Enquête

A Quimper, la bonne opération immobilière de l’ex-député Jean-Jacques Urvoas

L’ancien garde des Sceaux s’est servi, en 2008, de son indemnité représentative de frais de mandat pour acheter sa très vaste permanence. Une pratique interdite depuis 2015.
par Mourad Guichard
publié le 26 juillet 2017 à 10h50

Jean-Jacques Urvoas, ancien garde des Sceaux et candidat malheureux à la députation dans son fief du Finistère, joue la carte de la transparence. En 2009, lorsqu'il tenait un blog hébergé par Libération, le parlementaire socialiste expliquait comment il utilisait son indemnité représentative de frais de mandat (IRFM). On y apprenait ainsi qu'une partie non négligeable de l'enveloppe – sur un total de 5 770 euros mensuels – passait dans le remboursement du prêt bonifié contracté en 2008 auprès de l'Assemblée nationale pour acheter sa permanence quimpéroise. Ces prêts à 2 % d'intérêts l'an, supprimés en 2010 par le bureau de l'Assemblée, comme l'a précisé à Libération le ­service presse de ce dernier, servaient au «financement d'un logement, de bureaux, d'un local de permanence». Ce que précise, par ailleurs, le contrat de prêt, c'est que l'acquéreur devient propriétaire du bien et peut donc en disposer à sa guise.

Le total dudit emprunt ­concernant Urvoas, d'un montant de 203 206 euros, a servi notamment à financer le bien immobilier acheté 170 000 euros et les frais de notaire. Si l'opération est moralement discutable, elle n'a, au regard des pratiques très courantes au Palais Bourbon, rien d'illégal. A ce jour, aucune décision de justice n'est venue la sanctionner. Ce qui coince, dans le cas Urvoas, c'est que début 2015, l'ancien garde des Sceaux ne déclare pas un seul, mais deux biens immobiliers. Sa permanence (comprenant un hall, un séjour et deux chambres) et un logement privé situé sur le même pallier (comprenant également un hall, un séjour et deux chambres) ; le tout pour une surface légèrement inférieure à 130 mètres carrés. En d'autres termes, l'ancien député a remboursé, avec son IRFM, un logement en plus de sa permanence électorale. Deux biens qu'il peut donc louer ou revendre, sachant que la valeur estimée est évaluée aujour­d'hui à environ 210 000 euros. Soit une plus-value de 40 000 euros en seulement cinq années. Or, dans une note de 2015 signée par Claude Bartolone, l'ancien président de l'Assemblée nationale, les catégories de dépenses autorisées par le biais de l'IRFM sont clairement détaillées : «Frais liés à la permanence, au transport du député, à la communication, à la représentation, aux réceptions et à la formation.» Et elle exclut, sans équivoque, «toute dépense afférente à une nouvelle acquisition de biens immobiliers, qu'ils soient destinés à héberger la permanence ou tout autre usage».

«Excuse»

A la décharge de Jean-Jacques Urvoas, Hervé Lebreton, président de l'Association pour une démocratie directe, indique que «sans doute plus de la moitié des députés profitent de ce moyen que l'on peut qualifier d'enrichissement personnel et de prise illégale d'intérêts». Est-ce vraiment illégal ? «C'est une dérive en place que ces députés ont utilisée, mais ça ne peut en aucun cas être une excuse», tranche-t-il.

Localement, Cicero, une association qui lutte contre la corruption dans la pointe Bretagne, souhaiterait emmener l'ancien garde des Sceaux à la barre pour «détournement de fonds publics et enrichissement personnel», comme le précise à Libération Jérôme Abbassene, l'un de ses militants. Selon lui, «il y a très clairement un enrichissement personnel du fait qu'il ait utilisé de l'argent public pour acquérir un bien immobilier d'importance». Et il ajoute : «On ne peut pas avoir été le rapporteur de la loi sur la moralisation de la vie publique, en 2013, et profiter ainsi du système.»

«Discussion»

Ce «système», l'Association pour une démocratie directe veut contribuer à l'assainir. Hervé Lebreton a adressé début juin un courrier au nouveau locataire de l'Elysée pour lui faire part de ses propositions. Et étonnamment, il ne réclame pas de révolution. Juste l'application des textes existants : «L'association a pu constater que bon nombre des dérives soulevées ont été rendues possibles du fait de la non-application stricte des règles existantes», explique-t-il. Pour que telles pratiques supposées d'enrichissement ne puissent de nouveau voir le jour, Hervé Lebreton propose que l'IRFM soit supprimée et remplacée par «un remboursement sur justificatifs» et que soient signalés au parquet national financier (PNF) «tous les cas d'enrichissement personnel des parlementaires ou de leurs proches via de l'argent public».

La loi sur la moralisation de la vie publique promise par Emmanuel Macron et en cours de discussion à l'Assemblée nationale vise à ­tordre le cou à certaines pratiques discutables. «Ne perdons pas de vue qu'ils avaient le choix de faire autrement, insiste Hervé Lebreton. Nous attendons que la Haute Autorité pour la transparence dans la vie publique intervienne dans ces dossiers et que les justices pénale et fiscale poursuivent leur cours.» Contactés à plusieurs reprises par Libération, ni Jean-Jacques Urvoas ni son entourage n'ont souhaité donner suite.

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique

Les plus lus