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Paula Forteza : « Les citoyens doivent participer à la régulation des plates-formes numériques »

Pour la députée (LRM), la régulation des usages numériques doit aussi passer par l’implication active des utilisateurs, à l’aide d’outils participatifs. Paula Forteza était l’invitée de la première édition du Monde Festival à Montréal le 26 octobre.

Propos recueillis par 

Publié le 19 novembre 2018 à 13h12, modifié le 19 novembre 2018 à 16h30

Temps de Lecture 5 min.

Pour la députée (LRM) de la deuxième circonscription des Français de l’étranger, Paula Forteza, qui défend une gouvernance transparente d’Internet, la régulation doit aussi passer par l’implication active des utilisateurs, à l’aide d’outils participatifs. Elle était l’invitée de la conférence «  Ethique et intelligence artificielle : quels enjeux ? » lors de la première édition du Monde Festival à Montréal, le 26 octobre.

Les chartes et déclarations se multiplient sur la gouvernance d’Internet. Face à des affaires comme celle de Cambridge Analytica, ces démarches sont-elles vraiment adaptées ?

Avec ces déclarations, il s’agit d’affirmer des valeurs partagées, de poser les grands principes qui vont fonctionner comme des boussoles. Mais il n’y a pas une seule réponse aux défis éthiques du numérique. Cette approche, qui place les différents acteurs devant leurs responsabilités, fait partie de la gamme d’outils que l’on peut actionner, avec le recours à la loi (droit des personnes, droit de la concurrence, etc.) ou le soutien aux petites et moyennes entreprises qui portent un modèle européen alternatif.

Le premier réflexe face aux nouveaux défis que sont la diffusion des fausses informations et des contenus haineux, ou encore la multiplication des cyberattaques, est de penser qu’il faudrait mettre en place une police d’Internet. Plus qu’un encadrement de ce type, c’est une corégulation plus horizontale qu’il nous faut construire, en accord avec la nature même d’Internet, basée sur la décentralisation et la liberté.

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Google et Facebook comptent parmi les signataires de ces campagnes. N’est-ce pas contradictoire quand on sait que leur modèle économique est l’une des principales causes des dérives ?

Ces grandes compagnies doivent aller plus loin, et des rencontres sont prévues dans les prochains mois pour donner plus de contenus à ces contrats. Il faut assurer un suivi, pointer du doigt ceux qui auront manqué à leurs engagements. La France veut explorer la voie de la corégulation. Lors du discours d’ouverture de l’Internet Governance Forum, Emmanuel Macron a annoncé une collaboration entre les régulateurs français et Facebook, pour travailler ensemble sur la problématique des contenus haineux, pendant six mois. Si cela n’est pas conclusif, d’autres pistes plus strictes seront envisagées.

Etes-vous favorable à un comité d’éthique du numérique en France, notamment sur les questions liées à l’intelligence artificielle ?

La création d’un tel comité n’est pas, pour moi, une priorité. Je ne vois pas l’intérêt d’ajouter une nouvelle strate bureaucratique constituée d’experts qui se parlent entre eux. On assiste à une inadéquation de plus en plus grande d’institutions restées très verticales, éloignées des citoyens, et qui mettent du temps à établir des règles avec les défis qui s’accélèrent. Le législateur sera toujours en retard : quand on finit par se mettre d’accord, les technologies sont dix pas devant. En parallèle, la société civile s’empare de ces technologies, de façon décentralisée et agile, pour développer des outils de régulation plus horizontaux. Il y a une contradiction entre ces deux façons de faire.

Comment concilier les approches ?

Nous devons développer une « régulation ouverte », une « régulation par la société », en élaborant de nouveaux outils pour que le citoyen soit partie prenante, qu’il puisse participer directement à la régulation des plates-formes numériques. Plutôt que d’ajouter de nouvelles instances de régulation, il faut nous appuyer sur les leviers existants que sont les régulateurs déjà mis en place par le législateur (la CNIL, l’Arcep, le CSA, etc.) et leur donner plus de marges de manœuvre, comme nous l’avons fait à travers le RGPD [Règlement général sur la protection des données], par exemple. Ils doivent pouvoir attribuer des certifications, des amendes, enquêter, ajuster rapidement et au fur et à mesure leurs réactions face aux comportements de certaines entreprises.

Quel rôle le citoyen peut-il jouer dans ces démarches ?

Le problème est que ces régulateurs ne sont pas contrôlés démocratiquement, comme le sont les législateurs. Les citoyens doivent pouvoir observer l’action des régulateurs, être consultés, réagir, faire des signalements de façon participative. Aux Etats-Unis, par exemple, des plates-formes ouvertes permettent aux citoyens de suivre et de commenter l’action des régulateurs.

Pour reprendre la main sur leurs activités en ligne, les utilisateurs ont besoin d’outils, de données, d’informations : les régulateurs doivent pouvoir les fournir et devenir une plate-forme de ressources. Ceci permettra d’équilibrer la relation de pouvoir entre les utilisateurs et les grandes plates-formes, qui est profondément asymétrique.

Dans le domaine de la protection des données personnelles, cela signifie-t-il que le règlement européen ne suffit pas ?

Le RGPD impose un consentement éclairé de l’utilisateur sur l’usage qu’une plate-forme va faire de ses données. Mais on voit certains acteurs interpréter cette loi au minimum. Or on ne peut pas tout détailler dans la loi, qui doit seulement définir des grands principes pour ne pas bloquer l’innovation.

C’est là que la régulation ouverte prend tout son sens. Un nouvel écosystème, associatif ou entrepreneurial, est en train de se mettre en place autour de la protection des données pour créer des outils, des fonctionnalités qui permettent aux individus, par exemple, de visualiser la façon dont leurs données sont utilisées en temps réel, des solutions opérationnelles pour la portabilité des données, des parcours de consentement plus clairs, pour que l’utilisateur ne soit pas piégé par un gros bouton qui s’affiche très vite, ou par des textes trop longs et impossibles à lire, ou des cases précochées… Ces nouveaux acteurs, parfois incubés par des grands groupes, doivent pouvoir collaborer avec les régulateurs de l’Etat.

Quel est le rôle de l’Etat dans ce dispositif ?

C’est à lui d’organiser cette nouvelle gouvernance décentralisée du numérique : d’un côté les règles, comme le RGPD ou les actions de groupe, et de l’autre de nouveaux moyens donnés aux régulateurs et aux citoyens. Il doit aussi intervenir sur la fiscalité du numérique et les conditions pour une concurrence loyale dans l’industrie du numérique.

Enfin, il doit animer les débats de société dont nous avons besoin pour maîtriser le développement des nouvelles technologies. Le fait qu’une avancée soit techniquement possible n’est pas une raison suffisante pour l’industrialiser : nous devons définir en société et de façon démocratique jusqu’où on va, à quel rythme, comment on encadre. C’est ce qui est en train de se construire au niveau européen, avec une vision différente des Etats-Unis ou de la Chine. Ce n’est qu’au niveau international qu’on pourra préserver ce bien commun qu’est Internet. L’Europe peut montrer l’exemple, poser les standards des bonnes pratiques au niveau international.

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