Gilets jaunes : «Le ressentiment est gigantesque», prévient Christophe Guilluy

Pour le géographe Christophe Guilluy, la population qui fera blocage ce samedi 17 novembre subit depuis 20 à 30 ans une recomposition économique qui l’a desservie.

 La grogne vient de territoires qui sont moins productifs économiquement, où le chômage est très implanté, analyse Christophe Guilluy.
La grogne vient de territoires qui sont moins productifs économiquement, où le chômage est très implanté, analyse Christophe Guilluy. Opale/Hannah ASSOULINE

    Pour le géographe Christophe Guilluy, auteur de « No Society, la fin de la classe moyenne occidentale » et de «La France périphérique, Comment on a sacrifié les classes populaires» (Ed. Flammarion), le mouvement de contestation des Gilets jaunes va bien au-delà de la simple question du prix des carburants. C'est un ras-le-bol général qui s'exprime.

    Plus de 700 actions sont annoncées ce samedi, dans toute la France. Y a-t-il une homogénéité dans cette contestation ?

    CHRISTOPHE GUILLUY. Oui. A chaque fois, la grogne vient de territoires qui sont moins productifs économiquement, où le chômage est très implanté. Ce sont des territoires ruraux, des petites et moyennes villes souvent éloignées des grandes métropoles : ce que j'appelle la « France périphérique ». Ce sont des lieux où vivent les classes moyennes, les ouvriers, les petits salariés, les indépendants, les retraités. Cette majorité de la population subit depuis 20 à 30 ans une recomposition économique qui les a desservis.

    La grogne contre la hausse des prix des carburants n'est donc qu'une goutte d'eau ?

    Tout à fait. La colère de ces populations vient de beaucoup plus loin. Cela fait des années que ces catégories de Français ne sont plus intégrées politiquement et économiquement. Il y a eu la fermeture progressive des usines puis la crise du monde rurale. Pour eux, le retour à l'emploi est très compliqué. En plus, ils ont subi la désertification médicale et le départ des services publics. Idem pour les commerces qui quittent les petites villes. Tout cela s'est cristallisé autour de la question centrale du pouvoir d'achat. Mais le mouvement des Gilets jaunes est une conséquence de tout cela mis bout à bout.

    S'agit-il d'une énième contestation populaire, comme celle des Bonnets rouges en Bretagne, ou d'un mouvement qui peut s'ancrer dans la durée ?

    Difficile à dire, mais le ressentiment est gigantesque. Ce qui est certain c'est que les problèmes sont désormais sur la table. Et si la contestation des Gilets jaunes ne perdure pas dans le temps, un autre mouvement émergera de ces territoires un peu plus tard, car rien n'aura été réglé.

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    Le dialogue entre ces populations et la classe politique semble coupé…

    Oui. Le monde d'en haut ne parle plus au monde d'en bas. Et le monde d'en bas n'écoute plus le monde d'en haut. Les élites sont rassemblées géographiquement dans des métropoles où il y a du travail et de l'argent. Elles continuent de s'adresser à une classe moyenne et à une réalité sociale qui n'existent plus. C'est un boulevard pour les extrêmes…

    Justement, ces partis tentent de récupérer politiquement le mouvement. Pourquoi ?

    Ils s'adaptent à la demande, comme toujours !

    Les mesures d'accompagnement à la conversion d'un véhicule propre, proposées par le gouvernement ces derniers jours, n'ont pas atténué la colère des Gilets jaunes. Que faudrait-il faire ?

    Les réponses apportées par le gouvernement sont à côté de la plaque. Les gens ne demandent pas des solutions techniques pour financer un nouveau véhicule. Ils attendent des réponses de fond où on leur explique quelle place ils ont dans ce pays. De nombreux élus locaux ont des projets pour relancer leur territoire, mais ils n'ont pas d'argent pour les mettre en place. Il faut se retrousser les manches pour développer ces régions, partir du peuple plutôt que de booster en permanence les premiers de cordée.