Pendant des années, la Turquie a soutenu les djihadistes de l’«État islamique» qui transitent par son territoire. La guerre déclarée par Ankara ne vise pas tant à éradiquer l’«EI» qu’à juguler les victoires obtenues sur le terrain par les Kurdes. D’où les attaques visant le PKK d’Abdullah Öcalan.
Soumise à de nombreuses critiques et pressions depuis plusieurs mois pour son attitude pour le moins ambiguë vis-à-vis de l’organisation de l’« État islamique » (Daech) et son refus de participer aux frappes de la coalition dirigée par les États-Unis, la Turquie vient de changer de stratégie. Prenant prétexte d’un attentat dans la ville de Suruç, où 32 jeunes militants d’une organisation de gauche venus aider à la reconstruction de Kobané (Kurdistan de Syrie) ont trouvé la mort, Ankara a décidé de lancer des raids aériens sur les positions djihadistes. Dans le même temps était annoncée la signature d’un accord entre la Turquie et les États-Unis – tous deux membres de l’Otan pratiquement depuis sa création –, permettant aux avions américains d’utiliser les bases turques.
Un timing impeccable. On pourrait qualifier ainsi ce qui s’est passé en Turquie en moins d’une semaine. Quatre jours après l’attentat-suicide meurtrier attribué à l’« État islamique » (« EI ») qui a visé des militants turcs de la Fédération des associations des jeunes socialistes (marxistes) venus dans la ville frontalière de Suruç (sud) et qui comptaient se rendre à Kobané (Kurdistan de Syrie), des chasseurs F-16 de l’armée de l’air turque ont bombardé des cibles de l’organisation djihadiste en territoire syrien. Immédiatement après, le premier ministre, Ahmet Davutoglu, prenait l’air martial. « L’opération menée contre l’“EI” a rempli son objectif et ne s’arrêtera pas », affirmait-il devant la presse. « Ce qui s’est passé depuis quelques jours montre que la situation n’est plus sous contrôle, renchérissait le président et homme fort du pays, Recep Tayyip Erdogan, ce n’est pas une opération d’une nuit, elle continuera avec détermination. » Un vocabulaire intéressant quand on y songe. « La situation n’est plus sous contrôle. » Elle l’était donc. Or, ladite situation se matérialisait ainsi : passage de milliers de recrues venus remplir les rangs de l’« État islamique » en Syrie alors que tous les soutiens à Kobané étaient bloqués, transit quasi officiel d’armes, de munitions et de matériels lourds, y compris à l’aide de train, et enfin pactisation de l’armée turque avec les éléments de Daech (l’acronyme arabe de l’« EI »). Un contrôle « made in Erdogan », en quelque sorte.
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