SCIENCE - Au Moyen-Âge, on pensait qu'en fonction de votre tempérament, de la composition de votre corps, les fameuses humeurs, comme on les appelait, il fallait privilégier un type de nourriture. Cela semble aujourd'hui bien archaïque. Pour autant, nos modes de consommations actuelles seront peut-être, elles-aussi, vues comme illogiques par nos descendants.
La plus récente et connue d'entre elle est certainement celle du sans gluten. Difficile ces dernières années de ne pas avoir entendu parler de ce mix de deux protéines que l'on retrouve dans beaucoup de céréales et dans de nombreux produits de notre alimentation. Accusé de tous les maux par des stars et autres auteurs de best-sellers, son bannissement est devenu un véritable phénomène de société, avec une augmentation de 30% du marché du sans gluten ces dernières années, en France comme aux Etats-Unis.
A tel point qu'on trouve même maintenant des préservatifs sans gluten. Tant mieux pour les personnes atteintes de maladie coeliaque, qui y sont totalement intolérantes. C'est à dire moins de 1% des Américains. Un chiffre que l'on peut élargir à 10% si l'on prend les différents types d'intolérances, selon les dernières estimations. Pourtant, ils étaient 20% en 2014 à éviter le gluten quotidiennement, selon un sondage du groupe Hartman, société de conseil en agro-alimentaire. 35% d'entre eux n'évoquent même pas de raison particulière à ce régime.
La science à la rescousse du gluten
Pour 26% des sondés, c'est pour des raisons de santé qu'ils évitent le gluten. On lit un peu partout que se libérer de ce composant va améliorer notre santé, par exemple en réduisant le risque de maladies cardiaques. Une croyance qui vient du fait que les personnes atteintes de maladie coeliaque ont un risque plus élevé de problèmes de ce type.
Sauf que justement, des chercheurs ont voulu vérifier cela. Dans une étude publiée début mai, des scientifiques d'un centre de recherche américain sur la maladie coeliaque expliquent avoir étudié plus de 100.000 personnes depuis 1986. Résultat: le fait d'arrêter le gluten ne diminue pas les maladies cardiaques pour une personne qui n'est pas concernée par cette maladie. Au contraire, cela pourrait même être nocif pour le coeur, mais difficile de l'affirmer les données étant dans la marge d'erreur.
Benjamin Lebwohl, l'auteur principal de cette étude, explique à The Atlantic avoir réalisé ces travaux car la croyance populaire liant gluten et maladie cardiaque grossissait. Notamment depuis la publication d'un best seller aux Etats-Unis, Wheat Belly. "Dans ce livre, beaucoup de science provenant de la maladie coeliaque a été extrapolée à la population générale", explique le chercheur. Alors que les données scientifiques ne permettaient pas une telle généralisation.
Le sans gluten, pas si inoffensif
Les scientifiques à l'origine de cette étude travaillent maintenant à mesurer le lien entre gluten et cancer, précise le mensuel américain. Non pas qu'il y ait un loup: c'est simplement, encore une fois, une croyance populaire.
Des études qui sont les bienvenues. Car si le gluten n'est pas nocif pour la majorité des gens, vouloir s'en passer sans réfléchir peut l'être. C'est ce que rapportait une chercheuse en 2016 dans le Journal of Pediatrics. En voulant démêler le vrai du faux, elle expliquait qu'à moins d'avoir une intolérance quelconque au gluten, "aucune donnée ne vient soutenir l'idée de bénéfices présumés d'une diète sans gluten".
Elle citait également plusieurs études affirmant que les produits estampillés sans gluten, de plus en plus prisés par les industriels, contenaient plus de gras ou de sucre. Que les personnes commençant une diète de ce type étaient plus susceptibles d'être atteintes de surpoids ou d'obésité, ou de manquer de certains éléments essentiels au bon fonctionnement de l'organisme, comme le fer ou la vitamine B. Sans compter le fait que ces produits sont en général plus cher que ceux avec gluten.
Des données qui ne veulent pas dire que le fait de ne pas manger de gluten est mauvais pour la santé. Mais que se passer de tout aliment composé de gluten sans réfléchir, sans adapter son régime alimentaire, pouvait être nocif.
Une mode qui a permis de mieux comprendre une intolérance
Par exemple en diminuant la consommation de fibres (que l'on ne consomme déjà pas suffisamment). Des chercheurs ont ainsi remarqué que le risque de diabète était augmenté chez les personnes consommant peu de gluten. Les scientifiques ne savent pas si c'est le composant qui aurait un rôle protecteur ou si cela est simplement dû au fait que ceux qui mangent peu de gluten mangent également, en moyenne, moins de fibre.
Pour autant, la mode du sans gluten a tout de même eu des avantages. Ainsi, rappelaient deux chercheurs en 2014, on a bien mieux compris l'intolérance à cet ensemble de protéines. En plus des personnes atteintes de maladie coeliaque et d'allergie au blé, on comprend mieux celles atteintes de "NCGS", soit de "sensibilité au gluten non-coeliaque".
En gros, des personnes qui montrent certains symptômes typique d'une intolérance, mais de manière variée et plus légère. Au total, 10% de la population serait ainsi affecté à divers niveaux par la consommation d'aliments contenant du gluten, rappellent les chercheurs.
Pour autant, comme le précise The Atlantic, on ne sait pas vraiment si c'est bien le gluten qui provoque ces problèmes intestinaux. Cela pourrait être un effet placebo. Ou être lié aux "FODMAP", des glucides qui sont fermentables et faiblement absorbés, comme le fructose de certains fruits. Bref, pour le moment, on ne sait pas vraiment pourquoi plus de 6% de la population semble atteinte de troubles quand elle mange des produits contenant du gluten.
Mais on en sait déjà beaucoup plus qu'il y a quelques années et de nombreux scientifiques travaillent justement sur la question. Une fois que la mode du sans gluten sera passée, elle aura peut-être permis de mieux comprendre le fonctionnement de notre système digestif.
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