Don du sang au musée ou comment l’institution prend part à la vie de la cité

Vue de la collecte de sang organisée lundi 12 avril 2021 dans l'enceinte du Musée d'art moderne et contemporain de Strasbourg. - Jérôme Dorkel
Vue de la collecte de sang organisée lundi 12 avril 2021 dans l'enceinte du Musée d'art moderne et contemporain de Strasbourg. - Jérôme Dorkel
Vue de la collecte de sang organisée lundi 12 avril 2021 dans l'enceinte du Musée d'art moderne et contemporain de Strasbourg. - Jérôme Dorkel
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Suite à la collecte de sang organisée dans le Musée d'art moderne et contemporain de Strasbourg lundi 12 avril, sa directrice Estelle Pietrzyk explique au micro de Marie Sorbier comment l’institution muséale peut prendre sa place dans la cité au-delà de l’exposition des œuvres.

Avec
  • Estelle Pietrzyk Directrice du Musée d'art moderne et contemporain de Strasbourg

Le Musée d'art moderne et contemporain de Strasbourg a ouvert lundi 12 avril ses portes à l'Etablissement français du sang pour une collecte dans ses salles. Il était donc possible de s'allonger sur un brancard pour donner son sang tout en admirant les oeuvres de la collection permanente. Une visite avec la médiatrice du musée était également offerte à tous les donneurs. Estelle Pietrzyk, la directrice du Musée d'art moderne et contemporain de Strasbourg, revient sur le succès de cette opération alors que les musées sont fermés en France depuis plusieurs mois. 

Le public manque et j'ose espérer qu'on manque aussi au public. Ce besoin d'art ce manifeste de façon de plus en plus visible. Avant qu'elles ferment, on n'avait jamais vu ce phénomène de gens faisant la queue devant les galeries d'art pour aller voir des oeuvres. Nos podcasts et vidéos en ligne ont également un succès qu'on n'imaginait pas.                  
Estelle Pietrzyk

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Cette collecte de sang interroge la fonction du musée : le lieu public muséal peut-il devenir autre chose qu'un lieu d'exposition ?

Pour Estelle Pietrzyk, il importe d'en revenir à l'étymologie du mot "musée", qui renvoie à un lieu d'inspiration : le temple des muses. Rares sont les endroits et les moments où l'on peut se permettre la lenteur et la contemplation qui sont nécessaires à l'inspiration mais qui ne sont pas des valeurs particulièrement encouragées dans la société, estime la directrice du Musée d'art moderne de Strasbourg. 

Le musée n'est pas un rassemblement de bibelots, mais un lieu qui nous parle de nous, du monde, de l'Histoire. Des artistes visionnaires nous parlent même de demain.                  
Estelle Pietrzyk

En s'associant avec l'Etablissement français du sang, Estelle Pietrzyk s'est rendu compte que le musée constitue un lieu capable d'accueillir ce type d'événement et d'endosser des rôles non seulement culturels, mais également à vocations sociétale, citoyenne et solidaire. 

Cette initiative a également été essayée au Musée des Beaux-Arts de Dijon au mois de mars. L'Etablissement français du sang constate l'arrivée de nombreux nouveaux donneurs.. A Strasbourg, explique Estelle Pietrzyk, les organisateurs de la collecte ont noté qu'il y avait une partie de donneurs captifs, ceux qui donnent leur sang régulièrement, indépendamment du lieu et du contexte, mais aussi d'autres attirés par l'aspect atypique de la collecte, venant parfois en groupe d'amis ou en famille.

Cela a un peu tordu et l'aspect culturel du musée et l'aspect médical de la collecte. C'était une entre-deux qui a trouvé sa place dans le moment que l'on vit, où les moments d'interaction sociale et culturelle nous sont refusés.                  
Estelle Pietrzyk

Pour la directrice du Musée d'art moderne de Strasbourg, cette expérience catalyse et accélère une réflexion engagée depuis longtemps sur le rôle du musée dans la cité. 

Le musée ne doit pas fonctionner en marge, en boîte hermétique, mais au contraire avec beaucoup de flux. Il apporte à l'extérieur et l'extérieur lui apporte aussi. On aura raté quelque chose si on repart à l'identique lors de la réouverture.                  
Estelle Pietrzyk

L'expérience de lundi est simple à renouveler et qualitative pour tous.. Les donneurs n'allaient pas tous forcément voir les salles, mais beaucoup étaient enchantés d'avoir ce tête à tête avec les oeuvres, de prendre le temps et de voir du beau.                  
Estelle Pietrzyk

Ça a été également une façon de voir le travail de ceux qui ont été des créateurs y compris dans les pires périodes de l'histoire, des artistes qui ont connu des moments épouvantables et qui n'ont cessé ni de croire ni de faire. Le musée peut véhiculer cela : on peut faire, être créatif, avoir un regard sur le monde, avoir une voix, y compris quand rien ne semble réuni pour que cela fonctionne.                  
Estelle Pietrzyk

Un des artistes emblématiques de cette créativité inébranlable dont l'oeuvre figure dans la collection du Musée d'art moderne est le sculpteur franco-allemand Hans Art, aussi connu sous le nom Jean Arp. Ne sachant quel camp choisir lorsqu'éclate la Première Guerre mondiale, il part en Suisse, où il deviendra un des pionniers du mouvement Dada. 

Des neurologues comme Pierre Lemarquis affirment que l'oeuvre d'art a des pouvoirs curatifs. Allier une prise de sang à la contemplation d'une oeuvre est-il une façon de constater le pouvoir agissant de l'art sur le corps humain ? 

Affaire en cours
8 min

L'environnement artistique a influencé le bien-être des patients, mais aussi du personnel soignant. Ces collectes ont souvent lieu dans des lieux inhospitaliers (parkings, bureaux), et lors de cet événement, les soignants étaient ravis.                  
Estelle Pietrzyk

Philosophes comme thérapeutes se sont penchés sur la question de la prescription muséale. Cette pratique répandue au Canada consiste à prescrire sur une ordonnance non seulement des médicaments ou une activité sportive, mais également une visite au musée. Pour ces visites thérapeutiques, il existe un personnel formé spécialement à accueillir des patients en situation de deuil, de traumatismes, de burn out, de rémission de cancer.

On fait une proposition, un choix d'oeuvre, et on engage un dialogue qui peut avoir des vertus curatives. Le temps du musée est un temps différent, et qui nous fait souvent défaut. Se dire qu'on prend le temps pour soi, d'impliquer le corps dans l'oeuvre d'art. Beaucoup d'oeuvres peuvent être très sensorielles et solliciter plus que le seul regard, notamment dans l'art contemporain où il existe un répertoire multiple pour solliciter le corps et l'éveiller.                  
Estelle Pietrzyk

L'équipe