Géosciences

La fonte des glaces perturbe la mesure du temps

En modifiant la répartition des masses à la surface du globe, la fonte des glaces liée au réchauffement climatique influe sur la vitesse de rotation de la Terre, un élément clé dans le système international de mesure du temps.

POUR LA SCIENCE N° 559
Temps UTC fonte des glaces rotation de la Terre

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Depuis des époques lointaines, les humains utilisent le mouvement du Soleil et de la Lune pour mesurer le temps qui passe et pour se repérer à la surface de la planète. La durée d’un jour est ainsi définie par le temps que la Terre met à réaliser un tour sur elle-même. La limite de cette convention est que la vitesse de rotation de la planète varie selon de nombreux facteurs. L’un d’eux est particulièrement inattendu : le réchauffement climatique, comme le souligne Duncan Agnew, de l’université de Californie à San Diego.

Pendant une partie du XXe siècle, la référence a été le temps moyen de Greenwich (GMT) qui était défini comme l’heure solaire moyenne au méridien de Greenwich, au Royaume-Uni. Elle a été remplacée par le temps universel (TU) qui s’appuie sur l’observation de quasars, des galaxies très éloignées et très lumineuses. La précision, de 4 millisecondes, est bien supérieure aux données reposant sur le Soleil. Mais l’inconvénient du TU est que la rotation de la Terre n’est pas régulière.

Les progrès techniques et les besoins de précision toujours plus importants ont conduit, en 1967, les spécialistes à définir, lors de la 13e Conférence générale des poids et des mesures, la seconde comme la durée de 9 192 631 770 périodes du rayonnement correspondant à la transition entre les deux niveaux hyperfins de l’état fondamental de l’atome de césium 133. Cela a ouvert la voie à un suivi du temps grâce à 450 horloges atomiques, réparties dans 80 laboratoires, et la définition du temps atomique international (TAI) disséminée dans le monde entier depuis ces laboratoires. Cette référence est d’une extrême stabilité et satisfait aux exigences accrues en matière de précision des systèmes modernes : les infrastructures de télécommunication, les marchés financiers ou encore le positionnement global (GPS). Mais elle est totalement artificielle dans la mesure où elle est déconnectée de la rotation de la Terre.

Le compromis entre le TU et le TAI est le temps universel coordonné (UTC). Il est adossé à la référence atomique et bénéficie de sa régularité. Mais il a été décidé, pour conserver l’ancrage astronomique, de lui imposer d’être toujours à moins d’une seconde du TU. Et pour cela, le mécanisme d’ajustement consiste à ajouter ou supprimer une seconde intercalaire à la fin de la dernière minute du dernier jour du mois précédant le 1er juillet ou le 1er janvier. La dernière seconde intercalaire ajoutée remonte au 31 décembre 2016. En 1972, année de la mise en place du système UTC, un décalage de 10 secondes avait été appliqué par rapport au temps atomique universel. Depuis, 27 autres secondes ont été ajoutées progressivement. Il y a aujourd’hui un décalage de 37 secondes entre l’UTC et le TAI.

L’implémentation des secondes intercalaires pose de nombreux problèmes techniques, avec des systèmes informatiques qui ne prennent pas toujours en compte cette éventualité. Pour mieux anticiper le besoin de ces correctifs, Duncan Agnew a passé en revue les sources de variation de la vitesse de rotation de la Terre. Trois processus géophysiques dominent. Les frottements entre l’eau des océans et les fonds marins, liés aux forces de marée de la Lune et du Soleil, ralentissent la révolution terrestre. Ensuite, la masse des calottes de glace formées pendant la dernière période glaciaire tendait à aplatir la forme de la Terre. Depuis la fin de cette période, la fonte de ces calottes qui reposait sur les continents (Canada, Scandinavie) a entraîné un « rebond postglaciaire » : la planète a retrouvé une forme plus sphérique, ce qui accélère sa rotation. Enfin, les interactions entre le noyau liquide et le manteau contribuent aussi à faire varier la vitesse de rotation. Les contributions individuelles sont difficiles à évaluer, en particulier pour le noyau.

Cependant, l’effet global de ces processus peut être estimé en analysant des mesures prises par satellite du champ gravitationnel terrestre (qui tracent la distribution de la masse du globe). Dans son étude, Duncan Agnew a montré que la tendance globale était à un ralentissement de la rotation depuis 1972, ce qui a conduit à ajouter des secondes intercalaires. Mais ce ralentissement semble s’effacer. La dynamique du noyau réaccélère la rotation. D’après les projections du chercheur, il faudra soustraire une seconde à l’UTC dès 2026.

Cependant, Duncan Agnew a aussi souligné qu’il faut compléter cette analyse en prenant en compte un phénomène récent : la fonte des glaces du Groenland et de l’Antarctique, due au réchauffement climatique. Le transfert d’eau des hautes latitudes vers l’ensemble du globe avec la hausse du niveau des océans ralentit la rotation. La nécessité de soustraire une seconde pourrait donc être retardée de quelques années : autour de 2029, selon les modèles climatiques.

Jusqu’à présent, il n’avait été nécessaire que d’ajouter des secondes intercalaires. Et cela était déjà un problème pour de nombreux systèmes informatiques. Retrancher une seconde, une situation qui n’a jamais été testée, risque d’être encore plus problématique. Depuis une vingtaine d’années, certains plaident pour la suppression des secondes intercalaires et pour ne reposer que sur le TAI. En 2022, la Conférence générale des poids et des mesures a adopté une solution intermédiaire qui augmente l’écart toléré entre l’UTC et le TU. Si cet écart est fixé à une minute, un ajustement avec une minute intercalaire ne serait alors pas nécessaire avant au moins cent ans !

La fonte des glaces perturbe la mesure du temps

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Sean Bailly

Sean Bailly est rédacteur et responsable des actualités à Pour la Science.

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Références

D. C. Agnew, A global timekeeping problem postponed by global warming, Nature, 2024.

J. Levine et al., Towards a consensus on a continuous coordinated universal time, Metrologia, 2022.

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