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Non, la France coloniale n'a pas "œuvré à répandre l’analphabétisme en Algérie"
En Algérie, le régime a fait de l’arabe et de l’islam les premiers référents de tous les écoliers.
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Non, la France coloniale n'a pas "œuvré à répandre l’analphabétisme en Algérie"

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En Algérie, le « conseiller mémoriel » Abdelmajid Chikhi a estimé que la France coloniale avait œuvré à répandre l’analphabétisme dans le pays. Outre les mauvaises orientations prises par le régime depuis l'indépendance, notre journaliste Martine Gozlan évoque avec émotion la figure de sa mère, humble institutrice, qui enseigna un temps dans la région de Constantine.

Le préposé à la mémoire du président algérien a encore frappé. Cet Abdelmajid Chikhi que d’aucuns présentent à tort comme « l’alter ego » de l’historien Benjamin Stora de l’autre côté de la Méditerranée, vient de déclarer : « La France coloniale a œuvré pour répandre l’analphabétisme ». Cela fait beaucoup après « La France, ennemi éternel ! » lancé le 8 avril par le ministre du Travail, Hachemi Djaaboub, par ailleurs membre d’un parti islamiste dit « modéré ». Quand on n’a rien à dire ni à offrir à un peuple désespéré qui manifeste sa colère depuis deux ans, on bavasse, on éructe. Et on ment.

La dernière sortie de Chikhi appelle en effet plusieurs remarques. Les premières sont historiques. Les secondes me sont personnelles. D’abord, rendons à César, ou plutôt à l’idéologie, ce qui lui est dû. La plus grande tragédie de l’Algérie indépendante, c’est son système éducatif. Alors que l’écrivain Kateb Yacine s’écriait naguère : « La langue française est un butin de guerre ! », le FLN s’est empressé de piétiner l’héritage.

« L’école est le premier parti islamiste d’Algérie ! »

Sous la houlette d’Ahmed Taleb Ibrahimi, ministre de l’Éducation, puis de la Culture sous Houari Boumediene (1965-1978) et sous Chadli Bendjedid (1979-1992), le régime a fait de l’arabe et de l’islam les premiers référents de tous les écoliers. Ce qui fait dire aujourd’hui à un autre écrivain, le talentueux Amine Zaoui, dans sa tribune du quotidien Liberté : « L’école est le premier parti islamiste d’Algérie ! ».

Ensuite, on ne peut chasser de sa mémoire l’identité des premières victimes de la Toussaint rouge, ce 1er novembre 1954, date choisie pour le déclenchement de l’insurrection. Un couple d’instituteurs, voyageant vers leur lieu d’affectation - Tifelfel - à travers les gorges de Tighanimine, tomba sous les balles d’une embuscade qui visait un notable arabe local. Ils s’appelaient Guy et Jacqueline Monnerot. Guy fut tué, Jacqueline survécut.

Aujourd’hui, un mauvais scribe et désastreux conseiller réécrit le passé au lieu de rendre des comptes sur le présent.

Enfin, j’ai personnellement connu une institutrice qui enseigna de longues années en Algérie. Née dans une famille très pauvre, elle était sortie dans les premières de l’École normale de jeunes filles de ce qui constituait alors le département de Constantine. Son premier poste fut Morsott, un bourg perdu, près de Tébessa. Avec le directeur, elle fit de son mieux pour y apprendre à lire, écrire et compter aux petits villageois.

Assassinats de la décennie sanglante

Plus tard, elle enseigna dans sa ville natale, Souk Ahras. De multiples témoignages ont été publiés sur la réalité de l’école en Algérie avant l’indépendance. L’institutrice en question n’en écrivit aucun. Elle se contentait d’évoquer tel ou tel gamin - ou gamine - aux yeux pétillants. Ses confidences, trop brèves, étaient de toute façon recouvertes par d’autres, plus tragiques. Le vent et le sang de l’Histoire ont emporté cette Algérie qu’elle ne devait plus revoir.

C’est sur les traces de l’humble maîtresse d’école, tôt disparue, que j’ai découvert à mon tour ce pays alors qu’il entamait sa descente aux enfers dans les années 1990. Aux archives de l’École normale de Constantine, où je souhaitais consulter son dossier, je fus éconduite au motif que j’étais « étrangère ». Des centaines d’institutrices algériennes seront assassinées par les islamistes durant la décennie sanglante.

Aujourd’hui, un mauvais scribe et désastreux conseiller, qui a soutenu la scandaleuse loi d’amnistie des terroristes en 1999 et la pseudo-« réconciliation nationale » en 2005, réécrit le passé au lieu de rendre des comptes sur le présent. Non, monsieur Chikhi, ma mère, Béatrice Zerbib, institutrice en Algérie, n’a pas semé l’analphabétisme dans votre pays qui fut aussi le sien et aux drames duquel je ne resterai jamais tout à fait « étrangère ».

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne