"Pouvoir choisir nos vêtements et nos destins" : huit Iraniennes et Iraniens nous racontent leur pays rêvé

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"Pouvoir choisir nos vêtements et nos destins" : huit Iraniennes et Iraniens nous racontent leur pays rêvé

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Ils sont Iraniens et nous disent, souvent sous couvert d'anonymat, le pays qu'ils ont perdu, l'Iran dont ils rêvent.
Ils sont Iraniens et nous disent, souvent sous couvert d'anonymat, le pays qu'ils ont perdu, l'Iran dont ils rêvent.
© AFP

Hommes, femmes, jeunes ou plus mûrs, ils battent le pavé depuis le 16 septembre et le décès de Mahsa Amini, arrêtée pour un voile mal ajusté. De la mer Caspienne au sud du pays en passant pas Téhéran, ils témoignent.

Depuis le 16 septembre et la mort en garde à vue de Mahsa Amini, arrêtée pour un voile mal ajusté, l'Iran est le théâtre de nombreuses formes de protestations. Des centaines de milliers de personnes manifestent à travers le pays contre le régime de l'ayatollah Khamenei. À l'occasion de la journée spéciale Iran organisée par France Inter, huit d'entres eux nous ont confié ce dont ils rêvent pour leur pays.

Adnan, 28 ans, commerçant, Kurdistan iranien

Téhéran, le 21 septembre 2022
Téhéran, le 21 septembre 2022
© Maxppp - Chadi Romanos

"Nous voulons vivre dans un pays où nous ne sommes pas exécutés ou discriminés à cause du genre, de la religion, ou de la minorité ethnique [Adnan est kurde, ndlr]. Où nos vies ne sont pas entre les mains du vieux con fondamentaliste qui nous gouverne, où je n’ai pas peur de la police juste parce que je porte un short, où je peux aller à un concert et ne pas être obligé de rester assis. Je veux être debout ! Et vous n’allez pas me croire, mais ici, nous n’avons pas le droit d’écouter une femme chanter. Je veux vivre dans un pays où l’on peut montrer notre affection à ceux qu’on aime en public. Un pays où notre argent reste dans notre pays, et ne part pas à l’étranger pour financer des guerres et soutenir le terrorisme."

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Kamal, 30 ans, enseignant (en grève), nord de l’Iran

Téhéran, le 21 septembre 2022
Téhéran, le 21 septembre 2022
© AFP - Chadi Romanos

"L’Iran dont je rêve, c’est un pays où tout le monde pourrait s’exprimer librement et où il n’y aurait pas de discriminations basées sur le genre, la religion, les opinions politiques ou l’orientation sexuelle. L’Iran dont je rêve, c’est un pays qui ne serait l’ennemi d’aucun autre pays, un pays où la population serait respectée dans le monde entier. Je rêve d’une nation qui jouerait un rôle constructif sur la scène internationale. Je crois que nous méritons une vie meilleure. Nous ne sommes qu’au début du combat, mais je crois que tous mes rêves peuvent devenir réalité si nous gagnons cette bataille."

Servah, 32 ans, doctorante en sociologie, France

Téhéran, le 19 septembre 2022
Téhéran, le 19 septembre 2022
© Maxppp - Chadi Romanos/STR/EFE/Newscom

"Je viens d'une petite ville du Kurdistan iranien, où des hommes et des femmes, les militantes féministes qui travaillaient sur les violences faites aux femmes, ont été arrêtés. La majorité des personnes qui sont en capacité de mobiliser les gens et de les convaincre de sortir, de revendiquer, ont été arrêtées. Moi, je rêve de liberté, de justice et d'égalité entre les femmes et les hommes, mais aussi pour les minorités nationales du pays, qui subissent une oppression étatique. Je rêve d'une situation économique plus stable, un bon travail, la liberté et la justice. Une vie normale, parce que ça fait longtemps qu'on n'a pas eu une vie normale.

Aujourd'hui, l'État a décidé de filtrer les réseaux sociaux. L'État est arrivé jusque dans notre lit. Il décide pour tout. Ce genre d'oppression se reproduit dans la maison aussi. Je l'ai vécu dans ma famille. Quand le père ou la mère savent qu'à l'extérieur il y a la police des mœurs. Qu'est ce qu'ils vont vous dire à la maison ? 'Fais attention à ce que tu portes ! Ne sors pas avec des vêtements qui peuvent te faire du mal…'

Les gens sont vraiment en colère. Je reçois des messages de mes amis, de la famille, qui sont déprimés. Ils veulent faire quelque chose, mais ils ne savent pas comment. Hier, un ami m'a écrit : 'Je suis fatigué, je ne sais pas quoi faire, je suis en colère. Le régime tue facilement les gens qui sont dans la rue. On a envie de faire quelque chose, mais on a peur. On ne sait rien sur notre avenir. Ce qui nous reste à faire, c'est de quitter le pays'. Quand je l'ai lu, j'ai pleuré."

L'invité de 8h20 : le grand entretien
23 min

Omid, 31 ans, Téhéran

Téhéran, le 19 septembre 2022.
Téhéran, le 19 septembre 2022.
© AFP - Chadi Romanos

"Je rêve d'un Iran où je peux tout simplement vivre comme une personne normale, m'habiller comme je veux, m'exprimer comme je le désire. Je veux écouter la musique que j'aime. Je veux rire avec mes amis. Je veux marcher dans la rue sans être contrôlé et je suis sûr que ce que je viens de dire n'est pas seulement mon rêve. C'est vraiment celui de tous les Iraniens. On en a tous marre. Les gens s'unissent, et c'est la clé : l'union entre les Iraniens pour obtenir ce qui est notre droit, pour nous dresser, nous défendre et combattre notre gouvernement. On espère que le monde nous entendra, que le monde nous aidera."

Hanieh, artiste, France

Téhéran, le 20 septembre
Téhéran, le 20 septembre
© AFP - Chadi Romanos

"Jusqu'à mes 18-19 ans, tous les étés je me rendais en Iran. Ma mère m'y amenait malgré la guerre, malgré la situation politique et j'ai été imprégnée par la peur de ne pas se maquiller, de ne pas se dévoiler, de ne pas se faire attraper par la police des mœurs. J'ai un fils de 20 ans. Cette jeune fille [Mahsa Amini, ndlr] aurait pu être ma fille. Mon rêve pour l'Iran, pour les Iraniennes et les Iraniens, est qu'ils soient heureux. Et je pense que leur bonheur passe par cette demande de liberté. La liberté d'expression. La liberté de vivre. La liberté de faire ce qu'elles veulent. Porter le voile, ne pas porter le voile. Se marier ou ne pas se marier. Être enceinte, avoir des enfants ou ne pas en avoir.

Il y a aussi la situation économique qu'il ne faut pas nier. Un jour, il n'y a pas si longtemps, il y a quelques mois, je suis arrivée et j'ai vu mon père pleurer. Je lui ai demandé pourquoi. Et il m'a répondu : 'Parce que j'ai appris aujourd'hui aux informations que les Iraniens achetaient du pain à crédit.' Qu'est ce que vous voulez d'autre ? C'est quand même difficile. Ce que je souhaite pour l'Iran, c'est du bonheur."

Sara, 26 ans, étudiante (gréviste), Qom

Téhéran, le 19 septembre 2022
Téhéran, le 19 septembre 2022
© AFP - Chadi Romanos

"Je me bats pour un Iran dans lequel on peut choisir. Choisir nos vêtements, choisir nos destins, choisir ce qu'on va faire. Je me bats pour la liberté, pour les femmes iraniennes qui sont sous pression depuis des années. Et je me bats pour faire entendre nos voix à tout le monde. Je me bats pour la future femme. Les petites filles iraniennes sous la pression de ce régime islamique. Nous n'avons aucun problème avec le hijab [le voile, ndlr], nous n’avons aucun problème avec l'islam. Je me bats surtout pour la liberté d'expression et l'égalité des femmes et des hommes."

Omid, guide touristique, Téhéran

Téhéran, le 21 septembre 2022
Téhéran, le 21 septembre 2022
© AFP - Chadi Romanos

"J'adore mon pays, c'est un pays extraordinaire. J'espère qu'un jour, bientôt, je pourrai danser avec mes copains, mes copines, librement, sur la place royale à Ispahan. Parce que cette ville est un témoignage de la vie sociale et culturelle en Perse. Or en Iran, aujourd'hui, il n'y a pas de liberté, il n'y a rien. Tout est clandestin, caché.

Mon rêve pour l'Iran ? La liberté, la liberté d'entreprendre ma vie ! Ce qui se passe en ce moment n'est pas un simple et soudain mécontentement. C'est un phénomène historique, après des années de souffrances infligées par un système obscurantiste. Cette soif de liberté, notamment celle des femmes, ce courage pour affronter la répression, la solidarité intergénérationnelle témoignent de la profondeur de ce mouvement. Et je suis fier de mes jeunes compatriotes de 18, 19, 20, 21 ans.

Je suis actuellement en déplacement professionnel et je publie sur les réseaux sociaux sur la situation en Iran. Quand je le fais, ma mère me téléphone et me dit 'arrête, c'est dangereux, si tu reviens'. Mais je m'en fous. J'ai peur, mais il faut parler. Il faut que tout le monde parle. C'est un devoir moral, intellectuel et citoyen de nous aider par tous les moyens. Ce n'est pas un message de détresse, mais d'espoir que je partage aujourd'hui. Soyez de notre côté jusqu'à ce que la lumière finisse par triompher."

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