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Billet de blog 21 septembre 2017

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Stéphane Bern et les patrimoines

Est-il nécessaire de souligner que la nomination de Stéphane Bern à la tête d'une «mission sur le patrimoine» n'a pas suscité l'enthousiasme (c'est le moins qu'on puisse dire !) chez les historiens qui se sont risqués à contester ce choix "jupitérien" dont les raisons peuvent paraître étonnantes à ceux qui n'en connaissent pas les vraies raisons et qui ont eu le courage d'exprimer quelques doutes.

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En dehors de ceux qui se sont bornés à maugréer en silence, tout en en pensant pas moins, vu l'insolite de cette nomination, Nicolas (l'Obs, maître de conférences à l'université Paris-I-Panthéon-Sorbonne, a été l'un des rares à exprimer son sentiment sur les réseaux sociaux. Bref extrait de son point de vue : 

"Ce choix est un très mauvais symbole, notamment pour le monde de la culture et de l'histoire. Alors que la France compte de nombreux professionnels qui travaillent depuis des années sur le patrimoine, qui mènent des recherches exigeantes et sérieuses, qui réfléchissent en profondeur sur ce sujet, Emmanuel Macron choisit de confier un dossier aussi capital à quelqu'un qui n'a strictement aucune compétence en la matière. C'est désastreux. C'est une vraie gifle adressée aux professionnels qui travaillent dans l'ombre sur ces thématiques. Mais au-delà du symbole, et du manque de compétences de Stéphane Bern, ce choix est également assez inquiétant. D'abord parce que les questions de patrimoine sont loin d'être anodines. Les enjeux sont très importants : il s'agit tout simplement de faire le tri, de choisir ce que notre société doit valoriser de son passé, et donc ce qui ne le sera pas ou le sera moins. Il s'agit donc aussi, par ce choix, de mettre l'accent sur certaines valeurs plutôt que d'autres. Or Stéphane Bern n'a pas de réflexion distanciée sur ces sujets [ il a toutefois ses raisons comme on va le voir! ]. Et il est tout sauf neutre idéologiquement dans sa manière d'appréhender le passé, l'histoire de France et même le présent.

- Quelle vision du patrimoine et de l'histoire de France craignez-vous qu'il défende ?

Stéphane Bern ne s'est jamais caché. Il a toujours indiqué qu'il aimait "l'ordre et la monarchie", et qu'il était partisan du "roman national", qui n'est rien d'autre qu'une fiction identitaire faite de héros et d'épisodes forts mais idéalisés. Sa vision de l'histoire et du patrimoine est donc une vision étriquée et orientée. Stéphane Bern est l'un des symboles des "historiens de garde", ces histrions - pour la plupart des essayistes -  qui font de l'histoire un terrain d'amusement et qui se servent de leur visibilité médiatique pour mettre en avant un discours politique orienté clairement réactionnaire, défendant une vision apeurée de la France et de son histoire."(L'obs). 

En fait les choses sont  bien plus complexes comme on le verra dans la suite. La principale opération de Stéphane Bern en matière de patrimoine est en effet toute autre. Toutefois, Stéphane Bern, conscient des attaques qu'il allait subir, n'a pas manqué en effet de prendre les devants, à sa manière et on l'entend beaucoup dans des médias qui sont à sa botte.

À la question, inévitable dans son milieu d'origine où beaucoup font force "ménages", "Vous ne serez pas rémunéré?", il a par avance répondu :  "Non, je ferai ça sur mon temps, bénévolement. Je le fais pour le patrimoine, je ne me substitue à personne, je ne prends la place d'aucun fonctionnaire. J'estime qu'en étant sur le service public [ !!???!!!! : "Stéphane anime au quotidien une émission sur France 2, cela lui fait gagner déjà un salaire de d’environ 21 000 euros chaque mois. Or, il anime également des émissions à la la radio (RTL), ce qui lui a d’ailleurs permis d’être une célébrité dans le domaine. Stéphane Bern est également rédacteur en chef pour Madame Figaro. Il a aussi des revenus issus de la vente de ses nombreux livres, etc. Ainsi, ce passionné et mauvais négociateur de salaire gagnerait sans compter ses revenus indirects, plus de 40 000 euros par mois en tant que journaliste, animateur et écrivain. Selon le magazine People With Money, Stéphane Bern aurait gagné l’importante somme de 46 millions d’euros de janvier 2016 à janvier 2017. (Star Money)] [ espérons que c'est là une "fake new" de l'un de ses concurrents], je ne peux pas toucher un sou.  Et puis, en étant bénévole, je suis plus libre. Si on continue à me chauffer les oreilles, j'ai envie de dire que je pense avoir une certaine légitimité dans le domaine, j'ai une voix qui porte et je fais ça pour aider mon pays. Je suis un mec gentil qui propose ses services. Ma seule conviction, c'est de défendre le patrimoine français.". 

On peut toutefois se demander si, lorsqu'il parle du patrimoine, c'est peut-être avant tout du sien qu'il est question ! En effet, on a pu lire dans Le Perche du 24/2/2013 l'information suivante : "Amoureux des pierres et de l’histoire, l’animateur de télévision Stéphane Bern vient d’acquérir dans le Perche, à Thiron-Gardais, une propriété. Il s’agit de l’ancien collège Royal, situé juste à côté de la grange aux Dîmes. Accolée à l’abbaye cette bâtisse historique, propriété du conseil général, va devenir une des résidences secondaires de ce  "people " . Tout sourire, décontracté, Stéphan Bern est venu signer l’acte de vente du collège Royal, ce dimanche. L’occasion pour lui d’évoquer sa future demeure. Après de nombreux travaux, elle devrait être ouverte au public, du moins une partie. L’animateur compte ouvrir un musée qui raconte l’histoire de ce lieu. Véritable ambassadeur de la commune et du Perche, Stéphane Bern espère faire jouer ses relations et qui sait trouver des mécènes [ Tiens ! Tiens! ] pour célébrer les 900 ans de l’Abbaye de Thiron-Gardais.".

Naïveté ou cynisme ? Je ne connais pas assez l'individu pour en décider ; toujours est-il qu'on a pu voir, dans Paris-Match du 13 juin 2016 le titre suivant qui explique peut-être bien des choses : "Stéphane Bern inaugure sa nouvelle demeure avec le couple Macron". "Les ministres Emmanuel Macron et Audrey Azoulay ont assisté vendredi après-midi à l’inauguration de la demeure acquise par Stéphane Bern, à Thiron-Gardais.".

Ce jour-là, les paparazzis étaient les bienvenus et ne s'étaient, semble-t-il, pas fait chasser puisque l'article comportait des photos avec en titre "Stéphane Bern avec Line Renaud, Emmanuel Macron et Brigitte Macron, à Thiron-Gardais, le 10 juin 2016.". Qu'on se le dise !

Reconnaissons au crédit de Stéphane Bern qu'il n'a en rien cherché à dissimuler  ses relations déjà anciennes et très proches avec Monsieur et Madame Macron : "On en parlait même pendant la campagne [ présidentielle bien sûr !]. J'essayais de le convaincre de l'importance du patrimoine. C'est un signal fort que ça vienne d'un jeune président, il ne peut pas être taxé d'être "vieux chiffon et vieilles dentelles."."

Il y a des ascenseurs qu'on peut renvoyer même dans le Perche !

A partir d’une ancienne abbaye du XIIe siècle et d’un collège bénédictin devenu plus tard, en 1776, l’un des douze collèges royaux de France sous Louis XVI, Stéphane Bern a réalisé un musée (donc public dans l'avenir) et une maison privée. « J’ai acheté le collège au prix des Domaines en décembre 2012. Le département n’avait pas les moyens de le restaurer ». Un château de 600 m² pour 350 000 €, ce n'est effectivement pas cher, même s'il y a beaucoup de travaux à réaliser dans la suite, pour lesquels Stéphane Bern affirme s'être lourdement endetté.

Stéphane Bern ne s'est toutefois pas embarqué sans biscuit dans cette aventure patrimoniale. Il a en effet imaginé d'ouvrir là "un musée consacré à l’histoire et à la création des collèges royaux et militaires par Louis XVI en France et à l’histoire de l’abbaye voisine de Thiron-Gardais.".

On peut donc imaginer que de tels projets ne sont pas sans rapport avec la jtrès eune "Fondation Stéphane Bern" pour laquelle, en janvier 2016,  Stéphane Bern, propriétaire du collège royal et militaire de Thiron-Gardais, a signé avec Gabriel de Broglie, chancelier de l'Institut de France, une convention pour la création de la "Fondation Stéphane Bern pour l'Histoire et le Patrimoine". Les choses n'ont donc pas traîné !

C'est ainsi  que, comme on l'a appris le 18 septembre 2017, Stéphane Bern a rassemblé  à Thiron-Gardais sa fondation qui "  a pour objectif la protection du patrimoine, le financement de projets d'éducation et de partage des connaissances sur l'Histoire" ; ainsi s'est expliqué, vendredi, "le maître des lieux" lors du rassemblement amical des membres de sa fondation, et des deux jurys qui, chaque année, décernent les prix histoire et patrimoine aux lauréats des concours ouverts sur ces thèmes. "De plus,ma fondation aura en charge mon domaine thironnais après ma disparition. ".

Les débuts ont été modestes et c'est en car qu'ont été amenés de Paris  des personnalités comme Franck Ferrand, écrivain et journaliste, l'architecte Jean-Michel Wilmotte, ou encore Évelyne Lever, historienne spécialiste du 18 e siècle. Étaient également présents Khaled Melliti et le président des Vieilles maisons françaises (VMF), respectivement lauréats des prix histoire et patrimoine du concours 2016. S'agissant du patrimoine régional français, le choix de Khaled Melliti, historien tunisien spécialiste de Carthage, peut paraître un peu étrange, mais il y avait urgence et fautev de mieux... !

On doit signaler aussi les propos de S. Bern , en tant qu'« Ambassadeur du patrimoine » : « En tant qu'ambassadeur du patrimoine de la Région Centre, je me devais de mettre en avant mon domaine [ on peut espérer que ce possessif "mon" doit être pris ici au sens le plus large], en ouverture des "Journées européennes du Patrimoine", précisait-il encore lors du cocktail d'accueil donné dans l'orangerie restaurée.". "Cette journée est surtout destinée à présenter l'ancien collège et à remercier les membres des deux jurys et la Fondation qui aura en charge mon domaine thironnais après ma disparition. ». 

Remarque complémentaire et adjacente : "Reconnue d’utilité publique, la Fondation du patrimoine a pour mission initiale de sauvegarder et de valoriser le patrimoine rural non protégé bâti (maisons, églises, ponts, patrimoine industriel, mobilier...) mais aussi protégé et naturel. En lien avec les principaux acteurs du secteur et de l‘État, elle aide les propriétaires publics et associatifs à financer leurs projets, permet aux propriétaires privés de défiscaliser [ ce qui, vu le revenu "prêté", à tort ou à raison, à Stéphane Bern n'est en rien à négliger] tout ou partie de leurs travaux et mobilise le mécénat d‘entreprise." 

Force m'est enfin de mentionner en outre  l'émergence d'"Essonne Mécénat", né le 20 juin 2017)  qui " Sous le parrainage exceptionnel de Stéphane Bern,  a l’ambition de rassembler autour de sites culturels et naturels en Essonne. L'intérêt patrimonial de ce territoire mérite en effet d‘être valorisé et partagé. Essonne Mécénat est la première fondation à l’échelle départementale à être abritée par la Fondation du patrimoine." Dois-je préciser que Thiron-Gardais est dans l'Essonne !

J'ai souligné en commençant que la nomination de Stéphane Bern à la tête de la mission du patrimoine avait fait quelque bruit dans le landerneau obscur des historiens, les archivistes et des spécialistes du patrimoine. Il fallait donc la conforter par un événement spectaculaire auxquel seraient conviés les paparazzi et les médias de France et de Navarre. C'est ainsi qu'on a pu voir les deux héros de cette affaire photographiés ensemble le 16 septembre 2017 devant le buste d'Alexandre Dumas, lors de leur visite au château de Monte-Cristo.

Profitant des journées du patrimoine, nos héros se sont donc rendus dans les Yvelines, samedi, pour y visiter une classe de CM2 proche d'une résidence d'Alexandre Dumas. Tout était pour le mieux quand Stéphane Bern a entrepris, sans disposer hélas des indispensables éléments de langage habituels en pareils cas,  de présenter aux élèves l'ordonnance de Villers-Cotterêts, signée là en 1539 par François Ier, "qui fait du français la langue officielle" a-t-il savamment expliqué. Des propos aussitôt approuvés par le Chef de l'Etat, qui insiste à son tour auprès des enfants, en toute confiance dans la science historique de son spécialiste: "A ce moment-là, dans son château, le roi a décidé que tous ceux qui étaient dans son royaume devaient parler français." déclare alors notre Président à la suite de S. Bern !

C'est évidemment faux car à cette époque lointaine seule une infime minorité de Français parlaient cette langue, les variétés régionales (les "patois" étant alors quasiment seules en usage courant ) ; l'ordonnance était bien entendu dirigée exclusivement contre le latin ;  les historiens (les vrais !) n'ont donc pas manqué de faire des gorges chaudes d'une telle bévue, car se trouvaient ainsi confirmées, dès la première sortie, leurs craintes et leurs inquiétudes devant l'étrange choix jupitérien. 

Le malheur a voulu que, sur une probable initiative des services de communication présidentiels, cette si fâcheuse petite leçon d'histoire, a été filmée et postée sur Twit­ter par ces services. La vidéo et son contenu n'ont alors pas manqué de faire réagir. Les histo­riens, ont dénoncé cette inter­pré­ta­tion absurde de Stéphane Bern et d'Emma­nuel Macron. « Oh purée, ça commence fort", s’est excla­mée l’his­to­rienne Mathilde Larrère sur un site de "micro-blog­ging."? Le texte n'impose en aucun cas le français comme langue aux popu­la­tions du royaume ! Il dit seulement que les actes légaux et nota­riés seront désormais en français ! et non plus en latin. Cette version, la seule raisonnable , a été confir­mée par le profes­seur Charles Brasart : « L'ordon­nance de Villers-Cotte­rêts impose simple­ment l'usage du français dans les docu­ments offi­ciels, à la place du latin. La majeure partie des Français (es) ne parle pas le français à l'époque, mais des langues régio­nales".

Pas mal pour un premier jour, mais on peut assurément attendre mieux encore dans la suite!

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