Messe de clôture de l'assemblée plénière d'automne des évêques de France à Lourdes, le 10 novembre 2024. ©AFP - Laurent Ferriere / Hans Lucas
Messe de clôture de l'assemblée plénière d'automne des évêques de France à Lourdes, le 10 novembre 2024. ©AFP - Laurent Ferriere / Hans Lucas
Messe de clôture de l'assemblée plénière d'automne des évêques de France à Lourdes, le 10 novembre 2024. ©AFP - Laurent Ferriere / Hans Lucas
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Après avoir reçu des signalements dénonçant des abus sexuels de la part de prêtres de leur diocèse, au moins 18 évêques n'ont pas apporté la réponse attendue par les victimes, selon l'enquête publiée par France Inter ce vendredi, à quelques jours de l'assemblée plénière des évêques de France.

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Comment les évêques actuellement en poste en France accueillent-ils la parole des victimes d'abus sexuels dans l'Église ? Pour comprendre la manière dont chacun prend en compte les alertes qui remontent, accueille les témoignages ou accompagne les victimes, France Inter s’est plongé dans les affaires recensées dans chaque diocèse de France et a retracé le parcours de chaque évêque. De la maladresse, à la rétention d’informations, en passant par l’inertie, on découvre que des victimes sont parfois malmenées lors d’entretiens à l’évêché, que certains évêques ne leur répondent jamais, mais aussi que d’autres vont les dissuader de porter plainte, voire laissent en place des prêtres pour lesquels des signalements ont pourtant été faits. Sur la centaine d'évêques en poste actuellement, 18 ont commis des manquements, n'ont pas appliqué ces dernières années la doctrine d'alerte et de transparence dans ces affaires.

Face aux accusations, certains d'entre eux font amende honorable, d'autres évoquent des faits datant d'avant le rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Église (Ciase), d'autres encore répondent à côté ou ne répondent pas du tout. "Nous sommes clairement engagés pour faire en sorte que l'Église soit une maison sûre pour tous", indique de son côté Éric de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des évêques de France. "Un certain nombre de mesures ont été prises et un certain nombre de processus définis et nous les mettons en œuvre. Nous sommes vraiment engagés dans ce chemin de transformation", assure-t-il, appelant son successeur à incarner la lutte contre les abus sexuels. Il sera nommé la semaine prochaine, lors de l'assemblée plénière à Lourdes.

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1. L'évêque d'Autun accusé de "couvrir" des religieux

"Nous prenons note qu'il n’y a rien à attendre de vous" lâche par écrit Julien* à l’évêque d’Autun, Chalon-sur-Saône et Mâcon, dans un courrier envoyé en janvier 2024. Violé et abusé par un frère de la communauté Saint-Jean, le jeune homme a mis vingt ans à obtenir le renvoi de son agresseur. Il n’a jamais réussi à rencontrer Benoît Rivière, qui a préféré annuler la veille le rendez-vous fixé pour évoquer la reconnaissance de son statut de victime, car Julien* voulait venir avec son avocate. "J'ai rencontré chaque victime qui demandait à être écoutée" nous assure l'évêque.

Trois mois plus tard, Benoît Rivière est interviewé par nos confrères de France 2, dans le cadre d'un reportage sur les abus commis sur les Sœurs apostoliques de la communauté Saint Jean. Selon une enquête interne à laquelle nous avons aussi eu accès, soixante-six d'entre elles (sur les 120 qui ont répondu au questionnaire) disent avoir subi des abus, jusqu'au viol pour certaines. Benoît Rivière explique devant la caméra qu’il "n’a pas lu dans le détail" ce rapport publié un an plus tôt, et se dit "effaré par le chiffre cité" par la journaliste. Pourtant, en tant qu’évêque d’Autun, Chalon-sur-Saône et Mâcon, il a la responsabilité directe de cette communauté. Une légèreté honteuse s'indigne Julien.

L’épisode a aussi ulcéré Rémi*. Et ce n’est pas la seule chose qu’il reproche à l’évêque : "Vous n’avez cessé de couvrir depuis votre entrée en fonction les prêtres et religieux auteurs de tels actes" lui écrit-il en avril 2024, l’appelant à démissionner. Car Rémi a fait remonter trois ans plus tôt, comme d’autres paroissiens, ses inquiétudes au sujet des agissements d’un prêtre du diocèse. La famille d’une petite fille était démunie face à de forts soupçons concernant ce prêtre ; l’évêque avait été prévenu, et avait conseillé aux parents de prendre des distances avec le prêtre. Et c'est tout. Des fidèles ont ainsi dû signaler eux-mêmes les faits à la gendarmerie en 2021, avant que la famille ne se décide à finalement porter plainte. Une enquête est en cours. Benoît Rivière nous précise que des mesures conservatoires ont été prises le 2 août 2024, avec l'interdiction pour l'abbé d'intervenir dans une institution scolaire. Selon nos informations, au moins deux autres prêtres au profil pédocriminel ont été signalés à Benoît Rivière ces dernières années, sans qu’il n’agisse. Le procureur de la République a été finalement informé par un tiers ; les deux hommes d’Église sont morts avant de ne pouvoir être inquiétés.

Par ailleurs, le protocole entre le diocèse d'Autun et le Procureur de la République n'est toujours pas signé - le rapport Sauvé de la CIASE en préconisait la généralisation. "Il a été établi en janvier 2023 entre les deux parties. A ce jour, il est toujours à la signature du procureur" nous précise Benoît Rivière, qui ajoute : "Cette absence de signature n'empêche évidemment en aucun cas les signalements requis par la loi".

2. L'évêque de Beauvais défend un prêtre finalement renvoyé pour "abus sexuels et abus de pouvoir"

C’est un dossier qui symbolise les conséquences des dysfonctionnements de l’Église en la matière. L’affaire Benoît Moulay, révélée par nos confrères de Libération, s’est conclue en 2023 par le renvoi de l’état clérical de ce prêtre pour "abus sexuels et abus de pouvoir", et en 2024 par un accord entre la communauté de l’Emmanuel (à laquelle appartenait Benoît Moulay) et deux femmes victimes de viols, qui pendant cinq ans ont mené le combat pour obtenir réparation de ce qu'elles ont subi.

Pourtant, Benoît Moulay n’aurait jamais dû devenir prêtre. En 1997, le conseil du séminaire de Nantes émet un avis négatif à l’unanimité, soulignant son "importante immaturité psycho-affective". Il est écrit qu'il "n’a ni la liberté intérieure, ni l’intention droite, ni les aptitudes requis pour exercer le ministère de prêtre diocésain, et probablement de prêtre dans quelque contexte que ce soit". Mais l’homme qui est chargé de l’accompagnement des prêtres et séminaristes de l’Emmanuel à l’époque décide d’aller à l’encontre de l’avis du séminaire. Jacques Benoit-Gonnin, aujourd’hui évêque de Beauvais, met, lui, en avant "sa solide maturité humaine". Le séminaire réitère l’année suivante sa réserve : "Il y aurait danger à le laisser s’engager dans cette voie". Jacques Benoit-Gonnin défend malgré tout le religieux. Benoît Moulay est ordonné prêtre en juin 1998 dans le diocèse du Mans. "Si j'ai eu connaissance de l'avis défavorable des responsables du séminaire, je n'ai pas eu connaissance à l'époque de l'avis écrit et motivés des pères du séminaire" justifie aujourd'hui Jacques Benoit-Gonnin. Précisons que cette position est contredite par une lettre d’avril 1997 écrite au supérieur du séminaire de Nantes par l’administrateur diocésain, qui lui dit avoir fait part de sa réserve à l’ordination de Benoît Moulay au père Benoit-Gonnin.

3. L'évêque d'Annecy accusé d'inaction lorsqu'il était au Mans

En 2008, Yves Le Saux - qui vient lui aussi de la communauté de l’Emmanuel - est nommé évêque du Mans. Il va recevoir de multiples alertes sur Benoît Moulay, en 2009, en 2015, en 2019. Y compris par un médecin psychiatre. L’évêque ne va pas les écouter. Deux femmes ont donc fini par porter l’affaire devant la justice civile pour dénoncer les viols qu’elles ont subis. L’affaire sera classée sans suite en 2020 car la contrainte n’a pas été caractérisée, mais l’enquête canonique aboutit, elle, à un procès puis au renvoi de l’état clérical de Benoît Moulay. Il s’est donc passé 26 ans entre la première alerte et la sanction canonique. "Jusqu'à la date de dépôt de plainte par deux femmes en 2019, je n'ai pas eu connaissance de signalements sur Benoît Moulay relatifs à son attitude vis-à-vis des femmes. Immédiatement après ces plaintes, il a été suspendu de son ministère" nous soutient Yves Le Saux.

Ce n'est pas la seule fois où Yves Le Saux laissera passer des alertes. En 2010, un couple de paroissiens en colère le rencontre. Ils préviennent : plus question que le père M. approche leur jeune fils, son comportement est "inadapté" avec les enfants. L'évêque en convient. Dix jours plus tard, les parents constatent que le prêtre est en train de confesser des enfants. L'homme sera condamné en 2021 à trois ans de prison pour des agressions sexuelles sur six adolescents. Aujourd'hui, Yves Le Saux tient à préciser que suite à un signalement, il a initié des investigations (enquête interne et expertise psychiatrique) qui n'ont pas apporté d'éléments concluants.

4. L'évêque de Bayonne accusé d'avoir minimisé les faits reprochés à des prêtres

En 2017, Mediapart publie une vaste enquête sur les évêques - en poste, émérites ou morts - ayant couvert des abus sexuels. Marc Aillet est cité, notamment dans l'affaire d'un prêtre condamné pour atteinte sexuelle sur mineurs à six mois de prison avec sursis en 2018. Marc Aillet avait été alerté en 2009 par une famille, après que le prêtre aurait agressé une autre mineure. "La victime n’était pas prête à entreprendre une action en justice", explique-t-il dans une lettre aux catholiques du diocèse le 27 avril 2016. La mère de famille finira par porter plainte en 2015.

Plus récemment, l’affaire d’un prêtre de l’agglomération de Pau, condamné en février 2024, a révélé qu’il s’était écoulé huit ans entre l’alerte d’une famille à l’évêché et la saisine de la justice. Marc Aillet nous assure qu'il n'a été prévenu qu'en 2018 et a saisi immédiatement la procureure de la République, ce que contestait l'avocat du prêtre chez nos confrères d'"ici Béarn" au moment de son renvoi devant le tribunal correctionnel.

Enfin, toujours dans le diocèse de Bayonne, l’affaire est plus ancienne, mais témoigne de l’absence de principe de précaution. En 2001, un prêtre du diocèse est condamné à 18 mois de prison avec sursis pour agression sexuelle sur une fillette de cinq ans, avec l’interdiction d’exercer une activité auprès de mineurs pendant cinq ans. Il est ensuite réintégré en paroisse, sans aucune mesure restrictive. En avril 2011, un fidèle rappelle à l'évêque de Bayonne, Marc Aillet, le passé du prêtre et se scandalise de sa réintégration sans précaution. Marc Aillet lui répond cinq jours plus tard d’une phrase lapidaire : "J’ai bien pris note de vos réflexions, je prie pour vous." Sans suite. Le curé restera en poste jusqu’à sa retraite. "Aucune plainte pour un fait nouveau depuis cette condamnation n’a été portée à ma connaissance", nous précise Marc Aillet, qui ajoute que depuis la promulgation en 2022 de la charte de protection des mineurs et des personnes vulnérables, "tous les prêtres en charge pastorale dans le diocèse ont été invités à présenter leur casier judiciaire".

5. L'archevêque de Rennes mis en cause pour ne pas avoir saisi la justice

Dans le diocèse de Rennes, lors du procès de Gaël Carissan, condamné à cinq ans de prison en 2019, l’archevêque Pierre d’Ornellas, cité comme témoin, le concède : "Je n’ai pas fait tout ce qu’il fallait." L’enquête judiciaire a révélé qu’il avait été saisi en 2008 par un prêtre des agissements de l'abbé - qui s’étalent sur plusieurs années. Pierre d’Ornellas lui interdit cette année-là d’exercer tout ministère auprès des jeunes et des mineurs et l’éloigne, mais ne saisit pas la justice. C’est la victime qui finit par s’en charger deux ans plus tard, voyant que l’Église n’en fera pas plus.

Par ailleurs, selon nos informations, l’évêché de Rennes peut répondre de façon assez surprenante aux représentants de victimes qui souhaitent faire valoir leurs droits et écrivent à l’évêché. Certains ont reçu un mail indiquant : "Vous évoquez des faits prescrits. Je vous prie de ne plus importuner le prêtre, qui de toute façon contredit les propos de la victime. Je vous rappelle que c’est parole contre parole." Contacté, Pierre d'Ornellas dément formellement : "Jamais la Cellule d’écoute, mon Vicaire général ou moi-même n’avons fait de telles réponses. Nos réponses sont soigneusement archivées et aucune ne contient" ces propos. L'archevêque de Rennes met notamment en avant le protocole signé en 2022 avec le procureur de la République, et l'embauche en 2023 d'une personne "entièrement dédiée à la prévention et à la formation à la juste relation éducative". "J’ai bien conscience de tout le travail encore à accomplir face à ce fléau des abus sexuels dans l’Église. Je me suis engagé avec détermination pour l’éradiquer vraiment", conclut Pierre d'Ornellas.

6. L'évêque d'Évry accusé d'avoir voulu dissuader la victime de porter plainte

Au diocèse d’Évry Corbeil-Essonnes, une victime (majeure) d’abus spirituels à des fins sexuelles raconte avoir voulu saisir son diocèse en 2021 pour éviter d’autres victimes. Après un entretien très positif avec le vicaire général, elle est reçue - avec son mari - par l’évêque Michel Pansard pour échanger au sujet de la procédure canonique. Et l’accueil n’est plus du tout le même. La paroissienne décrit un manque cruel de compassion, des ricanements de la part du psychologue présent à cet entretien. "C'est vous qui avez un trouble", lui suggère l'évêque. Cette paroissienne raconte aussi que Michel Pansard veut surtout savoir si elle compte saisir la justice civile. "Le psychologue nous précise qu’il n’y a aucune chance que la plainte aboutisse, que c’est peine perdue !" En septembre dernier, le prêtre a fini par être muté dans le diocèse de Nantes, "pour s'occuper de ses parents âgés", a-t-on fait savoir dans son ancienne paroisse. Michel Pansard dément formellement avoir tenté de dissuader la victime de porter plainte, et rappelle que les enquêtes canoniques et judiciaires ont été classées.

7. L'évêque d'Aix-en-Provence accusé de ne pas avoir écarté un prêtre signalé

Dans le diocèse d’Aix-et-Arles, c’est un nom qui fait tiquer ceux qui y sont installés depuis plusieurs années et impliqués dans la vie de l’Église. Celui d'un prêtre qui travaille directement au contact de jeunes ; il est encore inscrit dans les nominations de 2024, signées de la main de l'évêque Christian Delarbre. Le nom du père P. était remonté à de multiples reprises dix ans plus tôt, à tel point qu’une enquête préliminaire avait été ouverte avant d’être classée sans suite, pour une raison que plusieurs fidèles ne s’expliquent toujours pas. Car à l'époque, les témoignages de prêtres, de paroissiens, de proches du diocèse sont arrivés à l'évêché ; balayés par l’évêque de l’époque, Mgr Dufour.

Christian Delarbre, lui, est arrivé en 2022, mais la cellule d’écoute de son diocèse a bien été sollicitée à l’été 2023 par la présidente de l'association Ecclésia Johannis, une association d’aide aux victimes d’abus dans l’Église, inquiète du cas de ce prêtre qui exerce au quotidien auprès de mineurs. Elle n’a pas obtenu de réponse sur ce cas précis, et un mail de la cellule d'écoute se conclut sous forme de menace : "Il est rappelé que toute allégation ayant le caractère d'une diffamation publique ou privée (...) est susceptible de poursuites et d'engagement de votre responsabilité pénale." Christian Delarbre n'a pas répondu à nos sollicitations.

8, 9. Les évêques de Montpellier et Cahors mis en cause pour ne pas avoir pris la mesure des faits

Mickaël fait partie de ceux à qui l’Église a tenté de proposer un autre chemin que la justice des hommes. Mineur, il a été abusé sexuellement par un prêtre pendant quatre ans. L’homme d’Église a été condamné en 2013 à deux ans de prison avec sursis, à l’issue d’un procès à huis clos. Comme le révélaient Médiacités et France 3 Occitanie, Mickaël nous confirme que c’est Norbert Turini, ancien évêque de Cahors et aujourd’hui à la tête du diocèse de Montpellier, qui, après avoir tenté une médiation religieuse entre le jeune homme et son agresseur plutôt qu’une procédure judiciaire, l’a convaincu de ne pas laisser les débats ouverts au public. Contacté, Norbert Turini dément : "J'ai immédiatement signalé les faits au Procureur."

Mickaël poursuit sa vie, puis, au moment de la publication du rapport de la Ciase (Commission indépendante sur les abus sexuels au sein de l'Église) en octobre 2021, repense à son histoire. Et découvre que le prêtre est toujours en fonction, dans une paroisse du Lot. Il écrit à Laurent Camiade, nouvel évêque de Cahors, pour lui faire part de sa stupéfaction. La réaction de l’évêque (une semaine après la publication du rapport de la Ciase) est claire : "Faut-il stigmatiser un individu, déjà reconnu coupable par la justice et qui en porte le poids ? Je ne le pense pas." Il précise que le prêtre n’a pas de ministère auprès des mineurs, "même s’il célèbre une messe paroissiale où des jeunes (parfois) sont présents". Mickaël a finalement pris la parole dans la presse en 2023 pour alerter lui-même les paroissiens de cette commune du Lot. Selon l’annuaire diocésain du Lot, le prêtre en question est aujourd’hui dans un service d’archives de l’Église. "Avec cette médiatisation, il n'était plus possible qu'il poursuive un ministère en paroisse quand bien même il n'a pas été considéré par la justice comme présentant un danger" nous signale Laurent Camiade.

10. L'évêque de Belley-Ars montré du doigt pour avoir gardé le silence

À 500 kilomètres du Lot, dans l’Ain, un prêtre a pu retrouver ses ministères après avoir été suspendu plusieurs années. Il a été acquitté en mai 2023 par la justice canonique qui avait enquêté suite au témoignage de deux femmes sur une emprise longue de plusieurs années, avec des agressions sexuelles pour l’une, et des viols pour l’autre. Mais ce prêtre reste aujourd'hui visé par une information judiciaire. Car Amelle*, après un premier classement sans suite, a décidé de se constituer partie civile. Pour elle, l’emprise a duré 19 ans, jusqu’à son hospitalisation pour grande détresse psychologique et physique, qui la pousse à se confier.

Amelle a prévenu son évêque, Pascal Roland de sa nouvelle plainte. Elle lui avait aussi demandé un rendez-vous pour se faire expliquer le jugement canonique. Aucune réponse. “Je lui ai écrit plusieurs fois pour lui parler de mon cas, et je n’ai jamais vu Pascal Roland de ma vie”. Mais ce qu’Amelle reproche le plus à l’évêque, hormis son silence, c’est de ne pas avoir écouté la deuxième victime de ce prêtre. Cette deuxième victime, c’est Carine*. Et il se trouve que les deux femmes sont sœurs, mais se sont éloignées ; elles ne connaissent pas leur situation respective. En réussissant à se sortir de l’emprise, Carine a commencé à avoir peur pour sa sœur, et s’est confiée à l’évêque en 2014. Pascal Roland promet de s’en occuper. Rien se passera jusqu’en 2019, quand Carine, qui chemine sur son histoire, revient le voir. Le prêtre est finalement suspendu. Amelle est hospitalisée quelques semaines plus tard : “S’il avait écouté ma sœur en 2014, pour moi les abus auraient cessé cinq ans plus tôt.” Le diocèse précise que Pascal Roland "a fait un signalement au Procureur et initié un procès canonique", que les deux instances ont classé l'affaire "faute de preuves jusqu'à présent" et que la Procureure de la République "n'a pas jugé bon d'imposer de restrictions particulières jusqu'à nouvel avis".

11, 12, 13. Les évêques d'Aire-et-Dax, de Grenoble-Vienne et d'Orléans accusés de ne pas avoir donné suite aux alertes

Des alertes, et puis rien. C’est ce qu’il s’est passé dans le cas de l’abbé Olivier de Scitivaux, comme France Inter le relevait en novembre dans une enquête sur le diocèse d’Orléans. Une religieuse avait alerté Nicolas Souchu, alors vicaire général (sorte d’adjoint de l’évêque) du diocèse d’Orléans - et aujourd’hui évêque d’Aire-et-Dax, sur le comportement du prêtre envers les enfants. Puis en 2012, elle en reparle à l’évêque Jacques Blaquart. Dans le même temps, une catéchiste aussi met en garde sur ce prêtre les vicaires généraux (Nicolas Souchu mais aussi Jean-Marc Eychenne, aujourd’hui évêque de Grenoble) et les évêques successifs. La justice ne sera saisie qu’en 2016. Olivier de Scitivaux a été condamné à 17 ans de prison en 2024. Lors du procès, Jacques Blaquart le reconnaît : "C’est terrible à dire, mais j’étais moi-même dans cette chape de silence qui pesait alors sur l’Église. Je demande pardon aux victimes d’avoir tardé à agir." Quant à Nicolas Souchu, il a dit à la barre, cité lui aussi comme témoin, ne pas se souvenir avoir reçu des alertes.

Jean-Marc Eychenne reconnaît aujourd'hui sans fard "une erreur, un manque de discernement", et précise que les premiers signalements qui lui sont remontés sur Olivier de Scitivaux ne portaient pas sur des faits précis. "Ce dont on a pris mieux conscience depuis est qu'une accumulation de signaux faibles finit par constituer un signal fort devant nous pousser à une extrême vigilance. Là aussi, nous avons manqué de discernement (...) et on ne peut que s'en vouloir" admet l'évêque de Grenoble. Jacques Blaquart, évêque d'Orléans, évoque lui son chemin de prise conscience de la réalité des actes pédophiles dans l'Eglise : "Avec le recul de plusieurs années, je réagirais bien en amont aujourd'hui car (...) nous avons appris à identifier les signes d'alerte". Dans le diocèse d'Orléans, où l'ancien évêque André Fort a été condamné en 2018 pour dénonciation d'agressions sexuelles, de multiples actions ont été mises en place pour prévenir et signaler les abus. Nicolas Souchu, quant à lui, n'a pas répondu à nos questions.

14. L'évêque d'Angers accusé d'inertie

Nombreuses sont les victimes, qui, après des années de silence, par pudeur, par honte ou suite à une amnésie traumatique, se sont d’abord tournées vers l’Église pour se faire connaître et reconnaître. Et qui ont dû faire face au silence de l’évêché. En 2014, Isabelle décide de confier l’histoire de son agression par un prêtre, qui s’est déroulée quand elle avait une dizaine d’années. Ce prêtre est alors toujours en exercice, et Isabelle s’en inquiète auprès de l’évêque d’Angers, Emmanuel Delmas. Il ne se passera rien pendant huit ans (parce que la victime est majeure et qu'à l'époque l'usage était de ne pas se substituer à elle dans les démarches judiciaires nous explique l'évêque), mais la remise du rapport de la Ciase pousse Isabelle à revenir sur son histoire, demander une enquête canonique, saisir la justice en 2022 (sa plainte est classée pour prescription). Isabelle va devoir relancer à plusieurs reprises l'évêque pour comprendre où en son dossier, ce qu'il advient de son agresseur. D'autant qu'un catholique de la paroisse de son agresseur fait remonter un comportement étrange à l'automne dernier, et découvre que le passé du père M.. Alors en janvier dernier, Isabelle écrit de nouveau à l’évêque : "Vouloir garder la main et donc le pouvoir, seuls, sur ces questions, en tentant d’isoler les personnes, en ne partageant pas les informations et en restant dans le silence et l’inertie n’est certainement pas une approche adaptée ni courageuse." L'Angevine a obtenu une réponse il y a quelques jours. Emmanuel Delmas nous fait savoir que des mesures conservatoires de restriction des ministères ont été prises.

15. L'évêque auxiliaire de Lyon accusé de ne pas avoir pris conscience de la gravité des faits

En enquêtant, nous avons également retrouvé deux noms familiers qui apparaissaient déjà dans l’affaire Bernard Preynat, ce prêtre lyonnais condamné en 2020 pour agressions sexuelles sur une vingtaine de victimes entre 1972 et 1991. C'est le cas de Thierry Brac de la Perrière aujourd’hui évêque auxiliaire de Lyon (où il est retourné après avoir été évêque de Nevers). En 2019, au moment de ce que l’on a retenu comme "l’affaire Barbarin", celui qui fut évêque auxiliaire de Lyon une première fois entre 2003 et 2011, a comparu aux côtés du cardinal pour non-dénonciation. Il avait rencontré l’une des victimes de Preynat en 2011, sans faire remonter l’information. "L’infraction est donc constituée mais il convient de constater la prescription de l’action publique" tranche la justice. On peut également lire dans le jugement : "Une enquête aurait pu être ordonnée en 2011 (…) Plusieurs victimes auraient ainsi pu se manifester plus tôt sans risque pour elles de se voir opposer la prescription des faits subis." Thierry Brac de la Perrière reconnaît aujourd'hui que cet épisode l'a "fragilisé" dans son ministère épiscopal, mais met en avant le chemin parcouru, notamment depuis la publication du rapport de la Ciase, et le travail de prise de conscience sur ces sujets ces dernières années.

16. L'évêque de Nancy n'est "pas allé plus loin pour chercher" ce qui est reproché au père Preynat

Pierre-Yves Michel, lui, est désormais évêque de Nancy mais il fut vicaire de Sainte-Foy-lès-Lyon où officia un temps Bernard Preynat (Pierre-Yves Michel est arrivé plusieurs années après le départ de Preynat). Lors du procès, il n’a pas été cité à comparaître, mais devant les enquêteurs qui l’interrogent en février 2017, l’évêque, tout en restant flou, a confirmé avoir expliqué en 2016 à l’une des victimes qu’il avait entendu parler de "problèmes avec des enfants" quand il était en charge de la paroisse de Sainte Foy-lès-Lyon entre 1995 et 2001, puis qu’il avait été décidé avec le cardinal Barbarin vers 2010-2012 d’interdire à Preynat de rester seul avec des enfants de moins de 15 ans après des rumeurs. La première plainte contre le prêtre lyonnais n’intervient qu’en 2015 (en réaction à l’inaction de l’Église). "Rétrospectivement, je comprends que cela soit étonnant qu'on ne soit pas allé plus loin pour chercher", concède l'évêque. "Aujourd'hui, on relit les choses différemment à la lumière de tout ce que l'on sait désormais."

17. L'archevêque de Sens-Auxerre pointé du doigt pour la réintégration d'un prêtre

Dans une brochure publiée dans la collection Tracts de Gallimard en 2023, "Abus sexuels dans l’Église catholique. Des scandales aux réformes", Pascal Wintzer, aujourd’hui évêque de Sens-Auxerre, s’interroge : "Qu’avons-nous à perdre si ce n’est du pouvoir ! Qu’aurions-nous à gagner ? Un meilleur service des frères et de Dieu. Pour moi, le choix est vite fait !". Mais en janvier 2025, sur la plateforme X, Natalia Trouiller raconte - documents à l’appui - la réintégration d’un prêtre excommunié pour pédocriminalité. Les faits qui sont reprochés à ce prêtre remontent à 2014. L’enquête civile sera classée sans suite pour prescription, même si les faits dénoncés "constituent bien une infraction", explique l’avis de classement à victime. Cette enquête permettra aussi de découvrir une deuxième victime, majeure, elle. Le religieux est en revanche condamné - excommunié donc - par la justice canonique. Il est réintégré fin 2024, et concélèbre la messe d’installation de Pascal Wintzer. Il faudra une longue bataille d’arguments de droit canon, et les avis du tribunal pénal canonique national et du dicastère pour la doctrine de la foi, pour que l’évêque finisse par renoncer à la réintégration du prêtre. Pascal Wintzer a été nommé évêque de Sens-Auxerre en octobre dernier, alors "il m'était difficile de savoir comment agir face à diverses situations", contextualise-t-il, rejetant tout refus de mettre en œuvre des sanctions.

18. L'évêque de La Rochelle mis en examen pour tentative de viol

Enfin notons que Georges Colomb, toujours inscrit en tant qu’évêque de La Rochelle sur le site de la Conférence des évêques de La Rochelle, est mis en examen, depuis novembre 2023, pour tentative de viol sur un homme majeur.

*Les prénoms ont été changés pour préserver l'anonymat des témoins

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