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Un drame français : trop de chômeurs, pas assez de bras

Dans un pays qui compte plus de trois millions de demandeurs d'emploi, le premier problème des chefs d'entreprise devient la difficulté à trouver les compétences dont ils ont besoin. La faute à la crise, mais pas seulement.

Par Jean-Marc Vittori

Publié le 27 nov. 2017 à 15:45

Un industriel de l'agroalimentaire, installé en Touraine, dirige une entreprise qui tourne bien. Sa réputation de bon employeur ne l'empêche pas d'avoir un petit problème : « Je suis prêt à embaucher demain quinze chauffeurs de camion. Mais je n'en trouve pas. » Etrange, dans un pays qui compte trois millions et demi de demandeurs d'emploi, voire cinq millions et demi si on englobe ceux qui travaillent moins qu'ils ne le voudraient. Quinze patrons d'entreprises du Nord se rencontrent un soir pour écouter l'un d'entre eux qui raconte la réinvention exemplaire de son métier. Pourtant, leur problème est ailleurs : « On n'arrive pas à recruter les gens qu'il nous faut. » Bizarre, dans une région bien au-delà du taux de chômage national à 9,4 %. Un constructeur de navires, dans le Sud-Ouest, a le même souci : pour polir les coques de ses bateaux, « il n'y a plus de polisseurs français. Sur le chantier, ils sont tous polonais. » On en vient à se demander si c'est surprenant.

Ces témoignages que l'on entend partout aujourd'hui en France pourraient bien sûr relever de l'anecdote. Mais les indicateurs globaux vont dans le même sens. Dans les usines, c'est même spectaculaire. L'Institut de la statistique a la bonne idée de demander régulièrement aux industriels leur impression sur la question . Au début de l'année, ils étaient 27 % à dire qu'ils avaient du mal à recruter. Aujourd'hui, ils sont… 42 %. Pratiquement un sur deux ! Il faut remonter au printemps 2008 pour retrouver une telle proportion (avant la rechute brutale à l'automne), ou au début des années 2000. Ailleurs aussi, les chiffres sont au plus haut depuis près de deux décennies : 35 % dans les services , 58 % dans le bâtiment . Dans les PME, la difficulté à recruter est devenue le premier frein à la croissance. Selon une enquête privée, plus des deux tiers de leurs dirigeants peinent à trouver les qualifications qu'ils recherchent sur le marché du travail.

Un boulet pour la croissance

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La France ressemble à un cheval déjà à bout de souffle alors qu'il vient juste de passer du pas au trot. Le manque de compétences décrit par les recruteurs est d'autant plus impressionnant qu'il apparaît très tôt, avec une croissance encore mollassonne. Le produit intérieur brut (PIB) n'a progressé que de 2,2 % sur un an, ce qui est faible pour une reprise. Et depuis le redémarrage de la production à la mi-2013, l'activité n'a gagné que 5 %. La dernière fois que les entreprises avaient eu autant de mal à recruter, au printemps 2008, la production avait gagné 10 % dans les quatre années précédentes. Et en l'an 2000, elle avait progressé de 14 % !

Cette pénurie de salariés qualifiés est tellement forte qu'elle pourrait même devenir le plus gros boulet qui empêche le pays d'avancer. « La croissance commence à buter sur les capacités productives de l'économie française », constatait ainsi, début novembre, l'économiste Emmanuel Jessua dans la Lettre de l'institut COE-Rexecode. Les entreprises ont aujourd'hui davantage de problèmes d'offre que de demande.

Ce qui est vrai pour le travail l'est aussi pour le capital. Les usines tournent à 85 % de leurs capacités, rythme le plus soutenu depuis près d'une décennie. Les industriels français n'envisagent pourtant pas d'accroître leurs efforts d'équipement l'an prochain. Ils se cabrent devant l'investissement parce qu'ils craignent de ne pas trouver les salariés capables de faire tourner les nouvelles machines, estime Patrick Artus, économiste en chef de la banque Natixis.

Cette pénurie dramatique de compétences dans un pays qui compte trop de chômeurs vient bien sûr de la crise profonde subie cette dernière décennie. Beaucoup d'ouvriers et d'employés ont perdu leur emploi il y a longtemps. Eloignés de l'activité, ils ont aussi perdu leur savoir-faire. Le nombre d'inscrits à Pôle emploi depuis plus d'un an augmente. Ils font désormais 45 % du total des inscrits et la durée moyenne d'inscription approche les 600 jours. Mais la crise n'est pas la seule explication. Les comparaisons de l'OCDE sur les compétences des adultes dans les pays avancés révèlent que la France est mal placée, en particulier pour le niveau des peu qualifiés.

Actionner d'autres leviers

D'où l'urgence de la formation permanente, au-delà des progrès à faire à l'école et au collège. Tout le défi ici est de former sans enfermer. Le chantier naval n'aura peut-être plus besoin de polisseurs quand sa grosse commande sera livrée et les camions pourraient se passer de chauffeur dans dix ans.

Le plan d'investissement du gouvernement prévoit 15 milliards d'euros dans les cinq prochaines années « pour armer les entreprises, armer les jeunes par rapport aux défis de demain », selon la ministre du Travail Muriel Pénicaud . L'économiste Jean Pisani-Ferry , qui a coordonné ce plan, estime que ce serait un beau résultat d'arriver à faire vraiment retrouver le chemin de l'emploi à 300.000 personnes. Certes… mais c'est à peine un point de taux de chômage. Pour aller plus avant, il faudra actionner d'autres leviers. Comme la mobilité : trop de femmes et d'hommes refusent une formation ou abandonnent un emploi parce qu'ils n'ont pas les moyens de s'y rendre.

Terminons par le témoignage d'un autre chef d'entreprise, dans la mécanique. Son problème à lui, c'est la pénurie d'ajusteurs. Une autre entreprise, qui en employait une dizaine dont quelques jeunes, a dû fermer non loin de chez lui. Mais il n'a réussi à en recruter aucun et a donc dû refuser des commandes. Dans un pays où un actif sur onze reste au chômage, ça ressemble à un formidable gâchis.

Jean-Marc Vittori

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