Transparence fiscale, lutte contre la délinquance financière : des sujets incontournables ces dernières années. Et incontournables aussi cette semaine, marquée par le procès de l’ancien ministre du Budget, Jérôme Cahuzac, pour fraude fiscale et blanchiment et l’anniversaire de SwissLeaks qui, l’an dernier,  a mis en lumièrela vaste opération de fraude fiscale de HSBC. Mais depuis ces scandales, qu'est-ce qui a vraiment changé ? 

C’était le 10 avril 2013. À la suite de l’affaire Cahuzac, dont le procès pour blanchiment et fraude fiscale s’est ouvert le 8 février, le président de la République annonçait une série de mesures destinées à renforcer la transparence de la vie publique, lutter contre la délinquance économique et financière et mobiliser contre les paradis fiscaux. 
Depuis lors, des lois ont été votées. D’autres sont attendues, comme le projet de loi dit Sapin 2 sur la transparence de la vie économique, qui sera discuté à partir du 23 mars à l’Assemblée nationale. Bilan des premières mesures. 

La lutte contre la délinquance économique et financière renforcée



En 2013, François Hollande décide de la création d’un parquet financier. De fait, la loi organique du 6 décembre 2013, relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, instaure un procureur national financier. Celui-ci dispose de pouvoirs spécifiques sur les affaires de corruption et de fraude fiscale et peut agir sur l’ensemble du territoire. Encore faut-il réellement "donner au procureur national financier tous les moyens (effectifs de magistrats, experts, greffiers, officiers de police judiciaire…) de remplir sa mission et lui permettre d’accélérer les procédures", estime Transparency International.
Et si la Plateforme paradis fiscaux et judiciaires, qui regroupe une vingtaine d’organisations (ONG et syndicats), salue bien la création de ce parquet spécialisé, la coalition déplore que le ministre du Budget ait toujours le monopole en matière d’ouverture de poursuites pénales. Disposition unique au monde, le "verrou de Bercy" résulte d’une loi du 29 décembre 1977.
En plus du nouveau parquet, un Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales a également été créé par un décret du 25 octobre 2013. Destiné à intervenir dans les affaires d’une "grande complexité", il regroupe des moyens existants et bénéficie de compétences diverses et complémentaires telles que des policiers, des agents fiscaux, etc. Mais là encore Transparency International souligne que les ambitions de moyens ont déjà été revues à la baisse. Le nombre de fonctionnaires devait être multiplié par deux et atteindre 90 agents ; il a été réduit à 80.

Plus d’outils… mais moins d’effectifs



Parmi les autres avancées de la loi du 6 décembre 2013, le droit pour les associations agréées de lutte anti-corruption d’exercer une action en justice, la protection des lanceurs d’alerte signalant des crimes ou délits dans les secteurs public et privé ou encore l’augmentation du montant des amendes et des peines encourues par les personnes physiques en cas de condamnation pour corruption ou autre délit connexe. Mais la Plateforme paradis fiscaux et judicaires (PPFJ) déplore qu’il n’y ait toujours pas d’inclusion des intermédiaires financiers comme les banques ou les cabinets de conseil dans les sanctions applicables aux personnes morales ou dans les incriminations d’enrichissement illicite. 
En matière de lutte contre la fraude fiscale, les enquêteurs disposent d’outils supplémentaires, comme les écoutes, la surveillance, les infiltrations ou les gardes à vue. Mais les effectifs de l’administration fiscale ont été réduits : plus de 3 000 emplois dans les services du contrôle fiscal de la direction générale des finances publiques ont été supprimés depuis 2010.
Pour renforcer l’indépendance et l’efficacité de la justice sur ces questions, Transparency International demande notamment une réforme de la nomination des magistrats du Conseil supérieur de la magistrature et de la procédure du secret défense, qui permet aujourd’hui "au pouvoir exécutif d’intervenir de façon abusive dans les affaires judiciaires".
L’ONG souhaite également instaurer "la possibilité d’une transaction pénale pour appréhender les faits de délinquance économique et financière les plus complexes". Une mesure qui devrait être incluse dans la loi Sapin 2.

Mobilisation contre les paradis fiscaux



Les affaires Cahuzac et Swissleaks ont aussi permis de renforcer la lutte contre les Paradis fiscaux. "Les banques françaises devront rendre publique la liste de toutes leurs filiales, partout dans le monde, pays par pays. (…) La France établira chaque année une liste des paradis fiscaux, pays par pays", avait ainsi annoncé François Hollande le 10 avril 2013. Cette proposition, déjà prévue à l’époque par la loi bancaire, a depuis été étendue à toutes les entreprises. Mais si le reporting pays par pays a bien été adopté dans le PLFR 2015 (projet de loi de finances rectificative), sa publicité, elle a été rejetée après "un coup de force du gouvernement qui ralentit dangereusement la lutte contre l’évasion fiscale", selon la Plateforme.
Au niveau européen en revanche, cela pourrait bouger si l’on en croit les dernières révélations du Guardian mentionnant un avis favorable de la Commission sur un reporting public pays par pays des profits et taxes payés par les multinationales dans l’Union européenne.
Par ailleurs, pour désosser le système des sociétés écrans qui permettent de cacher l’identité du propriétaire réel d’un compte ou d’une société, le principe de la création d’un registre public des trusts a été acté par l’article 11 de la loi du 6 décembre 2013. Le registre doit recenser "les trusts déclarés, le nom de l’administrateur, le nom du constituant, le nom des bénéficiaires et la date de constitution du trust". Une obligation de déclaration à la charge de l’administrateur du trust, dès lors que les actifs sont susceptibles d’être taxés en France.
Ce principe n’est toutefois pas encore mis en place et le fait de le rendre réellement public est encore en discussion. La France a cependant un an pour transposer la quatrième directive européenne anti blanchiment, qui introduit également un registre des propriétaires réels des sociétés pour les Etats membres et dont le spectre est plus large. "Néanmoins, il appartient à chaque Etat membre de décider si ce registre sera public ou non", déplore la plateforme. Et la publicité pourrait être restreinte aux personnes ayant "un intérêt légitime à agir". Journalistes et ONG entrent-ils dans cette catégorie ?
Enfin, c’est peut être au niveau des échanges d’informations entre pays que se situe la plus grande avancée relative aux paradis fiscaux. Ne sont en effet considérés comme paradis fiscaux que les pays qui refusent de "coopérer pleinement avec la France" sur ce sujet. Or, en 2014, 93 Etats se sont engagés à échanger automatiquement des informations sur les comptes bancaires hébergés dans leur pays. Une étape considérée comme "majeure" par la PPFJ. Celle-ci soulève tout de même un problème de taille : les pays ont le droit de choisir avec qui ils vont échanger leurs informations, "ce qui risque de léser les pays en développement". De fait, la Suisse a d’ores et déjà annoncé qu’elle n’échangerait qu’avec ses "principaux partenaires économiques".

La transparence de la vie publique reste à améliorer



Sur la question de la transparence, liée à la question du lobbying et des conflits d’intérêts, des progrès peuvent encore être faits. La création d’une Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), disposant de 30 collaborateurs et d’un budget de près de 4 millions d’euros, a été saluée par les associations. Et selon Transparency International, elle commence à faire ses preuves avec la transmission d’une dizaine de dossiers pour des déclarations de patrimoine incomplètes ou mensongères. Mais Transparency et la PPFJ soulignent que la Haute autorité manque encore d’autonomie – elle ne peut procéder elle-même aux vérifications les plus courantes – et se heurte au manque d’harmonisation des procédures avec l’administration fiscale.
Le traitement des conflits d’intérêt et des incompatibilités parlementaires n’est pas non plus satisfaisant, puisque les bureaux parlementaires n’arrivent pas à faire respecter certaines incompatibilités, comme celle de détenir une société de promotion immobilière et d’être député. D’autres activités, comme détenir une société de conseil ou être avocat d’affaires, ne sont pas prohibées, mais mènent à de possibles conflits d’intérêts, soulignent également les associations.
Enfin, l’encadrement des relations entre décideurs publics et représentants d’intérêts (lobbyistes) est quasiment inexistant dans les lieux de décision publiques, comme l’Elysée, les cabinets ministériels, les autorités administratives indépendantes, les collectivités locales, etc. A l’exception de l’Assemblée nationale. Rappelons que, chaque année, la fraude fiscale représente plus de 60 milliards d’euros de manque à gagner pour l’Etat et les collectivités locales…

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