La Barbie drug, la came des obsédés du hâle
Image : Flickr/Sea Turtle

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La Barbie drug, la came des obsédés du hâle

La Barbie drug n’est pas une substance pour planer au pays de la poupée Mattel, mais une hormone qui permet d'avoir la peau bronzée à souhait. De plus en plus tendance, elle rend ses utilisateurs complètement accros.

Leon, un jeune Suédois de 18 ans, passe un temps considérable sur les réseaux sociaux. « Voir des personnes bronzées toute la journée sur Insta m'a donné envie de l'être aussi. J'ai demandé à un ami comment son frère faisait pour être aussi foncé. Il m'a alors parlé du melanotan. J'ai fait une recherche et j'en ai acheté en ligne. Des amis m'ont montré comment l'injecter. », me raconte-t-il. Le melanotan est le nom officiel d'une hormone surnommée la Barbie drug. Ce petit nom est inspiré par ses effets sur le corps : un bronzage rapide et plus prononcé, une libido survoltée et un appétit qui disparaît peu à peu. Le tout pour 70 euros la cure d'un mois.

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La Barbie drug ne dispense pas d'aller faire la crêpe sur la plage, mais permet de bronzer en accéléré. Pour Leon, les effets sont visibles en quelques jours seulement. Peau dorée et muscles qui semblent plus saillants, il a, selon lui, meilleure allure. D'ailleurs, tout son entourage lui dit. Pour les consommateurs de la Barbie drug, ça commence souvent comme ça. Ils se regardent dans le miroir, se trouvent pâlots, et cherchent rapidement un remède à leur teint blafard - quitte à défier les lois de la nature. Or, il ne s'agit pas là d'un petit supplément alimentaire à base de bêtacarotène et de vitamine A, mais d'un véritable cocktail hormonal administré par injection.

Habituellement, les humains possèdent une concentration plasmatique physiologique de melatonan de l'ordre de 25 ng/l. Les doses les plus couramment injectées sont de 1 mg à 2 mg par jour, en deux fois pour les newbies, une le matin, une le soir. Cela représente donc une concentration sanguine 20 000 à 40 000 fois plus élevée qu'au naturel. Si ses utilisateurs grillent aussi vite qu'un steak sur un barbecue, ce n'est guère étonnant.

Promotion de la Barbie Drug sur Instagram. Capture d'écran : Garance Renac

Dans les années 80, des chercheurs américains parviennent à recréer l'hormone sécrétée par les cellules mélanotropes de l'hypophyse, l'alpha Melanocyte Stimulating Hormone (α-MSH). Son action principale est de se fixer sur les récepteurs MC1-5, ce qui stimule la synthèse de mélanine et provoque la pigmentation de la peau. Cette hormone de laboratoire sera baptisée le melanotan. À l'origine, ce peptide est utilisé en médecine pour étudier et trouver des remèdes aux maladies liées à la sensibilité à la lumière ou aux UV. En 2014, l'Agence Européenne des Médicaments étudiait encore, in vitro et à partir de modèles animaux, le rapport bénéfice/risque et la toxicité du melanotan administré comme traitement contre la protoporphyrie érythropoïétique ou l'urticaire solaire. Elle est classé parmi les research chemicals, les molécules utilisées dans la recherche, et son innocuité n'a jamais été montrée. On ne connaît rien de ses effets à moyen et long terme, et ceux à court terme dépendent largement des produits injectés, des conditions de consommation et des patients. Le melanotan est donc illégal, mais cette capacité à faire bronzer même les peaux les plus claires a vite trouvé preneur sur le marché noir.

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Chez Lifetech Labs, fabricant de « produits innovants pour améliorer votre corps et vous permettre d'atteindre vos objectifs au quotidien » basé à Hong Kong, on connaît bien ce produit illicite. Jean Paul Hoffman est le manager en développement du laboratoire, qui a gagné en 2014 le prix du meilleur concept innovant à la conférence annuelle sur la modernisation des médicaments et des produits de santé. « Nous produisons pour la recherche médicale, le produit est en cours de test, explique-t-il avant de concéder que son labo alimente aussi le circuit illégal. Nos produits circulent sur ce marché. C'est un secret de Polichinelle que nombre de grandes entreprises omettent de mentionner. Afin de préserver notre image, nous avons choisi de valider les sites sur lesquels nos produits sont distribués. »

Sur la liste non exhaustive que m'a communiquée Hoffman, 18 sites Internet dont la majorité contiennent le mot steroids dans leur nom. Il évoque aussi plusieurs cliniques anti-âge, dont certaines en Europe, et des Health centers américains ; ils utilisent tous des produits Lifetech Labs, mais la liste des établissements concernés reste confidentielle. Si le labo se préoccupe de la qualité de son produit en proposant des certificats d'authentification et de composition, d'autres sont moins regardants.

En 2012, en Belgique, l'Agence fédérale des médicaments a découvert de l'insuline dans la Barbie drug. Cela correspond à un risque mortel pour tous ses usagers non diabétiques. Vendu sous forme de poudre à diluer dans de l'eau bactériostatique, impossible de savoir si le cocktail de molécules acheté sur le marché noir est dosé en de justes proportions. Impossible également de déterminer sa composition.

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Malgré l'absence d'informations claires et d'une réglementation appropriée, la popularité du melanotan est grandissante. Jean Paul Hoffman annonce même une croissance de 780 % des ventes depuis janvier 2017. Autrefois, les achats étaient faits autour de la période estivale. Désormais, on veut être bronzé toute l'année, et pas seulement dans les pays où le soleil se fait rare. « Nous sommes en train de percer le marché sud-américain, un marché où l'utilisation de peptide se fait très naturellement et sans tabou, nous avons même des brand ambassadors », confirme Jean Paul Hoffman. Cela s'explique selon lui par la standardisation des canons de beauté partout dans le monde. Kim Kardashian, Ariana Grande, ou encore Nabilla pour le marché français, correspondent désormais à des modèles féminins universels, ou peu s'en faut. D'origine arménienne, sicilienne ou nord-africaine, ces femmes ont la peau naturellement dorée. Celles qui veulent les imiter doivent donc ruser.

Si les exemples cités sont féminins, c'est que les femmes sont les plus grandes consommatrices de la Barbie Drug.

Photo promotionnelle exhibant un modèle Lifetech Labs. Crédit : Lifetech Labs

Eric* bosse pour Top Steroid, un site français basé en Thaïlande. Il nous dresse le portrait type de l'acheteur du melanotan, en rupture de stock sur son site : des femmes de tous milieux sociaux, entre 20 et 50 ans. Elle achètent généralement une cure combinée à des produits amaigrissants comme le Clenbuterol, un médicament prescrit aux chevaux de course atteints d'affections broncho-pulmonaires, et qui a la particularité de faire maigrir les humains. Les hommes sportifs, moins nombreux, profitent de leur commande de stéroïdes pour ajouter le melanotan à leur panier.

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Robert*, la quarantaine, utilise de la fonte et des dopants pour sculpter son corps. Il a déjà testé la testostérone accompagnée de mestorelone, un androgène qui permet d'éviter la gynécomastie – les seins qui poussent - et l'impuissance. De toute évidence, il n'a pas échappé à ce dernier désagrément puisqu'il prend également du bremelanotide régulièrement, un dérivé du melanotan qui donne la trique pendant plusieurs heures. Il se renseigne aussi pour prendre des hormones de croissance. S'il utilise la Barbie drug, c'est parce qu'à la suite d'une double transplantation, il est immunodéprimé et doit éviter les expositions prolongées au soleil. Son bronzage en pâtit. « Il y a des interactions possibles avec mon traitement médical mais j'ai fait beaucoup de recherches et j'ai estimé que, malgré les risques, ça vaut la peine, commente le quadragénaire. Je veux avoir l'apparence d'un gars en bonne santé, viril. Le bronzage est la cerise sur le gâteau. En plus, j'ai les yeux bleus et ils ressortent vraiment bien sous melanotan. Vivre une vie où j'aurai l'air d'un fantôme n'est pas pour moi. »

Si le bronzage est l'effet principal du produit, deux autres symptômes lui sont souvent associés. Certains en sont ravis, d'autres s'en plaignent. D'abord, l'effet coupe-faim. Le melanotan se fixe sur les récepteurs MC4R responsables de l'inhibition de la prise alimentaire. Dans un rapport de 2015 sur le melatonan, le Conseil Supérieur de la santé belge parle d'une réduction d'appétit équivalent à un déficit de 1200 kcal par jour. Ceux qui veulent perdre du poids sont ravis de leur nouvel appétit de moineau, tandis que les bodybuilders qui doivent ingurgiter plus de 4000 kcal par jour se plaignent d'avoir du mal à finir leur assiette.

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Ensuite, il y a l'effet stimulant sexuel. Cette fois, ce sont les récepteurs MC4 qui sont concernés. Utilisé de manière ponctuelle, le melanotan permet aux hommes d'avoir une érection qui dure de 6 à 12h, quelques heures après la piqûre. Mais quand il est utilisé quotidiennement pour améliorer le bronzage, l'affaire se corse. Logan Wright, Canadien de 20 ans dopé aux stéroïdes anabolisants, en a fait l'expérience : « Je m'attendais à un boost de libido avec le melanotan et ça me faisait marrer, mais des érections non-stop pendant des jours, c'est plutôt énervant ! Sinon, j'adore mon bronzage. Je ne pouvais pas bronzer sans. »

« Je veux avoir l'apparence d'un gars en bonne santé, viril. Le bronzage est la cerise sur le gâteau. En plus, j'ai les yeux bleus et ils ressortent vraiment bien sous melanotan. »

Si une petite érection inopinée et un repas non terminé ne sont pas si graves, le tableau des effets secondaires possibles est assez peu engageant. Les fabricants et les revendeurs sont peu loquaces à ce sujet. C'est à peine s'ils évoquent la fatigue, les nausées et l'hyperpigmentation des grains de beauté. Pourtant, non seulement cette hyperpigmentation peut être permanente, mais elle peut conduire à un mélanome, un cancer de la peau. Les utilisateurs, eux, n'hésitent pas à décrire les problèmes consécutifs aux injections : Robert me confie que ses nausées sont si fortes qu'il a l'impression d'avoir de l'acide dans l'estomac. Leon se sent fatigué, déprimé et son visage devient rouge et brûlant. De son côté Timothy Wehbe, un Suédois de 19 ans qui publie des vidéos sur Instagram où on le voit s'injecter le produit, les mains tremblantes, m'indique souffrir des articulations du haut du corps après chaque piqûre.

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Le bronzage obtenu par Timothy Wehbe. Photo fournie par Timothy Wehbe.

Les études médicales sur le melatonan montrent qu'à cette collection de symptômes peuvent s'ajouter des taches brunes définitives, le gonflement abdominal et son lot de flatulences, ainsi que le changement de couleur de la chevelure.

Le melanotan peut également provoquer la constipation, jusqu'à l'occlusion intestinale. Il peut aussi déclencher un asthme allergique. En Grande-Bretagne, Aaliyah Johnson a usé les bancs solaires jusqu'au cancer de la peau. En rémission, elle ne pense toujours qu'à son bronzage et découvre le melanotan en 2012. Mark, son revendeur, lui injecte – elle a peur des aiguilles – le produit en cachette ; sa famille est très inquiète pour sa santé depuis son cancer, survenu en 2007. « Je ne l'ai dit à personne parce que je savais que ce que je faisais était mal, illégal […] Je voulais juste garder ma peau brune. Pour être honnête, la seule chose qui m'inquiétait, c'était d'être une nuance ou deux trop sombre. Sans bronzage, je me sens pâle et moche, et je craignais que cela m'empêche de trouver un travail », confie-t-elle au Sun. Elle sera conduite en urgence à l'hôpital : son asthme a failli la tuer.

Quand modifier la teinte de sa peau devient un impératif qui outrepasse les dangers du bronzage artificiel et abusif, on tombe dans ce que l'on appelle la tanorexie. En 2014, le psychiatre français Aymeric Petit et son équipe publient, dans la revue Current Pharmaceutical design, une étude sur le bronzage à outrance. Il conclut que le comportement de ces bronzeurs excessifs peut être inclus dans le spectre des comportements addictifs qui répondent aux critères de dépendance et de toxicomanie, selon les termes du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-IV-TR). Si la tanorexie n'est pas encore reconnue officiellement en tant que pathologie, on peut la rapprocher de la dysmorphophobie, ce trouble obsessionnel qui se manifeste par une perception déformée du corps. Dans ces cas-là, le melanotan constitue un outil pour "corriger" le défaut perçu.

D'ailleurs, Timothy me confie qu'on lui a diagnostiqué ce trouble. Durant son adolescence, il était obsédé par ses joues colorées par une légère rosacée, une maladie dermatologique entraînant une inflammation des vaisseaux sanguins au niveau du visage. Frustré par les traitements corticoïdes que lui prescrivait son médecin, il a cherché un remède sur Internet et est tombé sur le melanotan, ainsi que trois autres peptides soit-disant régénérateurs et anti-âge, coûtant plusieurs centaines d'euros. Progressivement, il se découvre d'autres défauts nécessitant plus qu'une simple piqûre. « Même si je ne serai jamais satisfait de mon apparence, j'essaie d'être aussi réaliste que possible. Je viens de faire une rhinoplastie et une ablation des grains de beauté et taches de naissance en Corée, raconte Timothy qui a mis son visage tuméfié par cette opération en photo de profil Insta. J'avais prévu d'aller en Iran, car là-bas ils sont spécialisés dans le Fake plastic barbie look mais les Coréens sont les meilleurs en chirurgie du visage. Je ne veux pas devenir un Ken humain comme Justin Jedlica ou Rodrigo Alves, mais j'ai prévu de retourner en Corée pour me faire faire un visage moins asymétrique et plus en V, une mâchoire plus lisse, des dents parfaitement droites. Je veux aussi féminiser certains détails. Je me sens laid quand je suis pâle. Je ne veux plus vivre sans le melanotan, mais je ne l'utilise pas en ce moment car les cicatrices de l'opération pourraient devenir noires. Il me manque tellement ».

* Prénom choisi par l'intéressé par souci d'anonymat

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