'TchaoMégot' : dépolluer et recycler les mégots de cigarettes

Julien Paque, fondateur de TchaoMegot ©Radio France - Annabelle Grelier
Julien Paque, fondateur de TchaoMegot ©Radio France - Annabelle Grelier
Julien Paque, fondateur de TchaoMegot ©Radio France - Annabelle Grelier
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La jeune pousse installée à Beauvais a mis au point un procédé afin d’extraire des mégots de cigarettes, les substances toxiques qui ont noirci le filtre, pour en faire un isolant thermique pour le bâtiment et les vêtements.

Selon une étude de la Commission européenne, les mégots de cigarettes sont le déchet plastique le plus retrouvé sur les plages européennes. Juste après les bouteilles en plastique. C’est le détritus le plus répandu dans la nature.

On estime entre 20 000 à 25 000 tonnes, la quantité de mégots jetés chaque année en France. Au-delà de la pollution visuelle, ces déchets représentent surtout une source de pollution environnementale : le filtre contient plusieurs milliers de substances chimiques (acide cyanhydrique, naphtalène, nicotine, ammoniac, cadmium, arsenic, mercure, plomb …) dont certaines sont toxiques pour les écosystèmes ; un mégot jeté par terre et emporté par les eaux aura toutes les chances de rejoindre les rivières, les mers et les océans.

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25 000 tonnes de mégots sont jetés chaque année en France.
25 000 tonnes de mégots sont jetés chaque année en France.
© Radio France - Annabelle Grelier

Les cigarettes mettent en moyenne douze ans pour se dégrader totalement : les filtres se dégradent entre un et deux ans, mais l’un de ses composants, l’acétate de cellulose, une fibre synthétique plastique que l'on retrouve dans l'industrie textile sous le nom de viscose met quant à lui, près de dix ans pour se biodégrader.

Selon l’observatoire de l’eau, un seul mégot peut polluer jusqu’à 500 litres d’eau quand les substances nocives qu’il contient, contaminent à la fois l’air et les sols.

Dépolluer les mégots sans eau et sans solvant toxique

Depuis la promulgation de la loi AGEC de février 2020, les produits du tabac constituent une nouvelle filière de Responsabilité Élargie du Producteur (REP), c’est-à-dire une filière pollueur-payeur soumise à des obligations en matière de gestion des déchets, d’éco-conception et de sensibilisation des consommateurs. Les industriels du tabac ont donc été contraints de contribuer à une filière de revalorisation impliquant déjà quelques entreprises installées sur ce secteur.

TchaoMégot, fondée en 2019 par un jeune ingénieur fraîchement diplômé de HEI Lille, s’est donnée pour mission de créer une boucle de recyclage écologique, totalement circulaire et qui plus est, locale. Julien Paque a démarré son petit atelier dans le garage de ses parents, où il passera tout le confinement à chercher un moyen de dépollution efficace et le plus neutre possible.

Car c’est bien là où résident à la fois toute la difficulté et tout l’enjeu de son innovation. Donner une seconde vie à un déchet est l’un des principes de l’économie circulaire mais l’enjeu est d’autant plus grand lorsqu’on s’attaque à un déchet polluant tel que les mégots de cigarettes. Pas moins de 4 000 substances toxiques sont piégées par les filtres de cigarettes qu’il faut savoir extraire pour conserver la ouate d’acétate de cellulose avant de pouvoir ensuite, la réemployer.

Julien Paque, fondateur de TchaoMegot et Amélie Velter, responsable technique devant la machine de dépollution des mégots
Julien Paque, fondateur de TchaoMegot et Amélie Velter, responsable technique devant la machine de dépollution des mégots
© Radio France - Annabelle Grelier

Sans eau, sans solvant toxique, Julien Paque a mis au point un procédé désormais breveté, qui permet de nettoyer la fibre du mégot.

S’il ne souhaite pas divulguer trop de détails sur le fonctionnement de cette machine, le jeune chef d’entreprise n’a pas hésité à nous en faire la démonstration.

Dans ses nouveaux locaux de 1 500 mètres carrés sur la zone industrielle de Bresles, la chaîne pilote de transformation fonctionne désormais, à plein régime.

4 tonnes de mégots collectées grâce à des cendriers connectés et installés par les collectivités locales des Hauts-de-France y sont acheminées.

La première étape du recyclage consiste à séparer la fibre des restes de cendres et tabac
La première étape du recyclage consiste à séparer la fibre des restes de cendres et tabac
© Radio France - Annabelle Grelier

Les mégots qui ont été au préalable passés dans une autre machine de sa conception qui sépare les restes de cendres et de tabac, des fibres, entrent encore souillés dans l’étape de dépollution. La partie la plus innovante de son concept car soucieux de l’impact environnemental de son entreprise, Julien Paque, s’est astreint à n’utiliser que des procédés qui ont une empreinte carbone minime pour que le recyclage, ne pollue pas plus que l’abandon du déchet dans la nature.

"Notre solution consiste à utiliser un solvant naturel sous pression qui parvient à extraire les substances toxiques et les mauvaises odeurs" nous explique-t-il.

A la sortie, les mégots sont propres et inodores. Métaux lourds et autres substances toxiques sont recueillis dans un flacon qui sera estampillé PCL, produit chimique de laboratoire et traité par la filière d’élimination des déchets dangereux.

Les substances toxiques recueillies après traitement des mégots seront traitées par la filière de traitement des produits dangereux
Les substances toxiques recueillies après traitement des mégots seront traitées par la filière de traitement des produits dangereux
© Radio France - Annabelle Grelier

Validé par l’Ineris (Institut national de l’environnement et des risques), le cycle de traitement ne dure qu’une heure. Sans eau et à basse température, il reste sobre en énergie, ce qui lui a valu d’être primé Green tech innovation par le ministère de la Transition écologique.

En bout de chaîne, les mégots seront triturés jusqu’à former une fibre réutilisable comme matériau d’isolation dans le bâtiment ou encore en rembourrage de blousons.

C’est d’ailleurs dans des entreprises textiles des Hauts-de-France que TchaoMégot a choisi de faire façonner ses doudounes, nous précise avec une certaine fierté, Amélie Velter, sa responsable technique.

"Rien de plus motivant que de mettre en place toute une chaîne de transformation circulaire qui inclut nos valeurs, qu’elles soient écologiques, environnementales mais aussi sociales, en travaillant avec les entreprises de notre région."

Jusqu’aux machines que l’entreprise a choisi de faire fabriquer en France, à Nancy, pour près de 6 millions d’investissements.

Plaques d'isolation thermique pour bâtiment produites avec la fibre de mégot
Plaques d'isolation thermique pour bâtiment produites avec la fibre de mégot
- TchaoMegot

De subventions en levée de fonds et emprunts, Julien Paque est en effet en voie d’industrialisation de son procédé. La nouvelle machine qui sera livrée à l’automne 2023, pourra traiter jusqu’à 300 tonnes de mégots par an soit 100 fois plus qu’aujourd’hui.

Reste à son équipe de commerciaux à convaincre collectivités locales et entreprises de s’équiper de cendriers et kits de recyclage pour collecter assez de mégots qu’il faut désormais appeler matière première.

La SNCF et plus de 200 communes et hôpitaux ont déjà adhéré au circuit de collecte de TchaoMégot qui peut entrevoir un beau développement tant l’enjeu du recyclage des mégots de cigarettes est malheureusement mondial.

L'équipe