- L’ONG Global Witness accuse la société forestière chinoise Congo King Baisheng Forestry Development (Cokibafode) d’avoir exporté pour plus de 5 millions de dollars de bois illégal de la République Démocratique du Congo (RDC) vers la Chine fin 2022.
- La Cokibafode avait déjà été épinglée par des ONG locales et des services d’audit pour mauvaise gestion de leur exploitation forestière et pour leur absence de paiement de redevances forestières.
- Selon plusieurs ONG, les ressources forestières dont dépendent les peuples autochtones et les communautés locales s’amenuisent à cause de la déforestation engendrée par la Cokibafode.
- Afin de remédier à la situation, un conseiller de la Ministre de l’Environnement espère la mise en place prochaine d’un nouveau cadre juridique plus contraignant.
La société forestière Congo King Baisheng Forestry Development (Cokibafode) aurait exporté pour plus de 5 millions de dollars de bois illégal de la République Démocratique du Congo (RDC) vers la Chine entre juin et décembre 2022. C’est ce que révèle l’ONG britannique Global Witness fin octobre 2023.
Ce n’est pas la première fois que cette entreprise forestière est épinglée. Selon l’Inspection générale des finances (IGF) de la RDC, elle aurait reçu des concessions non conformes à la loi congolaise et les ONG locales dénoncent depuis des années une surexploitation du bois.
La Cokibafode, filiale de l’entreprise Maniema 2, opère en RDC depuis 2018. Si l’entreprise était à l’origine détenue par un général de l’armée congolaise, après avoir obtenu ses concessions forestières, elle est devenue la propriété d’un homme d’affaires chinois et a rejoint le groupe Wan Peng. Opérant dans les provinces de l’Équateur et de la Mongala, deux régions forestières du nord-ouest de la RDC, traversées par le fleuve Congo, l’entreprise coupe du bois brut qu’elle exporte ensuite par voie maritime.
Global Witness aurait suivi le bois, de sa coupe dans les concessions jusqu’au port de Zhangjiagang en Chine. Face au caractère illégal de l’exploitation, l’ONG d’investigation a alerté les autorités chinoises, mais elles auraient refusé d’intervenir, arguant que le bois ne venant pas de Chine, il ne relève pas de leur juridiction.
« Concernant le bois importé, il y a un gros vide juridique. La Chine a fait ces déclarations sur les forêts au niveau international, mais n’a pas mis en place les lois nécessaires pour soutenir ses revendications », explique Charlie Hammans, enquêteur spécialisé à Global Witness, chargé de cette investigation. « Elle a déclaré que si le gouvernement de la RDC lui demandait de prendre des mesures, elle le ferait, sinon ce n’est pas son problème, ce que je trouve triste ».
Contacté, le représentant en RDC de la Cokibafode n’a pas donné suite à notre demande d’interview.
Une exploitation intensive de la forêt
Plus des deux tiers de la province de la Mongala sont recouverts de forêts. Les peuples autochtones et les populations locales vivent de la forêt mais aussi de l’agriculture grâce à laquelle ils approvisionnent les grandes villes de Kisangani et de Kinshasa en riz, ignames, poissons, gibiers et autres produits.
Mais les activistes de l’ONG congolaise Action pour la promotion et la protection des peuples et espèces menacés (APEM) sont inquiets. Depuis des années, ils observent une diminution des ressources forestières dans les zones exploitées par la Cokibafode. « Il y a une diminution évidente de la biodiversité. Dans ce coin là, le gibier se fait plus rare, donc les populations ont plus de difficultés à se nourrir », dénonce Blaise Mudodosi, coordinateur de l’APEM. « En plus, souvent, les chinois quand ils coupent des arbres, ils ne font pas la sélection, donc ils coupent tout, y compris aussi les arbres qui produisent les chenilles. Ici les chenilles sont très importantes ».
Stany Malezi est cultivateur et père de 11 enfants. Il vit non loin d’une exploitation de la Cokibafode, dans le secteur Ngombe Doko, territoire de Lisala, dans la province de la Mongala. Il subit de plein fouet les conséquences de l’exploitation intensive de la forêt par cette société.
« Avant que la Cokibafode arrive, on vivait notre vie tranquillement. Mais ils ont presque tout pillé. Moi, je vis de la cueillette, du ramassage des chenilles et des champignons. Maintenant on ne les trouve plus aussi facilement qu’avant. Alors qu’on en a besoin pour notre survie, et qu’on pouvait les vendre pour que les enfants puissent aller à l’école. Alors comment allons nous vivre ? », déplore Malezi.
En effet, en RDC, les chenilles (Gonimbrasia petiveri), nommées mbinzo en lingala, constituent un des aliments de base et une source importante de lipides et de protéines, qui remplace parfois la viande. Dans cette province, où plus de 80 % des ménages vivent en dessous du seuil de pauvreté, leur disparition pourrait avoir un impact dévastateur sur la sécurité alimentaire de la population.
Cela fait 5 ans que l’APEM suit la situation sur le terrain, mais l’ONG s’est heurtée à la gestion hasardeuse des coupes dans les concessions forestières.
« Le bois, il passe, personne ne peut s’arrêter pour poser de questions, pour demander les papiers et ainsi de suite. Il n’y a aucun contrôle », regrette Mudodosi.
« Ils ne respectent pas les assiettes de coupes [qui selon la loi règlementent l’exploitation durable du bois d’une concession], ils viennent dans les concessions comme ils veulent, même les arbres qui ne sont pas encore au niveau d’être coupés, ils les coupent, mais ils s’en foutent de la suite », s’insurge Mudodosi.
Mudodosi alerte régulièrement les pouvoirs publics sur ce problème. « On a milité pour que les concessions soient suspendues, mais dans les faits, rien n’a changé », regrette-t-il.
Les abus, que lui et d’autres acteurs de la société civile ont constatés, ont été corroborés par l’Observatoire de la gouvernance forestière (OGF). Il s’agit d’une ONG qui se dit indépendante et dédiée à l’observation des activités de gestion et d’exploitation des ressources forestières en RDC.
En 2021, l’OGF s’est rendu dans la Mongala sur une des exploitations de la Cokibafode accompagnés de représentants du ministère de l’Environnement et d’une ONG de la société civile. Ensemble ils ont réalisé un contrôle officiel des activités d’exploitation forestière. Au cours de cette mission, ils ont constaté que « la société Cokibafode exploite systématiquement la forêt en violation des règles et normes prescrites dans le secteur, à savoir l’absence de tous les documents d’exploitation, l’absence d’un système de traçabilité des bois abattus et la matérialisation des limites ».
Ils relèvent aussi que les représentants de l’entreprise ne parlent ni français, ni lingala (les deux langues officiellement parlées dans la province), ce qui « a un grand impact négatif sur le respect des normes d’exploitation forestière » ainsi que sur la communication avec les travailleurs locaux, l’administration et les communautés.
Complicité dans le circuit de pouvoir
Depuis la parution de ce rapport, Mudodosi n’a observé aucun changement, que ce soit d’un point de vue administratif, comme sur le terrain. « Quand tu viens leur poser des questions sur leur exploitation, que tu sois un inspecteur ou une ONG, ils te disent ‘on a déjà tout réglé avec le Garagara. Le Garagara c’est le Grandgrand, mais qui est mal prononcé parce qu’ils ne comprennent pas la langue. Et le Grandgrand, c’est le gouverneur ou un autre représentant de l’État », dit Mudodosi, fustigeant la gouvernance de son pays.
« Il y a beaucoup de complicité dans le circuit, alors ils [les représentants de la Cokibafode] se considèrent au-dessus des lois. Mais nous on veut que nos forêts restent debout, restent intactes. Nos forêts ont un rôle crucial au niveau climatique ».
Type Wombi Biyela Dilingi, conseiller chargé de la protection des forêts et des tourbières auprès de la Ministre de l’Environnement, a d’ailleurs été confronté plusieurs fois au problème. « Ceux qui font de l’exploitation illicite le savent. Ils sont aidés par des compatriotes qui maîtrisent très bien la loi, ils savent que quelque part il y a des non-dits, il y a des trous et ils utilisent la faiblesse de la loi. Vous allez remarquer que le même investisseur, la même personne morale, est attrapé plusieurs fois pour la même cause, la même infraction parce qu’ils savent que le maximum à payer par exemple pour un trafic illicite, c’est 1000 dollars. Ils peuvent ramener autant de grume qu’ils veulent, l’amende transactionnelle, c’est celle-là. Alors, ils préfèrent être attrapés et payer », avoue-t-il.
Dans un pays où le PIB par habitant est de 710 USD, cela peut sembler être une punition adéquate, mais pour la multinationale chinoise, qui selon Global Witness exporte pour plusieurs millions de dollars de bois en seulement quelques mois, cette peine est dérisoire.
En 2022, l’Inspection générale des finances (IGF) de la RDC publie un rapport dans lequel elle relève que la Cokibafode n’a pas versé toutes les redevances dues et que le nouveau code forestier de 2002 n’a jamais été appliqué. Selon le service d’audit du gouvernement congolais, la société aurait obtenu des concessions de tailles supérieures aux limites fixées par la loi.
« Il n’est pas permis d’attribuer des concessions de plus de 500 000 ha à un seul opérateur. Ils [Cokibafode] en ont beaucoup plus. Depuis 2002, il est interdit d’attribuer des zones forestières qui n’ont pas appartenu à des concessions au préalable, mais ils [le gouvernement congolais] les ont quand même attribuées. Il y a tellement de lois qui montrent que l’entreprise opère illégalement, mais le fait qu’elle respecte la loi n’est pas nécessairement la chose la plus importante pour le gouvernement », regrette Hammans. « Entre ce qu’il y a dans la loi et la réalité, il y a deux mondes ».
Le rapport relève aussi des problèmes de gouvernance. L’IGF dénonce notamment le recours au « gré à gré par les Ministres successifs dans l’allocation des concessions forestières. » Il faut donc comprendre par là que l’allocation des concessions aurait eu lieu en dehors d’un marché organisé, sans appel d’offres. L’organe gouvernemental constate aussi ce qu’elle décrit comme un « laxisme » de l’administration forestière dans la perception des droits dus à l’État et la « défaillance » de la Direction générale des Recettes administratives, judiciaires, domaniales et des participations (DGRAD).
L’IGF a recommandé de suspendre toutes les concessions jugées illégales, celles de la Cokibafode en font partie. La recommandation est appliquée par la Ministre de l’Environnement en avril 2022. Quelques jours plus tard, elle met en place une commission chargée d’auditer toutes les concessions forestières du pays. Après un premier audit, le Ministère décide de résilier les contrats dans l’Équateur, mais de valider ceux dans la Mongala tout en précisant qu’il y aura un accompagnement du Ministère pour aider le concessionnaire à rester dans la conformité. Les infractions évoquées plus tôt sont à nouveau constatées, et pour les concessions de la Mongala, l’entreprise est sommée de payer les arriérés des taxes en plus des amendes transactionnelles. Ils ont 8 mois pour se mettre en règle. Au terme de ce délai, un autre audit a lieu et la Cokibafode obtient l’autorisation officielle de garder ses concessions dans la Mongala.
Mais pour l’ONG Action des jeunes pour le bien-être social (AJBS), qui dénonce les manquements de la Cokibafode dans la Mongala depuis des années, cette décision est révoltante. « Il faut qu’il y ait sanction ! », s’insurge Roger Nzumbu, président de l’AJBS. « On a dénoncé le fait que la ministre de l’Environnement ait suspendu les concessions problématiques avant de leur rendre leur permis de coupe. Et maintenant ça… ».
Nzumbu et son association sont en train d’écrire un rapport afin d’informer la population et préparent une plainte dans l’espoir que cette concession soit exploitée de façon légale. Selon eux, sur le terrain, malgré l’audit, rien n’a changé, la société forestière Congo King Baisheng Forestry Development continue de déboiser à outrance et d’exporter sa production vers la Chine.
Cependant, selon Wombi, cette situation devrait bientôt changer. En janvier 2024, se sont tenus les États généraux des forêts de la RDC et le problème de la pénalisation de l’exploitation illicite a été soulevé. Le conseiller espère que bientôt de nouvelles lois, plus contraignantes, vont être votées pour dissuader les entreprises de se déroger à la loi.
Exploitation forestière illégale : du bois en provenance du Gabon saisi à Anvers
Image de banniere : Un camion tire un tronc d’arbre sur une piste forestière en RDC. Image de Global Witness.
RETOURS : Veuillez utiliser ce formulaire pour contacter l’auteur de cet article. Pour publier un commentaire public, veuillez vous reporter au bas de cette page.