Anna Mouglalis sur le #MeToo français : “Les victimes n’ont pas besoin d’un confessionnal mais d’actes !”

Dans une tribune au “Monde”, plus de cent voix du #MeToo français réclament une “loi intégrale” contre les violences sexuelles et sexistes pour stopper l’impunité judiciaire. Explications avec sa co-instigatrice, la comédienne Anna Mouglalis.

L’actrice Anna Mouglalis : « Sur le traitement des violences sexuelles et sexistes, la France est très en retard. » Ici, à Paris, le 8 mars 2024.

L’actrice Anna Mouglalis : « Sur le traitement des violences sexuelles et sexistes, la France est très en retard. » Ici, à Paris, le 8 mars 2024. Photo Julien Muguet / Hans Lucas

Par Elise Racque

Publié le 14 mai 2024 à 17h01

Elles ont dénoncé les violences commises par leur père, leur frère, leur patron, leur collègue, leur entraîneur, des réalisateurs, des prêtres, des élus, des inconnus croisés dans la rue, des youtubeurs ou des internautes anonymes. En une du journal Le Monde, plus de cent personnalités, voix célèbres ou moins connues du mouvement #MeToo français, dénoncent le retard de la France dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Elles appellent à une « loi intégrale » qui prenne en charge tous les enjeux de cette lutte. En tête de ces enjeux : améliorer le traitement judiciaire de ces affaires, qui dans l’extrême majorité des cas aboutit à un classement sans suite, ou à une absence de condamnation.

Dans une tribune et une pétition en ligne portée par la Fondation des femmes et l’association #MeTooMedia, les personnalités prises en photos dans Le Monde réclament notamment que la loi puisse « faciliter la collecte de preuves, créer des brigades spécialisées, interdire les enquêtes sur le passé sexuel des victimes, permettre un accès immédiat et gratuit à des soins en psychotraumatologie, donner enfin les moyens financiers à cette politique publique et aux associations qui la mettent en place ». Signataire de ce texte, l’actrice Anna Mouglalis explique cette action collective dont elle est l’une des porte-parole.

Pourquoi cette initiative, au moment où le Festival de Cannes débute ?
Nous voulions nous exprimer à ce moment-là pour rappeler que les violences sexistes et sexuelles sont systémiques. Elles traversent toute la société, pas uniquement le cinéma ou le milieu politique, et chaque femme peut y être confrontée. Depuis sept ans, une question revient sans cesse : assiste-t-on enfin au #Metoo français ? Comme si on ne voyait pas la foule d’affaires et de plaintes déjà portées par de si nombreuses personnes… Quel déni colossal ! L’espace médiatique français traite ces affaires de manière séparée, par secteur : le #MeToo Cinéma, le #MeToo Sport, le #MeToo Inceste, le #MeToo politique… Séparer, c’est isoler les victimes. Nous voulons dire que nous sommes unies et solidaires les unes des autres.

En 2022, le taux de classement sans suite des plaintes pour violences sexuelles était de 94 %.

La France est en retard par rapport aux autres pays ?
Sur le viol, la loi française est la plus répressive d’Europe, avec quinze à vingt ans de prison. Mais les agresseurs sont rarement condamnés. En 2022, le taux de classement sans suite des plaintes pour violences sexuelles était de 94 %. Le taux de condamnations était de 1 %. On a donc d’un côté une impunité terrible des agresseurs, et de l’autre, l’impuissance douloureuse des victimes.

Globalement, sur le traitement des violences sexistes et sexuelles, la France est très en retard. Notre pays a ratifié la convention d’Istanbul du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre les violences à l’égard des femmes, mais ne la respecte pas. La France a été épinglée par l’Onu, et a été plusieurs fois condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme. Ainsi, beaucoup de femmes décident de porter leurs affaires devant la juridiction européenne à la suite de jugements aberrants de la justice française.

Pourquoi demander une « loi intégrale » ?
Depuis le « procès du viol » porté par Gisèle Halimi en 1978 [qui contribua à faire prendre conscience de sa gravité, NDLR], les pouvoirs publics français n’ont pas mis en place un vrai plan de lutte global contre les violences sexuelles. Pour faire face au problème de la sécurité routière, on a instauré tout un tas de mesures et d’obligations, à la fois préventives et répressives : limitation de la vitesse, obligation du port de la ceinture sous peine d’amende, permis puis permis à points… Sur les violences sexistes et sexuelles, on se borne surtout à encourager les victimes à parler. On répète qu’il faut prendre en compte leur parole, et libérer leur écoute. Mais, en fait, les victimes n’ont pas besoin d’un confessionnal, elles ont besoin d’actes ! Si on vous écoute, si on vous croit, mais que la justice ne suit pas… L’impunité perdure.

Une loi plus précise permettrait aussi de minimiser le caractère aléatoire des décisions des juges.

Concrètement, comment faire baisser le taux de classements sans suite des plaintes pour violences sexuelles ?
Il faut d’abord retravailler la définition du viol et du consentement. On lie encore le viol à la sexualité. Or le viol ne relève pas de la sexualité, il est une violence commise à travers le sexe. Se demande-t-on, pour d’autres crimes comme le meurtre, si la victime était consentante ? Une loi plus précise permettrait aussi de minimiser le caractère aléatoire des décisions des juges. Certains juges d’instruction décident de classer une plainte, quand d’autres auraient fait le choix inverse. Certains agresseurs condamnés en première instance se retrouvent acquittés en appel. Ce n’est plus acceptable. L’une des pistes est aussi de mieux prendre en compte les travaux de la traumatologie, qui peuvent aider à prouver les violences commises. C’est le nerf de la guerre, car les agressions et les viols sont le plus souvent commis sans témoin.

Pensez-vous pouvoir compter sur des relais politiques suffisants, pour faire aboutir cette loi ?
Le personnel politique, majoritairement, est encore dans le déni. Il n’y a qu’à penser aux premières déclarations du président de la République sur l’affaire Gérard Depardieu. On ne peut pas dire qu’un homme accusé de crimes fait la fierté de la France ! Mais la société civile, elle, commence à comprendre l’ampleur du défi, comme le montre une enquête Ifop récente. Près de 80 % des Français disent éprouver de l’empathie pour les femmes qui dénoncent les violences sexuelles commises par des hommes de pouvoir. À la Fondation des femmes, des juristes sont en train de travailler sur plus de quatre-vingts mesures. J’espère qu’elles donneront naissance à une loi. Ce n’est pas une utopie, c’est possible !

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