Lucy McBath regrette chaque jour d’avoir intégré le club auquel personne ne souhaite appartenir : celui des familles dont l’un des proches a été tué par balle. Son fils Jordan est tombé à 17 ans sous celles de Michael David Dunn, après avoir refusé de baisser le son de sa radio, lors d’un arrêt à une station-service de Floride, en 2012. Marquée par cette perte qu’elle a depuis transformée en combat, la mère de famille afro-américaine peut en revanche s’enorgueillir d’avoir été admise dans un autre cercle : celui, très restreint, des femmes noires élues au Congrès des Etats-Unis.
Soutenue par Barack Obama
La victoire surprise, et à l’arraché, de cette démocrate dans une circonscription blanche de la banlieue d’Atlanta (Géorgie) lors des élections du 6 novembre la propulse à la Chambre des représentants, pour y incarner un district tenu par les républicains depuis 1979 et jugé imprenable par les instances de son propre parti. Finalement soutenue par des personnalités démocrates, dont Barack Obama, elle rejoindra en janvier, à Washington, plus de vingt élues noires (sur 435 sièges). Un record historique. Comme elle, la jeune Lauren Underwood dans l’Illinois, Ayanna Pressley dans le Massachusetts, l’Américaine d’origine somalienne Ilhan Omar dans le Minnesota, Jahana Hayes dans le Connecticut ont emporté l’adhésion de leurs électeurs, blancs ou noirs, sur un programme démocrate plutôt classique en matière d’éducation, d’immigration, de fiscalité ou de santé. Sur ce dernier point, Lucy McBath n’a d’ailleurs pas hésité à évoquer ses « deux cancers du sein » pour convaincre son auditoire de l’importance d’une couverture santé « accessible à tous ». Mais elle, plus sans doute que d’autres, a refusé les consignes de certains conseillers qui incitaient les candidat(e)s afro-américain(e)s à minimiser l’importance des questions raciales dans un pays toujours travaillé par les discriminations.
« Une mère en mission, à qui rien n’est impossible »
Sa victoire politique donne aussi un sens à son drame personnel, symbolisé par un badge de la photo de son fils que Lucy McBath porte sur la poitrine. La mort de son enfant a transformé cette ancienne employée de la compagnie aérienne Delta Airlines en « une mère en mission, à qui rien n’est impossible ». Après la mort de son fils, alors que les cas de jeunes Afro-Américains sans armes et tués par la police mettent régulièrement en ébullition les quartiers noirs du pays, Lucy McBath devient une militante anti-armes, participant avec d’autres mères endeuillées aux mouvements Moms Demand Action for Gun Sense in America et Everytown for Gun Safety, jusqu’à en devenir une des porte-parole.
Elevée dans une famille engagée dans la lutte pour les droits civiques dans les années 1960, elle prolonge cette bataille pour la justice sociale, s’adressant sans relâche aux élus américains pour les inciter à changer la législation sur les armes. Mais c’est un énième drame, la tuerie dans un lycée de Floride, en février 2018, qui va l’inciter à entrer en politique. Pour faire bouger les choses « de l’intérieur ». Tout naturellement, cette femme au large sourire et à la chevelure claire, captivant son auditoire par son témoignage personnel et par les démonstrations de sa foi chrétienne, fait du contrôle des armes à feu l’argument numéro un de sa campagne. Et fustige au passage le soutien que la NRA (National Rifle Association), le lobby des armes, apporte à son adversaire, Karen Handel.
Alors que de plus en plus d’Américains (60 %) plébiscitent un accroissement de la réglementation sur les armes et qu’une quinzaine d’autres candidats anti-armes ont été élus, cette campagne a convaincu. Mais la voix de Lucy McBath au Congrès suffira-t-elle ? L’annonce officielle de l’élection de la Géorgienne, le 8 novembre, a coïncidé avec l’une des fusillades les plus meurtrières de ces derniers mois, survenue en Californie. « Il n’est malheureusement pas surprenant que le jour même où je suis élue au Congrès, d’autres familles dans le pays reçoivent l’appel téléphonique que j’ai reçu il y a six ans, m’annonçant la mort de mon fils », a twitté la nouvelle élue. Une fatalité à laquelle elle espère mettre un terme.
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