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Harcèlement de rue : une plaie de grande ampleur

Une jeune femme dans une grande ville, voilà le profil type des victimes de violences dans l’espace public : c’est ce que révèle une enquête de l’Ined menée en 2015 et publiée ce jeudi. Inédit, ce travail quantifie un nombre d’insultes, pelotages, voire coups loin d’être mineurs.

publié le 6 décembre 2017 à 20h16
(mis à jour le 7 décembre 2017 à 6h48)
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Les rues, les boutiques, les bars, les transports, tous ces espaces où l'on se côtoie sont-ils des lieux d'insultes, de sifflements, de coups, de harcèlement, d'agressions sexuelles, voire de viols ? Deux ans après la publication d'une enquête spectaculaire du Haut Conseil à l'égalité qui révélait que 100 % des utilisatrices de transports en commun avaient été victimes au moins une fois dans leur vie de harcèlement sexiste ou d'agressions sexuelles, l'Institut national d'études démographiques (Ined) dévoile ce jeudi les fruits de son enquête Virage (pour «violences et rapports de genre») sur les violences dans les espaces publics. Un travail conduit en 2015 sur un très gros échantillon de 27 268 personnes : 15 556 femmes et 11 712 hommes de 20 à 69 ans. Même question pour toutes et tous : avez-vous subi des violences verbales, physiques ou sexuelles au cours des douze derniers mois ? Et : est-ce que vous trouvez ça grave ? Bilan à gros traits : il ne fait pas bon être une jeune femme dans une grande ville. Mais dans le détail ? Exploration de cette étude, publiée en plein débat sur une éventuelle pénalisation du harcèlement de rue (qui pourrait s'appeler «outrage sexiste»), envisagée par le gouvernement français et déjà mise en place en Belgique (lire ci-dessous).

Les hommes aussi

Un quart des femmes interrogées a subi au moins une violence dans les espaces publics au cours des douze derniers mois. La gent féminine est ainsi particulièrement concernée par la drague importune (3 millions de Françaises de 20 à 69 ans), le harcèlement et les atteintes sexuelles - pelotage avec parfois baisers forcés - (plus d'un million de femmes) et les violences sexuelles (15 500). Les hommes sont dans une très large majorité auteurs de ces faits. Mais quid de la gent masculine justement ? Eux aussi se font malmener, mais dans une moindre proportion que les femmes : 14 % d'entre eux ont ainsi encaissé une «violence» dans les douze mois précédents l'enquête, dans la très grande majorité perpétrée par un ou des hommes. S'ils sont moins souvent victimes de faits relevant de la drague importune, du harcèlement ou de violences sexuelles (environ 850 000 par an), 6 % des hommes âgés de 20 à 69 ans ont été insultés et 4 % ont subi des violences physiques cumulées ou pas avec d'autres formes d'exactions. Total : 1,75 million d'hommes concernés. «Au fond, les hommes ne sont pas confrontés aux mêmes faits. L'injonction à la virilité se traduit par davantage de violences physiques», expliquent les chercheuses Amandine Lebugle, pilote de l'étude, et sa consœur Elizabeth Brown. En clair : les insultes dégénèrent souvent en bagarre.

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Les jeunes en première ligne

Entre 20 et 25 ans, plus de la moitié des femmes et près d’un tiers des hommes sont confrontés à des violences dans l’espace public. Ils sont donc les plus touchés. 40 % de ces jeunes femmes sont affectées par de la drague importune, 14 % par du harcèlement et des atteintes sexuelles. Les jeunes hommes font surtout l’objet de violences physiques (10 %). Fait notoire, qui pourrait presque faire sourire de façon sardonique : plus on vieillit, plus les insultes l’emportent sur le reste…

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Le lieu de résidence joue aussi un rôle majeur. Les grandes villes s’avèrent particulièrement propices à des violences de toutes sortes dans les rues, les bars, etc. Avec un pic en Ile-de-France. Là, 68 % des jeunes femmes ont été sifflées, insultées, suivies, victimes de propositions sexuelles insistantes, pelotées…

Tolérance et gravité

Autre donnée marquante de l'étude : le seuil de tolérance, très élevé, des femmes à l'égard de certains agissements sexistes dans l'espace public. La moitié d'entre elles considère l'insulte comme un comportement «sans gravité». Idem des sifflements et autre forme de drague lourde, relativisés dans 86 % des cas. Au total : seules 8 % des femmes estiment avoir subi dans les douze derniers mois au moins un «fait grave» au sein de l'espace public (il s'agit principalement de violences physiques et sexuelles). Comment l'expliquer ? Pour Amandine Lebugle, «ces statistiques peuvent paraître surprenantes, mais il ne faut pas oublier que cette étude a été réalisée en 2015, pas en octobre 2017, en plein cœur de l'affaire Weinstein. Aujourd'hui, la parole des femmes s'est libérée et le contexte a évolué. La gauloiserie n'est plus acceptée mais de plus en plus considérée comme un réel comportement sexiste». Selon Elisabeth Brown, il est également nécessaire de prendre en compte «la fréquence» des interpellations pour interpréter ces statistiques : «En douze mois, la majorité des femmes va se faire insulter en moyenne une, voire deux fois. Elles vont considérer cela comme non grave car très occasionnel. Si on avait porté l'étude à l'échelle d'une vie entière, le seuil de tolérance aurait été nettement diminué.»

Espace public, danger public ?

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Selon l’Ined, les viols et tentatives de viols dans les espaces publics concernent 0,9 % des femmes interrogées. Mais c’est toujours et encore au sein de l’espace privé et familial que la majorité des crimes sont commis : les trois quarts des viols et tentatives se produisent au sein du cercle des proches (1,6 % des femmes sont concernées en France) ou dans le cadre conjugal (1,4 % des femmes ont déjà subi ces actes de violence). En revanche, les espaces publics restent le lieu le plus fréquent pour des actes d’agressions sexuelles dans la définition élargie. C’est là que 7,9 % des femmes ont subi à un (ou plusieurs) moment de leur vie du pelotage ou des attouchements sexuels.