Hausse massive du coût de l'internet à Madagascar : interview avec Harinjaka Andriankoto Ratozamanana

Photo de Harinjaka Andriankoto Ratozamanana

Photo de Harinjaka Andriankoto Ratozamanana ; utilisée avec permission

L'internet devient une denrée rare à Madagascar en raison de son coût élevé depuis le 1er avril 2024. C'est pourtant une ressource indispensable à l'ère du numérique, mais dont l'accès devient un luxe pour une minorité qui seule peut se le permettre.

Pour mieux cerner la situation et comprendre ce bouleversement dans l'environnement numérique dans le pays, Global Voices s'est entretenu, via LinkedIn, avec Harinjaka Andriankoto Ratozamanana, chercheur à the Institute for the Cooperative Digital Economy.

Jean Sovon (JS) : L'environnement numérique malgache connaît une grave crise. Que se passe-t-il? 

Harinjaka Andriankoto Ratozamanana (HAR) : Depuis le 1er avril, une augmentation soudaine du coût de l'internet et l'application d'une nouvelle structure tarifaire ont surpris les utilisateurs malgaches. Cette décision émanant du gouvernement a instauré un prix minimum pour le gigaoctet fixé à 4 153 ariary (0,95 dollar américain), alors que d'autres offres d'internet sur le marché vont jusqu'à 10 000 ariary ( soit 2,26 dollars américains). Ce nouveau prix minimum représente une augmentation de plus de 100%: le prix avant le changement était de 2 000 ariary (0,45 dollar américain), dans une société où le revenu moyen mensuel est de 188 891 ariary (43 dollars américains). Les principaux fournisseurs d'accès à internet ont rapidement ajusté leurs offres, allant jusqu'à 10 000 ariary (soit 2,26 dollars américains) sans pourtant avertir préalablement les utilisateurs.

Le ministre du Développement numérique, de la Transformation digitale, des Postes et Télécommunications a justifié cette mesure en affirmant qu'elle favoriserait un accès internet plus réparti dans le pays. Cependant, cette décision rend désormais l'accès à cette ressource vitale de plus en plus difficile pour de nombreux Malgaches faute de pouvoir d’achat adéquat, exacerbant ainsi la fracture numérique déjà présente dans le pays.

Cette situation est particulièrement préoccupante dans les régions reculées, où seulement 6,5% de la population a accès à l'électricité, comparativement à 15% en milieu urbain (chiffre des Nations-Unies). De plus, la disparité de qualité de service entre différentes zones géographiques ajoute une complexité supplémentaire pour les utilisateurs. Depuis cette augmentation des tarifs, de nombreux internautes ont dû restreindre leurs dépenses liées à la connexion internet ou vont dans les cybercafé, transformant ce qui était autrefois un service largement accessible en un produit de luxe à Madagascar.

JS : Comment est accueillie cette augmentation du coût de l'internet?

HAR : Cette hausse des tarifs de l'internet suscite une vive inquiétude parmi de nombreux utilisateurs du pays. En effet, elle entrave les initiatives entrepreneuriales et le développement économique car faute de création d’emplois (quasi inexistante dans le pays) Facebook est devenu au fil du temps la plateforme de e-commerce malgache.

Notez que la Grande île compte 3,8 millions d’utilisateurs des médias sociaux, et quasiment tous utilisent le réseau social Facebook. De plus, les Malgaches redoutent les répercussions de cette augmentation sur leur capacité à maintenir le contact avec leurs proches et à accéder aux services gouvernementaux en ligne. En effet, des plateformes telles que Facebook jouent un rôle crucial en tant que portail d'information officiel, où le gouvernement publie ses annonces et délibérations. C'est sur ces plateformes que nos citoyens participent activement à la vie civique, ce qui souligne davantage l'importance de l'accès à internet pour l'exercice de la démocratie et de la gouvernance transparente.

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JS : Qui d'autre est impacté?  

HAR  : Cette mesure représente un obstacle majeur pour de nombreux acteurs dont la vie quotidienne dépend de l'internet. Les entrepreneurs se retrouvent confrontés à une augmentation des coûts opérationnels en adoptant des stratégies de vente en ligne et à une diminution de leur chiffre d'affaires car les clients ne sont plus connectés du jour au lendemain, étant donné la réduction de la connectivité de leurs clients.

Les étudiants éprouvent des difficultés pour accéder à leurs groupes de discussion et ressources en ligne, tandis que les citoyens voient leur accès à l'information et leur capacité à s'exprimer et à participer au débat public restreints. De plus, cette décision entrave le développement de l'économie numérique et de l'innovation dans le pays, suscitant des préoccupations parmi les économistes quant à son caractère anti-économique.

JS : N'est-ce pas aussi un moyen pour les autorités de censurer les critiques à son endroit sur la toile?

HAR : Il est légitime de craindre que cette hausse du coût de l'internet soit une tentative des autorités pour restreindre la liberté d'expression en ligne. Madagascar traverse une période où les manifestations de l'opposition, les débats sur la bi-nationalité du président de la république et les contestations concernant sa réélection soulevant des questions de légitimité ont été sévèrement réprimées.

Récemment, l'expulsion de la représentante de l'Union européenne pour ses critiques sur la loi controversée sur la castration des violeurs d’enfants, le détournement du fond Covid et la disparition du fonds d’entretien routier, (l’UE finance une grande partie de l'infrastructure routière du pays), a soulevé des préoccupations quant au respect des droits humains et à la liberté d'expression. De plus, la destitution du président de l’assemblée nationale par la Haute Cour Constitutionnelle pour avoir critiqué les dysfonctionnements du gouvernement depuis son accession au pouvoir a accru les tensions politiques.

Dans un climat où la liberté de la presse est déjà précaire, cette augmentation des tarifs d'internet pourrait être utilisée comme un prétexte pour censurer les voix critiques et dissidentes à l'approche des élections législatives prévues du 8 au 29 mai prochain à Madagascar. Une telle mesure constituerait une violation flagrante des droits de l'homme et menacerait les principes démocratiques du pays car internet fait partie des stratégies évoquées par l’opposition pour confronter les résultats des votes.

En outre, la récente décision de la Haute Cour Constitutionnelle de sanctionner sévèrement toute contestation de ses décisions sur les réseaux sociaux, sous peine d'emprisonnement, renforce les craintes quant à une répression accrue de la liberté d'expression.

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JS : Existe-t-il un début de solution?

HAR : Pour ramener les prix de l'internet à la portée des internautes malgaches, une approche multidimensionnelle s'impose. Cela suppose d'initier un dialogue constructif entre les autorités, les opérateurs téléphoniques, la société civile et les groupements de consommateurs afin d'évoquer les impacts de cette augmentation et ses conséquences, et de trouver des solutions durables.

Il est primordial de libéraliser le marché de l'internet, de favoriser une véritable concurrence dans le secteur des télécommunications et d'adopter des politiques qui rendent l'internet plus ou moins accessible à tous, étant donné que le nombre d'utilisateurs d'internet à Madagascar a atteint un niveau considérable (le chiffre avancé est proche de 4 millions sur une population de 28 millions) où les opérateurs peuvent tous trouver leur compte même avec l’annonce en grande pompe de l’arrivé imminente de Starlink sur le marché.

De plus, une surveillance continue et une mobilisation citoyenne sont nécessaires pour veiller à ce que les intérêts des utilisateurs soient aussi pris en compte dans les décisions relatives à l'accès à l'internet. Une pétition en ligne a été envisagée ces derniers jours pour permettre aux citoyens de s'exprimer librement sur cette question, car il semble que les utilisateurs n'ont pas été consultés avant la prise de cette décision.  Les opérateurs eux-mêmes ont été pris au dépourvu le jour de l’augmentation.

Il faudrait envisager de créer une association d'utilisateurs d'internet afin de mener des actions, notamment des campagnes de sensibilisation et des lettres ouvertes adressées aux autorités pour exprimer nos préoccupations. Il est aussi  essentiel de s'asseoir avec les opérateurs pour discuter, dans l'espoir qu'il ne soit pas trop tard pour qu'ils se rallient à notre cause, car ils perdent également une part importante de marché dans cette affaire.

Dans un tel contexte, il est donc crucial que les autorités interviennent pour que l'internet soit à nouveau la portée de tous les Malgaches.

Lire notre cahier spécial : 

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