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Boualem Sansal : "L'Algérie, c'est la France, et la France, c'est l'Algérie !"

Boualem Sansal : "L'Algérie, c'est la France, et la France, c'est l'Algérie !"

Par Boualem Sansal

Publié le

A l'occasion de la visite d'Emmanuel Macron en Algérie ce 6 décembre, le romancier Boualem Sansal conseille au Président "d'étudier sérieusement" l'histoire de nos deux pays.

Si on fait le bilan, nous avons, d'un côté, en France de 1 à 2 millions de pieds-noirs qui se sont parfaitement organisés pour entretenir en eux la mémoire de l'Algérie française, leur pays perdu, trahi, disent-ils, qui n'ont de cesse de chercher à comprendre comment cela a pu être possible et qui observent avec une grande acuité l'horizon entretenant l'espoir qu'un jour une lumière apparaisse et les guide vers les rivages du pays aimé. Ajoutons les harkis que le seul mot «Algérie» plonge dans d'indescriptibles émotions. Ajoutons les juifs, peu nombreux mais très actifs, arrivés dans l'Algérie berbère avant tout le monde, avant les Français, les Turcs, les Arabes, les Byzantins, les Romains. Ajoutons les millions de Français qui ont séjourné dans l'Algérie française, eu des relations fortes avec elle, des militaires qui ont crapahuté dans ses maquis, des fonctionnaires qui ont œuvré dans ses services publics, et d'autres encore, innombrables, qui après l'indépendance ont travaillé dans la coopération en Algérie (volontaires du service national actif, enseignants, médecins, ingénieurs...). Ajoutons ceux, très nombreux aussi, qui s'intéressent à l'Algérie pour mille et une raisons.

Ajoutons enfin les millions d'Algériens nés en France, les naturalisés et ceux qui ont une carte de séjour, souvent dans des ambiguïtés qu'ils ont du mal à résoudre. Ils se sentent français ou algériens ou les deux, ou ni l'un ni l'autre, selon la météo politique du moment.

Au total, cela fait plus de la moitié de la population française. L'autre moitié étant constituée en fait des tout jeunes, pour lesquels l'Algérie, c'est seulement le pays de leurs copains de classe, ou c'est l'Algérie de papa, ou le pays du Français le plus aimé des Français, Zinédine Zidane, ou de l'Algérien le plus algérien de tous les Algériens, Roger Hanin, mort en France et enterré chez lui, à Alger, au cimetière juif de Saint-Eugène.

Conclusion 1 : en France, l'Algérie, c'est la France.

En Algérie, la situation est aussi compliquée, les Algériens ne se ressemblent pas tous. Pour plus de la moitié d'entre eux, la France, c'est l'Algérie... L'Algérie officielle plutôt que l'Algérie souffrante qui, elle, se contenterait de simples visas. L'Algérie officielle est résolument française, elle possède un passeport français, accumule du bien partout en France, fréquente les meilleurs restos, les meilleures écoles, se soigne dans les meilleurs hôpitaux, et réclame toujours plus, ce qu'elle obtient aussitôt grâce à son arme secrète : la demande de repentance et le divorce.

Conclusion 2 : en Algérie, la France, c'est l'Algérie.

Emmanuel Macron devrait étudier sérieusement cette histoire avant d'aller à Alger. M. Bouteflika est vieux et impotent, mais l'histoire, il la connaît, lui, mieux il l'a faite... Et il continuera de la faire si Allah veut bien lui accorder un cinquième mandat.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne