la plante ou encore de faire concorder les travaux agricoles et au chai selon les calendriers lunaires et planétaires.

Jean-Michel Comme, vigneron, consultant, et ancien directeur technique du prestigieux château Pontet-Canet, en appellation pauillac (Gironde), insiste sur l’importance d’être avant-tout à l’écoute de la plante et de son environnement. « Elle est la synthèse d’un cépage sur un terroir donné, dans un climat donné et chaque plante est différente selon la météo et sa sensibilité aux champignons. »  Ainsi, la biodynamie, dont les pratiques sont principalement prophylactiques – elles préviennent des maladies – serait une sorte de boîte à outils à disposition du vigneron. 

Les vignerons, des mécaniciens de la plante ?

« L’agriculture moderne oublie le vivant. Les vignerons sont des mécaniciens de la plante, comme les chirurgiens sont des mécaniciens du corps humain  », lâche Jean-Michel Comme. Adepte de la biodynamie depuis les années 1990, il tient avec sa femme Corinne un domaine en appellation Sainte-Foy de Bordeaux, la chateau Champs de Treille.

Ce mode de culture naît au début du XXe siècle, avec l’Allemand Rudolf Steiner (1861–1925), théoricien aux multiples casquettes. Philosophe, agronome, politicien, l’homme fonde en 1913 le mouvement anthroposophique – qui signifie “sagesse humaine” en grec ancien. Il imagine, entre autres, un monde dans lequel règnes végétal, animal et minéral coexistent.  Depuis, la biodynamie est régulièrement qualifiée de secte, dont les recommandations en matières agricoles ne reposeraient sur aucune preuve tangible. 

Pourtant, cent ans plus tard, les vignerons y croient. En 2020, un peu plus de 720 exploitations viticoles françaises étaient certifiées en biodynamie ou en passe de l’être pour 13 691 hectares, sur les quelques 736 500 hectares que compte le vignoble français. Les chiffres peuvent sembler dérisoires, mais les certifications ne cessent d’augmenter d’années en années. A titre d’exemple, Demeter – l’un des deux organismes certificateurs avec Biodyvin – a connu une progression de vignes certifiées de 106 % entre 2015 et 2020.

Initialement, les principes actifs de certains médicaments comme les somnifères reposaient sur les plantes
Jean-Charles Fournet, vigneron en biodynamie non certifié (Rhône)

Jean-Charles Fournet, vigneron en biodynamie non certifié et installé à Saint-Romain-en-Gal (Rhône) sur cinq hectares en collines rhodaniennes, prévient : « Je ne suis pas steinerien ! » Radiologue en parallèle de son activité viticole, l’homme assure que sa formation scientifique l’empêche d’adhérer « au discours » de Steiner, pointant une mouvance aux relents occultistes. Le vigneron se veut pragmatique : « Je crois à la vertu des plantes et je suis un grand consommateur de tisanes. D’ailleurs, initialement, les principes actifs de certains médicaments comme les somnifères reposaient sur les plantes. » Il ajoute que la biodynamie est une forme d’agroécologie bien avant d’être réduite à une corne de vache remplie de silice (dite préparation 501) déposée dans les vignes. « Elle est un espace agricole pérenne et vertueux, qui peut vivre par lui-même, avec du compost, des animaux nourris d’engrais verts et dont on récupère les déjections pour alimenter nos vignes », résume-t-il. 

Jean-Charles Fournet et sa femme déposent par exemple une décoction de prêle dans les sols de leurs vignes juste avant la pleine lune de pâques. « Cela permet de lutter contre les maladies cryptogamiques comme le mildiou – un petit champignon qui peut faire des ravages et qui se développe à cette période de l’année, assure-t-il. On adapte toujours nos préparations à la saison, à l’état de nos sols, et aux risques de maladies, mais il n’y a pas de recettes miracles », prévient le vigneron.  

« Une grande buvabilité  »

Mais ces pratiques viticoles influencent-elles le goût du produit final ? « Je mets au défi quiconque de déguster un panel de vin et d’en identifier ceux en biodynamie de ceux en agriculture conventionnelle ou biologique, lance Véronique Raisin, critique de vin depuis plus de quinze ans. Il n’y a pas de goût biodynamique, on évalue la qualité intrinsèque du vin. »  Même constat pour le vigneron Stéphane Tissot, à une nuance près : « Il existe quand même une acidité particulière dans les vins en biodynamie, une fraîcheur gustative amenée par une viticulture saine. Ces vins font saliver, ils ont une grande buvabilité ».

« Je mets au défi quiconque de déguster un panel de vin et d’en identifier ceux en biodynamie de ceux en agriculture conventionnelle ou biologique »
Véronique Raisin critique de vin depuis plus de quinze ans

Pour beaucoup de vignerons interrogés, la santé de la vigne est primordiale. « C’est là que tout se passe, assure Jean-Charles Fournet. Avec les nouvelles méthodes oenologiques, vous ne ferez jamais de mauvais vins. Il y a des très grands domaines qui font des bons vins très techniques, mais vous ne reconnaissez pas toujours le millésime ! »

Lorsque Véronique Raisin sélectionne et note des vins pour un magazine ou un guide, les vins en biodynamie ou en agriculture biologique se détachent du lot « sans le vouloir ». « Sur une dizaine de vins, j’en retiens souvent plus de la moitié dans ces modes de culture », précise-t-elle, tout en rappelant que les vins conventionnels ne sont pas mauvais pour autant. 

Un constat qui semble confirmé par une étude parue en février 2021 portant sur plus 128 000 vins français notés à l’aveugle ou en semi à l’aveugle par des guides de référence en la matière. On y découvre que les vins en biodynamie ont des notes supérieures de plus de 11 points sur 100 par rapport aux vins conventionnels. « Les résultats vont dans le même sens que notre précédente étude sur les vins californiens, qui concernait déjà plus de 70 000 vins”, explique Magali Delmas (université de Californie, Los Angeles) , co-autrice de l’étude. Elle nuance cependant la signification des résultats : « L’étude ne prouve pas que les vins sont objectivement de qualité supérieure, mais que les experts en vin ont un goût pour ces produits-là. »

Les indicateurs biologiques du sol sont améliorés d’environ 70 % en agriculture biologique et biodynamique par rapport à l’agriculture conventionnelle

Car, dans le fond, qu’est-ce le bon goût ? « Apprécier la qualité d’un vin est très subjectif, estime Lionel Ranjard, directeur de recherche en agroécologie à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement. En revanche, mesurer la qualité d’un raisin, c’est possible à travers son taux de sucre ou d’acidité, tout comme on peut mesurer la santé de la plante et la qualité des sols viticoles. »  A ce titre, le chercheur est le co-auteur d’une métanalyse sur les effets de l’agriculture en biodynamie sur la biodiversité des sols publiée en 2020. Elle révélait que les indicateurs biologiques du sol (nombre de bactéries et de champignons dans le sol, interactions entre la plante et le sol…) sont améliorés d’environ 70 % en agriculture biologique et biodynamique par rapport à l’agriculture conventionnelle et plus spécifiquement de 43 % en agriculture biodynamique par rapport à l’agriculture biologique. Absence de pesticides et de fertilisants ? Effet des préparations biodynamiques et des tisanes ?  « Nous n’arrivons pas à l’expliquer car il y a peu d’études propres à ces pratiques », ajoute le chercheur. 

Une efficacité encore à démontrer

Lionel Ranjard rappelle que le lien entre qualité du sol, santé de la vigne, qualité du raisin et donc du vin reste aussi à démontrer : « C’est très probablement lié mais la recherche en France, et plus largement en Europe, est à la traîne sur ce sujet.” Pour le radiologue et vigneron Jean-Charles Fournet, l’un des principaux problèmes dans les études actuelles réside dans la méthodologie : « Contrairement aux études prospectives en médecine, les études en agriculture sont bien souvent rétrospectives. Il faudrait étudier 100 hectares de vignes, avec la même exposition au soleil, et cultivés à part égales en agriculture conventionnelle, biologique et biodynamique et ce pendant vingt ans ! » 

« En dehors de toute preuve scientifique, on peut raisonnablement penser qu’un vigneron en bio ou en biodynamie fait tellement d’efforts, est tellement dans la précision depuis la vigne jusqu’au chai, que le résultat final est comme un produit de haute couture  », estime pour sa part Véronique Raisin, qui ose même une comparaison : « C’est comme un cuisinier qui travaillerait un excellent poisson pêché à la ligne et qui n’aurait pas été congelé, qu’il n’aurait ni noyé sous un nuage de sauce ni passé au grill mais cuit à la perfection. Forcément, dans l’assiette, c’est savoureux et harmonieux. » 

et aussi, tout frais...